7 février 2016

La chatte de Sabine

Sabine Sicaud *, âgée de 11 ans avait concouru pour le prix du «Jasmin d'Argent» avec le poème «Le petit Cèpe» dont on doutait qu'elle en fut l'auteur. Marcel Prévost, président de la section poésie du Jasmin d'Argent invita Sabine et sa mère et incita la fillette à improviser un poème sur sa chatte Fafou. C'est à la lecture de ce poème, composé de façon impromptue que l'écrivain académicien fut persuadé du génie de la fillette. Il fut alors certain de la sincérité de Sabine qui reçut la deuxième médaille d'argent pour «Le petit Cèpe».


Photo : ipernity.com

Fafou

Chimère, dromadaire, Kangourou?
Non. Rien que cette ombre chinoise,
Fafou, sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou,
Toute seule et pensive… Un fuchsia pavoise
L’écran vert derrière elle, et j’entends, à deux pas,
Des oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent.

Fafou se pose en gargouille. Un œil las
Semble à peine s’ouvrir dans son profil où brille,
Cependant, quelque chose, on ne sait quoi d’aigu…
Par là, se cache un nid d’oisillons nus
Pour qui la mère tremble – Fafou songe.

Un tout petit pétale rouge, qui s’allonge,
Marque d’un trait sa gueule fine… Un bâillement.
Puis un autre… Fafou dormait innocemment.
Fafou dormait, vous dis-je! Elle s’étire,
La queue en yatagan,
Puis en cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire,
C’est qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant,
La mère-oiseau dans l’if si proche…

Une patte en fusil, assise, la voilà
Qui se brosse, candide, et sa robe a l’éclat
D’un beau satin de vieille dame où se raccroche
La lumière du soir.
Une dame? Ou quelque vieux diable en habit noir?

Fafou, je n’aime pas ces yeux d’un autre monde,
Ces yeux de revenant… Tout à l’heure croissants,
Maintenant lunes rondes,
Pourquoi ces trous phosphorescents
Dans cette face obscure? Sur la toile
Qui se fonce, elle aussi – la toile du jardin
Où les pendants des fuchsias sont des étoiles
La robe d’un noir vif s’éteint…

Elle n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie,
Un pelage sinistre! Où l’as-tu pris
Ce noir d’enseigne de chat noir lavé de pluie?

Chat noir ou lion noir? Chauve-souris,
Chouette, quoi? Je ne sais plus. Sur la fenêtre,
Une tête où l’oreille plate disparaît…
Lézard, couleuvre ou tortue? Ah! Si près,
L’oiseau même ne sait qui redouter, quel être
Fantastique et changeant va ramper cette nuit
Dans le jardin au noir mystère de caverne!

Du noir, du noir… Un point luit,
Deux points… deux vers luisants, vertes lanternes…
Fafou, je ne veux pas!
D’où reviens-tu, démon, de quel sabbat,
De quelle grotte de sorcière,
Lorsque tes yeux me font cette peur, tout à coup?

C’est l’heure des gouttières,
De la jungle! Foulant, d’un piétinement doux,
Une vendange imaginaire, sur la pierre,
Quelle arme aiguises-tu? Je ne veux pas, Fafou!
Viens sous la lampe! Un ruban rose au cou,
Un beau ruban rose de jeune fille, rose pâle,
Je te veux, comme en haut d’une carte postale,

Une petite chatte noire, voilà tout…

Poèmes d’enfant, Poitiers, Cahiers de France, 1926 
Tous droits réservés ©

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* Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 et morte le 12 juillet 1928, est une poétesse française. Elle a vécu à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée La Solitude. Dès son recueil de 1926 (elle a 13 ans), Anna de Noailles est stupéfaite par l’acuité de son regard sur les êtres et les choses. De plus, la jeune poétesse manifeste une grande maturité d’écriture, autant qu’une grande culture. Les poèmes des derniers mois sont marqués par la maladie et par la souffrance. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, appelée aussi gangrène des os, elle écrit :
Aux médecins qui viennent me voir,
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or...

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