8 octobre 2016

Là où une catastrophe n’attend pas l’autre

À chacune des catastrophes en Haïti, l’aide internationale met des pansements sur un bobo qui grossit toujours. L’île est constamment dans la mire des ouragans, et ses fondations tremblent sur la faille d’Enriquillo. C’est suffisant pour en faire un endroit inhospitalier, en dépit de sa beauté par ailleurs outrageusement défigurée à répétition depuis quelques décennies. Comment sortir de pareil bourbier? C'est infiniment triste et l'on se sent impuissant devant l'ampleur de la tâche, même avec la quantité de bonnes âmes qui ne lâchent pas.


Photo : Agence France Presse

Le recensement des catastrophes naturelles répertoriées depuis 1564 est terrifiant : la vie des Haïtiens est perpétuellement menacée. L’intervalle entre les séismes, cyclones, ouragans et inondations dues aux pluies torrentielles a considérablement diminué depuis 1972. En 2012, s’ajoutèrent des périodes de sécheresse et des épidémies de choléra.

Quelques statistiques non exhaustives (1564-2016) :

- Tremblements de terre, séismes : 18 – dont trois en 2008, deux en 2010, deux en 2012

- Cyclones, ouragans : 11 – dont deux en 2004, deux en 2012

- Pluies torrentielles/inondations extrêmes : 15

- Sécheresses extrêmes : 2012, 2013/2014, 2015

- Épidémies de choléra : 2012, 2014, 2016 (un début avec l’ouragan Matthew)

(Source : Wikipédia)

Là où un conquérant n’attendait pas l’autre

Les Espagnols massacrèrent et réduisirent en esclavage la population indigène de culture Arawak, Caraïbes et Taïnos (estimée à quelque 100 000) pour extraire l’or du pays. Les maladies infectieuses transmises par les Européens firent des ravages; les mauvais traitements, la dénutrition et la baisse de natalité firent le reste : la population indigène fut exterminée en quelques décennies. De sorte que les Espagnols se tournèrent vers les esclaves noirs importés d’Afrique pour continuer l'extraction. 
     Puis, la partie ouest de l’île étant finalement vidée de son or, les Espagnols quittèrent la région et des boucaniers français s’y installèrent. Peu à peu ils s’emparèrent de la «Grande terre». Au fil du temps, les plantations (monocultures) de tabac, d’indigo, de canne à sucre, de coton ou de café se succédèrent. Des colons français s’implantèrent également. Des dizaines de milliers d'Africains avaient été amenés comme esclaves pour faire fonctionner ces industries, et leur nombre (400 000) était dix fois plus élevé que celui des blancs. En 1804, la révolution d’indépendance (révolte des esclaves) occasionna de grands bouleversements. Les Anglais intervinrent pour combattre les soldats français et soutenir les esclaves. 
     En 1846, le pouvoir ne cessait d’être contesté par des factions de l’armée (les élites métisses et noires), et la classe marchande était désormais composée majoritairement d’étrangers – Allemands, Américains, Français et Anglais. Le pays s’appauvrit puisque les chefs d’État ne se préoccupaient pas de son développement. Dès que le pouvoir se fragilisait, des révoltes armées se déclenchaient, entretenues par les candidats à la succession.
     Au début du XXe siècle, le pays était en état d’insurrection quasi permanente. Ce qui favorisa l’invasion de l’île en 1915 par les troupes du président Wilson qui voulait contrer l’influence de l’Empire allemand, rétablir l'ordre après la mort du président Guillaume Sam aux mains d'un peuple en furie, et défendre les intérêts de la banque d'affaires américaine Kuhn, Loeb & Co. Les États-Unis, après des débuts difficiles dus au racisme des Marines et à l'imposition de la corvée, occupèrent l’île de 1915 à 1934 : assainissement des finances publiques, création d’une armée, construction d’écoles, de routes, etc. Après le départ des Américains, l’instabilité politique (entre militaires métisses et populistes noirs) reprit. Elle cessa en 1957 avec l'élection de Duvalier. D’autres horreurs allaient suivre. (Source : Wikipédia)

