Un exemple à découvrir : André Dhôtel, (1900-1991), professeur et auteur de quelque soixante-dix ouvrages, dont une quarantaine de romans, et d'un nombre impressionnant de textes plus ou moins dispersés.
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Vie de petit fonctionnaire discret, écrivain de bien des illuminations, il a perverti la banalité apparente de son existence en voyages intérieurs fabuleux. Car «Il ne se sentait pas mûr pour cette solution désespérée qui consiste à adopter un mode de vie normal» (Dhôtel).
Source (article complet) : Esprits Nomades http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/dhotel/dhotel.html
Lentement, il semble ruminer toutes nos enfances, sans faire trop de bruit, par crainte de faire s’envoler les oiseaux et les papillons de nos rêves. «Écrire, c’est s’approcher lentement» (Dhôtel, Le Pays où l’on n’arrive jamais).
(…)
Christian Bobin, qui lui aussi aura fait l’éloge du rien, a dans son livre La lumière du monde approché au plus près la magie Dhôtel et son pays imaginé, le Dhôtelland :
«Je pense que Dhôtel a toujours parlé de l'avenir: il n'a parlé que de ce qui s'entête à pousser sur les ruines. Il a su nommer les ronces, l'éclat d'une boîte de conserve ou d'un coquelicot, qui sont ce qui nous reste quand tout est défait parce qu'ils ont une lumière invincible. Dhôtel est encore un peu en avance, car on en est presque arrivé aux ruines. La bienfaisance de ses livres va grandir parce qu'on aura besoin alors de l'éclat consolateur de ces toutes petites choses. Un jour il n’y aura plus que des ruines sur terre, c’est-à-dire ce qu’il y a dans les poèmes de Dhôtel…».
(…)
André Dhôtel disait de lui-même : «…Je suis plutôt une espèce d'artisan ou de brocanteur qui se voue à l'inattendu...».
Et cet artisan du bonheur des simples, aura su enchanter nos heures, par un merveilleux ancré dans le quotidien, et par la restitution du frémissement de la terre.
Son art de vivre semble être celui de regarder pousser les brins d’herbe et de croire en l’amitié et l’amour.
Tout semble en attente, car «Il va se passer quelque chose», qui va bousculer l’ordre naturel des choses. Et les villages deviennent des décors d’irréel et parfois d’espoir.
Toujours en partance vers une lointaine lumière du monde, Dhôtel nous entraîne vers un pèlerinage sans autre but que de se perdre soi-même.
«Le pèlerin se rend dans un lieu avec la conviction qu’un tel lieu est en dehors de tous les lieux et de tous les buts. Dès qu’il a placé le premier pas sur la route, il sait déjà qu’il se perd dans le monde, et qu’à mesure qu’il avancera il se perdra de mieux en mieux. Une science subtile de l’égarement illuminera les plus humbles choses…»
(Le vrai mystère des champignons).
(…)
Tout est chez lui expérience de l’égarement : il faut d’abord se perdre pour que quelque chose arrive. Et il importe peu de s’y retrouver ou de revenir sur ses pas. Le pays des merveilles ne s’explique pas, il faut accepter de suivre ce somnambule rêveur, au milieu des riens, au milieu des choses, en vacances buissonnières de la raison. Homme des fables Dhôtel n’essaie pas d’enchanter, mais simplement de conter. Avec des aventures toujours recommencées, et souvent les mêmes, avec des chemins qui ne vont nulle part. (…)
Son écriture évidente, claire et couleur d’herbes folles, est une petite mélodie souvent mélancolique. On se promène en Dhôtel, doucement, émerveillé souvent avec l’amitié des choses. Un monde d’apparitions nous attend et qui viennent par tous les chemins de terre. Et le monde devient habitable. (…)
Et notre présence au monde se résout dans les nuages, les enfants, les lilas, et le sommeil de la terre. Et le ciel se penche vers lui, qui dans son écriture souvent proche et lointaine à la fois nous distend tous les ponts de repère. Transparent, Dhôtel est la transparence même, une belle ruse de la vie.
«L’écriture de Dhôtel, c’est comme les lucioles : quand c’est dans les fossés ça brille, mais quand on les prend dans la main pour les montrer, il n’y a plus rien.» Bobin, La lumière du monde.
De flâneries en surprises, dans un monde de décalages, au travers des banalités de la vie, Dhôtel nous amène vers ce pays où l’on devrait toujours arriver : la poésie.
Et bientôt il y aurait des étoiles!
Gil Pressnitzer
Sources :
Christian Bobin La lumière du monde
Dossier Librairie Initiales Dhôtel comme çà
Un site dédié à André Dhôtel : La Route Inconnue http://www.andredhotel.org/index.php
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Parmi les extraits du présentateur :
J'écris rien que pour retrouver
en quel lieu j'eus la révélation
parce que j'ai oublié ce lieu
ainsi que toute révélation.
Alors selon l'usage
Je célèbre l'inconnu
pour tant bien que mal
assurer mon existence.
C'est l'utilité des fantômes
que de figurer ce qui
n'a jamais eu de figure
et se doit de naître au jour.
A.D. (Poèmes comme ça)
Et par instants, à travers des temps prodigieux
tombait de la pompe une goutte d’eau
en l’écuelle d’étain qui chantait longtemps.
A.D. (Poèmes comme ça)
Si tu veux découvrir ce que tu cherches, Gaspard, tu dois tâcher de lire les signes qu'il y a dans les choses. Observe ces jardins, ces parcs, avec des massifs de fleurs, les carrefours des chemins. Peu de personnes les connaissent et ont l'occasion d'en parler. Le pays d'Hélène t'apparaîtra peut-être dans un de ces lieux inconnus dont il y a des milliers par nos contrées.
A.D. (Le Pays où l'on n'arrive jamais)
Ainsi l'on remet toujours naïvement l'heure de la séparation, comme nous l'avons maintes fois observé et comme nous le dirons encore. La séparation apparaît tellement fatale qu'il est doux de gagner quelques heures et n'importe quelle histoire, si vous y songez bien, n'est jamais qu'une histoire de gens qui s'entretiennent, se querellent ou se saluent longuement pour prolonger leur réunion sur une terre où tout semble passager et où tout s'enfuit au fond du temps.
A.D. (Le Pays où l'on n'arrive jamais)
Si peu de temps qu'on se trouve à ne rien faire, le monde change et devient intéressant. C'était d'abord la chaleur qui semblait plus profonde. L'étendue entre terre et ciel prenait toute son ampleur jusqu'aux horizons qui semblaient reculer. Et cela devenait d'autant plus étonnant de voir les dessins minutieux de cette ombelle portant des fleurs infimes, et de ces tiges velues d'épervières. Dans une prairie sèche, la végétation privée d'eau doit s'abreuver à des sources imaginaires (...) Les racines forment des réseaux divisés à l'infini, et la plus mince corolle calcule avec une ingénieuse économie ce qu'il faut dépenser pour aviver ses couleurs et fournir de miel les abeilles perdues dans l'azur.
A.D. (Des trottoirs et des fleurs)
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