Ah… j’attendais que le mercure atteigne 15° pour la partager celle-là. Ça y est.
Quelle suave description de ce qu’on pense et ressent; et la comparaison avec la chèvre de M. Seguin, il fallait y songer!
139. Le printemps dans l’air
Dany Laferrière
Le printemps est ma maison favorite parce qu’il a fini par terrasser l’hiver dans un combat que j’ai parfois cru qu’il allait perdre. Certaines années, la bataille a été si rude qu’il a dû reculer jusqu’à sentir dans son cou le souffle chaud de l’été, nous faisant passer sans aucune transition de l’hiver à l’été. D’autres années, plus fastes, il a gagné haut la main la lutte dès les premières semaines de mars. Quand il est là, je prends plaisir à me lever dans la fraîcheur de l’aube, sous un petit soleil guilleret, pour me retrouver à midi à siroter un verre de vin tout en mangeant une salade niçoise à la terrasse d’un café de la rue Saint-Denis. En un mot, j’aime le printemps à Montréal, ce fragile printemps qui me fait penser à la chèvre de monsieur Seguin qui s’est battue toute la nuit pour se rendre à l’aube. C’est un printemps qui porte sur lui les blessures de sa lutte avec l’hiver. On le reconnaît à sa lumière particulière qui procure une joie si spontanée qu’elle embellit quiconque. Si j’aime encore le printemps, c’est qu’il annonce l’été, donc la vie pour tous ceux qui vouent un culte à la chaleur. Je l’admets difficilement, mais j’ai fini par reconnaître (la soumission à la glace étant une étape vers la nordicité) qu’on puisse se ranger du côté du froid dans ce duel annuel que le printemps livre à l’hiver. De beaux jours sont devant nous, jusqu’aux derniers feux de l’automne dont les splendides rougeurs du couchant signalent la fin momentanée du règne végétal. À mon avis, chaque année contient une vie entière. Et c’est peut-être ainsi qu’on devrait la vivre. ... (p. 218-219)
Journal d’un écrivain en pyjama
(Mémoire d’encrier; 2013)
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