Un ami avocat me disait avec humour : «Pourquoi appelle-t-on ça le Droit, il n'y a rien de plus croche que le milieu juridique!»
Le point de vue de la journaliste Francine
Pelletier (1)
Dans le mille!
Fais-moi
mal, Johnny, Johnny, Johnny
Les femmes aiment se faire battre. C’est la
conclusion qui semble s’imposer après la première semaine du procès Ghomeshi,
l’ex-animateur radio accusé d’agressions sexuelles. Elles aiment « l’amour qui
fait boum ! », comme le dit la célèbre chanson de Boris Vian — ou la non moins
célèbre Baby, hit me one more time de Britney Spears, des paroles que l’accusé
et une de ses victimes, Lucy DeCoutere, ont d’ailleurs chanté ensemble peu de
temps après l’incident qu’elle lui reproche.
C’est vous dire comment, à ce stade-ci, tout est
sens dessus dessous. Autant les divulgations concernant l’animateur vedette, à
l’automne 2014, ont marqué un tournant pour ce qui est du sérieux accordé à
l’agression sexuelle, autant ce procès risque de faire reculer la cause de façon
spectaculaire. À force de montrer que les trois plaignantes étaient d’accord
pour participer aux ébats préconisés par Ghomeshi — n’ont-elles pas toutes
cherché à le revoir après les incidents malheureux ? —, on est en train de les
pendre à la corde du supposé masochisme féminin, les immoler à l’autel des
têtes de linottes, de la même façon dont on a longtemps discrédité les victimes
de viol pour cause de supposée luxure.
Le vieux mythe voulant que les femmes soient (au
fin fond d’elles-mêmes) des « bêtes sexuelles » a longtemps saboté les victimes
d’agressions sexuelles. Tout procès devenait vite le leur et elles perdaient
souvent leur cause par conséquent. Même si la loi interdit aujourd’hui
d’utiliser la vie sexuelle des plaignantes contre elles, porter plainte
demeure, on le comprend, un pensez-y-bien.
Avec le procès Ghomeshi, c’est un autre mythe,
plus dangereux encore, qui prend forme. Celui de la femme « carpette » qui en
redemande quand un mâle alpha lui marche dessus, doublée (une fois ce comportement
publicisé) de la méchante Gorgone, comploteuse et revancharde à souhait. Il
faut voir certains criminalistes secouer la tête, déclarant les plaignantes
troublées et mal intentionnées (deux d’entre elles auraient échangé jusqu’à
5000courriels), déplorant leur manque de « crédibilité »et annonçant le cas de
la poursuite sur le « bord de l’effondrement » pour comprendre combien ce
procès est dangereux pour les femmes.
Comme l’écrivait une professeure de droit cette
semaine, si la vie sexuelle des plaignantes n’est plus admissible comme preuve
de complicité, pourquoi la confusion amoureuse, ou la confusion tout court, le
serait-elle davantage ? Aussi bête, aussi antiféministe puisse nous paraître le
comportement de ces femmes prêtes à oublier qu’elles se sont fait brutaliser
pour mieux amadouer M. Cool, il n’enlève rien au fait qu’un crime semble bel et
bien avoir été commis.
C’est assez troublant, c’est vrai, de constater
combien l’estime de soi, pour trop de femmes encore aujourd’hui, passe par
l’attention, même malveillante, d’un homme de pouvoir, plutôt que par le
respect de leur propre intégrité physique. Mais il ne faudrait pas que ce
manque de prise de conscience nous fasse oublier l’essentiel.
L’essentiel, c’est que Ghomeshi a un long parcours
d’agressions contre les femmes qu’il fréquentait. Jetées contre un mur,
assaillies de coups de poing violents à la tête, étouffées au point de ne plus
respirer, ce schème de violence — où la sexualité brille par son absence, soi
dit en passant — s’est répété auprès d’au moins 23 femmes au cours des 13
dernières années, dont seulement 4 ont daigné porter plainte. Comme vient de le
démontrer le journaliste Jesse Brown, le premier à découvrir le pot aux roses
en 2014, Ghomeshi ne se prêtait pas innocemment à ces petits huis clos. Avant
de se retrouver seul avec ses victimes, il établissait une correspondance avec
elles pour les mettre au parfum de son style « expérimental », ajoutant
parfois, dit une femme, « qu’elle devait apprendre à tout accepter ». Avec de telles
traces écrites, et les photos nues qu’il demandait parfois de ses soupirantes,
s’assurant également de poursuivre la correspondance après les ébats
malheureux, l’animateur vedette se protégeait en cas de poursuites. « J’ai des
textos », écrit-il rageusement à une jeune femme s’étant plainte d’avoir été
manipulée et violentée par lui. « Tu le VOULAIS. »
Loin de s’adonner à une « version édulcorée de
Cinquante nuances de Grey », comme il le clamait initialement sur sa page
Facebook, Ghomeshi savait qu’il pourrait être accusé de voies de fait et
d’agressions sexuelles et, en parfait manipulateur, a savamment brouillé les
empreintes du crime. C’est ÇA (si je peux à mon tour m’exprimer en majuscules),
et non la soi-disant complicité des plaignantes, qui doit ressortir maintenant
de ce procès.
Blogue : http://www.francinepelletierleblog.com/
(1) Journaliste depuis plus de 30 ans, Francine
Pelletier a travaillé tant en français qu’en anglais, à la presse électronique
qu’à la presse écrite.
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