7 janvier 2016
«Bénis soient ceux qui doutent!»
© Kristina Goslin: A pair of clouds on the wing over Underhill, Vermont, US. The mountain is Mount Mansfield, highest peak in Vermont and part of the Green Mountain range.
L’attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo : il y a des choses invraisemblables qui heurtent tout bon sens. Impardonnable et très difficile à accepter.
«Lorsque la foi devient haineuse, bénis soient ceux qui doutent!»
~ Amin Maalouf (Le Périple de Baldassare)
Le livre de la vie
Martin Gray
(Extraits)
LE CIEL ET LA PAROLE
Les mots et la parole ont une force insoupçonnée. Ils sont la tourmente ou la brise. La pluie qui dévaste ou l'eau qui irrigue.
Des rencontres se produisent ainsi qui modifient la couleur des choses. Qui font éclater ce qui jusqu'alors est souterrain.
Mais qui se parlent encore? Qui ose poser les questions que chacun porte en soi?
Une étoile comme une vie qui s'efface dans la foule des milliards d'hommes. Et chaque étoile, chaque homme est un univers. Quand il meurt, tout meurt et tout se prolonge.
Pourquoi le ciel, pourquoi l'homme, pourquoi moi, pourquoi la vie, pourquoi la mort, pourquoi des bourreaux et des victimes, pourquoi le bonheur et le malheur? Et au delà encore, qu'y a-t-il? Le hasard, le destin, un dieu de justice, ou simplement l'inconnu qui échappe à nos questions? Pourquoi?
Parce que le même ciel nous enveloppe. Parce que nous sommes taillés dans la même étoffe. Parce que nous sommes tous des hommes. Et que la parole, quand elle est vraie, peut aider, comme une main fraternelle.
LA MORT
Tôt ou tard l'épreuve est là, dans sa cruauté insupportable. La mort, l'inacceptable qu'il faut apprendre à accepter.
Il faut savoir que la mort existe. Il faut savoir qu'elle frappera autour de nous, en nous, ce que nous avons de plus cher. Il ne faut pas croire que nous serons à l'abri de cette tourmente. Il ne faut pas l'oublier. Il faut savoir que nous serons blessés et que la plaie restera vivante. Toujours. Et qu'il faut vivre malgré tout.
La mort de ceux qu'on aime, la mort des enfants, cela nous semble toujours injuste. Un arbre est déraciné sous lequel on aimait vivre, un arbre est abattu qui n'avait pas encore donné ses fruits.
On sort du cercle de la mort par l'action, par la vie.
Il faut vouloir survivre à la mort. Il faut construire par l'action, par la pensée, des barrages contre le désespoir. La mort des êtres chers c'est un cyclone qui vous aspire, où l'on peut se laisser entraîner, où l'on peut se laisser noyer. Il faut s'éloigner du cyclone. Il faut vouloir survivre.
Croire, c'est vouloir vivre. Vivre jusqu'au bout malgré la mort. Croire, c'est croire en la vie. Et donner la vie c'est combattre la mort. Car la vie doit chasser la mort. À chaque printemps l'arbre refleurit. Et l'automne alors, et l'hiver, ne sont plus que des saisons parmi d'autres. Il faut que l'homme apprenne à voir la mort comme un moment de la vie.
Il ne faut pas forcer le cours des choses naturelles. Il est un temps pour la souffrance et un autre pour la guérison.
Être fidèle à ceux qui sont morts ce n'est pas s'enfermer dans sa douleur. Il faut continuer de creuser son sillon : droit et profond. Comme ils l'auraient fait eux-mêmes. Comme on l'aurait fait avec eux. Pour eux. Être fidèle à ceux qui sont morts c'est vivre comme ils auraient vécu. Et les faire vivre en nous. Et transmettre leur visage, leur voix, leur message aux autres. À un fils, à un frère, ou à des inconnus, aux autres quels qu'ils soient. Et la vie tronquée des disparus alors germera sans fin.
En soi, seulement en soi et par soi, on peut décider de vaincre le désespoir de la mort. Puis il faut se tourner vers les autres. Vers la vie innombrable. Un arbre survit d'abord par ses racines. Mais sans le soleil il dépérit. Les autres sont notre soleil.
L'homme est mortel. La vie individuelle un jour cesse. Ceux qu'on aime meurent. Mais il y a toujours des enfants qui naissent. Il y a les hommes, cette vie aux milliards de visages qui se poursuit et s'amplifie. Alors les autres, ceux qui demeurent, ceux qui naissent, l'ensemble des hommes, continuent de faire vivre ceux qui sont morts. La mort ne peut être vaincue que par la fraternité avec les autres. Je ne meurs pas puisque je suis partie d'un tout vivant.
La mort, c'est toujours la grande épreuve. Le vide qui s'ouvre tout à coup sous nos pas. Le fuir ne sert à rien. Il faut apprendre à le regarder. Et aussi à le contourner.
L'homme d'aujourd'hui, la société d'aujourd'hui excluent, masquent le malheur et la mort. Alors ils nous frappent comme des météorites tombant sur nous. Nul ne peut y échapper. Car ils sont partie de la vie. Tout homme doit apprendre à les affronter.
Il faut bannir du monde tout ce qui peut tuer la vie. La vie, il faut la défendre de la mort. Et parfois il faut la donner pour protéger les hommes de ceux qui sont les partisans de la mort : bourreaux et systèmes qui font de la mort leur instrument. Mais une idée n'est grande, une cause n'est juste, que si la protection de la vie est en leur coeur.
Contre l'angoisse de la mort il faut dresser le barrage de la vie, il faut s'ouvrir à l'infinie beauté du monde. Il faut se fondre dans le mystère du ciel étoilé. Il faut devenir partie de ce grand tout en perpétuel mouvement, partie de l'univers vivant.
Considérer la mort avec les yeux ouverts. Parce qu'elle est inéluctable. Ne pas craindre, ne pas abdiquer devant elle. L'admettre et la combattre. Et faire naître en soi la sagesse quand le moment vient.
Quand elle frappe autour de soi : les êtres qu'elle abat, ils continuent de vivre dans le souvenir de ceux qui demeurent. Ils vivent encore parce que l'univers est une éternité qui se transforme. Et l'homme est une parcelle de cet univers et donc de cette éternité. Comme l'univers, il se transforme. Sa mort, ce point où la vie éclate, est un passage. Car la vie dans l'univers ne cesse pas : elle est éternelle. Et la mort n'est que la fin d'une forme de la vie. Qui renaît ailleurs, sous mille formes nouvelles.
© Sharon Sullivan: Altocumulus with virga, over Olympia, Washington US.
Photos via https://cloudappreciationsociety.org/
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