Sabine
Sicaud *, âgée de 11 ans avait concouru pour le prix du «Jasmin d'Argent» avec
le poème «Le petit Cèpe» dont on doutait qu'elle en fut l'auteur. Marcel
Prévost, président de la section poésie du Jasmin d'Argent invita Sabine et sa
mère et incita la fillette à improviser un poème sur sa chatte Fafou. C'est à
la lecture de ce poème, composé de façon impromptue que l'écrivain académicien
fut persuadé du génie de la fillette. Il fut alors certain de la sincérité de
Sabine qui reçut la deuxième médaille d'argent pour «Le petit Cèpe».
Photo : ipernity.com
Fafou
Chimère,
dromadaire, Kangourou?
Non.
Rien que cette ombre chinoise,
Fafou,
sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou,
Toute
seule et pensive… Un fuchsia pavoise
L’écran
vert derrière elle, et j’entends, à deux pas,
Des
oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent.
Fafou
se pose en gargouille. Un œil las
Semble
à peine s’ouvrir dans son profil où brille,
Cependant,
quelque chose, on ne sait quoi d’aigu…
Par là,
se cache un nid d’oisillons nus
Pour
qui la mère tremble – Fafou songe.
Un tout
petit pétale rouge, qui s’allonge,
Marque
d’un trait sa gueule fine… Un bâillement.
Puis un
autre… Fafou dormait innocemment.
Fafou
dormait, vous dis-je! Elle s’étire,
La
queue en yatagan,
Puis en
cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire,
C’est
qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant,
La
mère-oiseau dans l’if si proche…
Une
patte en fusil, assise, la voilà
Qui se
brosse, candide, et sa robe a l’éclat
D’un
beau satin de vieille dame où se raccroche
La
lumière du soir.
Une
dame? Ou quelque vieux diable en habit noir?
Fafou,
je n’aime pas ces yeux d’un autre monde,
Ces
yeux de revenant… Tout à l’heure croissants,
Maintenant
lunes rondes,
Pourquoi
ces trous phosphorescents
Dans
cette face obscure? Sur la toile
Qui se
fonce, elle aussi – la toile du jardin
Où les
pendants des fuchsias sont des étoiles
La robe
d’un noir vif s’éteint…
Elle
n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie,
Un
pelage sinistre! Où l’as-tu pris
Ce noir
d’enseigne de chat noir lavé de pluie?
Chat
noir ou lion noir? Chauve-souris,
Chouette,
quoi? Je ne sais plus. Sur la fenêtre,
Une
tête où l’oreille plate disparaît…
Lézard,
couleuvre ou tortue? Ah! Si près,
L’oiseau
même ne sait qui redouter, quel être
Fantastique
et changeant va ramper cette nuit
Dans le
jardin au noir mystère de caverne!
Du
noir, du noir… Un point luit,
Deux
points… deux vers luisants, vertes lanternes…
Fafou,
je ne veux pas!
D’où
reviens-tu, démon, de quel sabbat,
De
quelle grotte de sorcière,
Lorsque
tes yeux me font cette peur, tout à coup?
C’est
l’heure des gouttières,
De la
jungle! Foulant, d’un piétinement doux,
Une
vendange imaginaire, sur la pierre,
Quelle
arme aiguises-tu? Je ne veux pas, Fafou!
Viens
sous la lampe! Un ruban rose au cou,
Un beau
ruban rose de jeune fille, rose pâle,
Je te
veux, comme en haut d’une carte postale,
Une
petite chatte noire, voilà tout…
Poèmes
d’enfant, Poitiers, Cahiers de France, 1926
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* Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 et morte le 12
juillet 1928, est une poétesse française. Elle a vécu à Villeneuve-sur-Lot,
dans la maison de ses parents, nommée La Solitude. Dès son recueil de 1926
(elle a 13 ans), Anna de Noailles est stupéfaite par l’acuité de son regard sur
les êtres et les choses. De plus, la jeune poétesse manifeste une grande
maturité d’écriture, autant qu’une grande culture. Les poèmes des derniers mois
sont marqués par la maladie et par la souffrance. Après les chants émerveillés
de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable.
Atteinte d'ostéomyélite, appelée aussi gangrène des os, elle écrit :
Aux médecins qui viennent me voir,
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or...
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