«La
sérénité ne peut être atteinte que par un esprit désespéré et, pour être
désespéré, il faut avoir beaucoup aimé, et aimer encore la vie.» ~ Blaise
Cendrars
Humphrey Trevelyan soutenait que les grands
artistes doivent avoir le courage de désespérer, de «se laisser ébranler par des
vérités crues qu’on ne réconfortera pas. Le mécontentement, le déséquilibre,
cet état de tension intérieure, est la source de l'énergie artistique».
À 60 ans, la poète, romancière, essayiste et
mémorialiste May Sarton (1912-1995)
se retira pendant un an pour réfléchir sur sa vie intérieure; elle en livra l’essentiel
dans Journal
of a Solitude (public library).
«Il pleut. Je regarde l'érable, où quelques feuilles
ont viré au jaune, j'écoute le perroquet Punch qui parle tout seul, et la pluie
qui claque sur les fenêtres. Je suis seule ici pour la première fois depuis des
semaines, afin de retrouver ma ‘vraie’ vie. Voilà ce qui est étrange – les amis, même l'amour
passionné, ne sont pas ma vraie vie, sauf si j’ai du temps seule pour explorer
et découvrir ce qui se passe ou ce qui s'est passé. Sans ces interruptions à la
fois nourrissantes et exaspérantes, ma vie deviendrait aride. Or je la goûte
pleinement quand je suis seule...»
«Depuis longtemps déjà, chaque rencontre avec un
autre être humain est une collision. Je suis trop sensible, les réverbérations,
même après une simple conversation, m’épuisent. Mais la collision profonde existe
et reste collée à cette partie de moi dévitalisée et tourmentée. J'ai écrit
chaque poème, chaque roman, dans le même but : pour savoir ce que je
pense, pour savoir où je me situe.»
«Mon besoin d'être seule s’équilibre avec ma peur
de ce qui va se passer quand soudain j'entre dans l'immense silence vide où je
ne pourrai trouver aucune aide. Je monte au ciel et descend en enfer en une
heure, et je reste en vie uniquement en m’imposant
des routines strictes.»
À la mi-octobre, Sarton commence à émerger de
l'abîme et s'émerveille de la transformation, du côté éphémère et transitoire des
choses, même des états les plus profonds et déstabilisants :
«J'ai peine à croire que le soulagement de
l'angoisse de ces derniers mois soit là pour rester, mais jusqu'à présent, je
ressens comme un vrai changement d'humeur – ou plutôt, un changement d’état d’esprit
où je suis capable de rester seule.»
«Une grande partie de ma vie est tellement précaire
ici. Je n’arrive pas toujours à croire en mon travail. Mais ces derniers jours,
je ressens à nouveau la valeur et l’utilité de mon combat ici, même si je ne ‘réussis’
pas en tant qu'écrivaine. Même les échecs dus à ma fébrilité et à mon
tempérament difficile peuvent avoir un sens. C’est un âge où beaucoup de gens
sont pris dans des vies où leurs décisions viennent de moins en moins de l'intérieur,
où les choix réels existent de moins en moins. Le fait qu'une femme d’âge
moyen, sans aucun vestige de famille, vive seule dans cette maison de village silencieux
et ne soit responsable que de sa propre âme signifie quelque chose. Le fait
qu'elle soit écrivaine et puisse dire où elle en est et décrire son chemin vers
l'intérieur peut être rassurant. Il est réconfortant de savoir qu'il y a des
gardiens de phares sur les îles rocheuses le long de la côte. Parfois, quand je
revenais d’une promenade à la tombée de la nuit et que je voyais ma maison
éclairée, qui semblait si vivante, je pensais que ma présence ici valait tous
les enfers.»
Article intégral (en anglais) : Brainpickings http://www.brainpickings.org/
«La
solitude vivifie; l’isolement tue.» ~ Jean Roux, zoologiste
«La paix
et la sérénité justifient tous les renoncements.» ~ Yi King
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