Le colonialisme est littéralement synonyme de vol, exploitation, esclavage, viol, massacre et génocide. Rien d’autre. 
     Qu’est-ce qui fait croire aux conquérants qu’ils sont supérieurs aux populations qu’ils envahissent? Leur fortune, leurs châteaux, les tours de béton de leurs mégapoles? Leur capacité de forer le monde entier, d’éliminer tout ce qui leur barre la route sur terre, sur mer et dans les airs? 
     Cet indécrottable complexe de supériorité dont plusieurs cultures sont affublées ne disparaîtra qu’avec elles. 
     Les façons de procéder peuvent varier. Aujourd’hui on a tendance à s’emparer d’un territoire à coup d’investissements financiers. Ce faisant, on réduit la population à l’esclavage en appauvrissant les États via la dépendance économique, la dette nationale et la faillite. Le phénomène se déroule sous nos yeux partout dans le monde, en Amérique du Sud et du Nord, en Europe, en Asie, en Indonésie, dans les Antilles, en Australie, en Afrique...

«Si nous voulons que nos enfants et petits-enfants vivent et héritent d’une vie meilleure, cela ne sera possible que si chacun de nous change sa façon de penser et de se comporter envers la terre.» ~ Lee Durrell
(Ajoutons : envers ses habitants, incluant les animaux.)


Tableau : Jonathan Kingdon (couverture du livre de Lee Durrell, State of the Ark; Gaia Books Limited, 1986) http://www.gallery-pangolin.com/artists/jonathan-kingdon

J'adore ce poème, la vérité dite avec humour :   

T’es pas beau, l’Humain!
Esther Granek

Remontant donc les millénaires
jusqu’au temps où (station debout)
tu devins maître de la terre
depuis l’éléphant jusqu’au pou,
tu te déclaras bien tourné,
te sacrant Narcisse à jamais.
Horreur! De quel oeil te vois-tu,
toi mammifère mal fichu!
Car pour te dire les choses en gros,
t’es pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…

Ta main te devenant l’outil
qui soudain te différentie
(étant quasi seul animal
à marcher à la verticale),
dès lors, balançant tes battoirs
en un va-et-vient ridicule,
tes bras te sont double pendule
marquant ton pas. Sans le vouloir.
Là, pour te dire les choses en gros,
t’es pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…

Dessous les voiles où tu enfermes
les déserts de ton épiderme,
tes crins en touffes et en bouquets
(sortes de burlesques futaies,
poils clairsemés et poils touffus,
forêts, oasis incongrues
où folichonnent tes attraits)
te font paraître bien plus nu.
Ça, pour te dire les choses en gros,
t’es pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…

Car te comparant au félin,
tu es l’ivraie, et lui l’or fin.
Le cheval a plus de noblesse
en chaque patte, en chaque fesse
que toi déployant ton meilleur.
Total aveugle à ta laideur,
tu ris pourtant comme un p’tit fou
en regardant les singes au zoo.
Vrai, pour te dire les choses en gros,
t’es pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…

Ô pesanteur! Ô triste loi!
Ô traction du haut vers le bas!
C’est perpendiculaire au sol
que ta colonne se détraque,
te faisant vertèbres patraques
dès l’âge où tes chairs seront molles.
Alors, vieille outre flasque et terne,
panoplie de drapeaux en berne…
Bref, pour te dire les choses en gros,
t’es pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…

Je cours après mon ombre, 1981

Via Poetica : http://www.poetica.fr/a-propos/

Site d’Esther Granek : http://www.freewebs.com/esthergranek/


Collage : Joe Webb http://www.joewebbart.com/ Cet artiste a l'art de nous renvoyer nos contradictions en pleine figure...

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