À chacune des catastrophes en Haïti, l’aide
internationale met des pansements sur un bobo qui grossit toujours. L’île est constamment
dans la mire des ouragans, et ses fondations tremblent sur la faille d’Enriquillo. C’est
suffisant pour en faire un endroit inhospitalier, en dépit de sa beauté par ailleurs outrageusement défigurée à répétition depuis quelques décennies. Comment sortir de pareil bourbier? C'est infiniment triste et l'on se sent impuissant devant l'ampleur de la tâche, même avec la quantité de bonnes âmes qui ne lâchent pas.
Photo : Agence France Presse
Le recensement des catastrophes naturelles répertoriées
depuis 1564 est terrifiant : la vie des Haïtiens est perpétuellement menacée.
L’intervalle entre les séismes, cyclones, ouragans et inondations dues aux pluies
torrentielles a considérablement diminué depuis 1972. En 2012, s’ajoutèrent des
périodes de sécheresse et des épidémies de choléra.
Quelques statistiques non exhaustives (1564-2016)
:
- Tremblements de terre, séismes : 18 – dont trois
en 2008, deux en 2010, deux en 2012
- Cyclones, ouragans : 11 – dont deux en 2004,
deux en 2012
- Pluies torrentielles/inondations extrêmes :
15
- Sécheresses extrêmes : 2012, 2013/2014,
2015
- Épidémies de choléra : 2012, 2014, 2016 (un
début avec l’ouragan Matthew)
(Source : Wikipédia)
Là où un
conquérant n’attendait pas l’autre
Les Espagnols massacrèrent et réduisirent en
esclavage la population indigène de culture Arawak, Caraïbes et Taïnos (estimée
à quelque 100 000) pour extraire l’or du pays. Les maladies infectieuses transmises
par les Européens firent des ravages; les mauvais traitements, la dénutrition
et la baisse de natalité firent le reste : la population indigène fut
exterminée en quelques décennies. De sorte que les Espagnols se tournèrent vers les
esclaves noirs importés d’Afrique pour continuer l'extraction.
Puis, la
partie ouest de l’île étant finalement vidée de son or, les Espagnols quittèrent la région et des boucaniers français
s’y installèrent. Peu à peu ils s’emparèrent de la «Grande terre». Au fil du
temps, les plantations (monocultures) de tabac, d’indigo, de canne à sucre, de
coton ou de café se succédèrent. Des colons français s’implantèrent également. Des
dizaines de milliers d'Africains avaient été amenés comme esclaves pour faire
fonctionner ces industries, et leur nombre (400 000) était dix fois plus élevé
que celui des blancs. En 1804, la
révolution d’indépendance (révolte des esclaves) occasionna de grands
bouleversements. Les Anglais intervinrent pour combattre les soldats français
et soutenir les esclaves.
En 1846,
le pouvoir ne cessait d’être contesté par des factions de l’armée (les élites métisses
et noires), et la classe marchande était désormais composée majoritairement
d’étrangers – Allemands, Américains, Français et Anglais. Le pays s’appauvrit puisque
les chefs d’État ne se préoccupaient pas de son développement. Dès que le
pouvoir se fragilisait, des révoltes armées se déclenchaient, entretenues par
les candidats à la succession.
Au début du XXe siècle, le pays était en
état d’insurrection quasi permanente. Ce qui favorisa l’invasion de l’île en
1915 par les troupes du président Wilson qui voulait contrer l’influence de
l’Empire allemand, rétablir l'ordre après la mort du président Guillaume Sam
aux mains d'un peuple en furie, et défendre les intérêts de la banque d'affaires
américaine Kuhn, Loeb & Co. Les États-Unis, après des débuts difficiles dus
au racisme des Marines et à l'imposition de la corvée, occupèrent l’île de 1915
à 1934 : assainissement des finances publiques, création d’une armée,
construction d’écoles, de routes, etc. Après le départ des Américains,
l’instabilité politique (entre militaires métisses et populistes noirs) reprit.
Elle cessa en 1957 avec l'élection de Duvalier. D’autres horreurs allaient
suivre. (Source : Wikipédia)
Le
colonialisme est littéralement synonyme de vol, exploitation, esclavage, viol, massacre
et génocide. Rien d’autre.
Qu’est-ce qui fait croire aux conquérants
qu’ils sont supérieurs aux populations qu’ils envahissent? Leur fortune, leurs
châteaux, les tours de béton de leurs mégapoles? Leur capacité de forer le
monde entier, d’éliminer tout ce qui leur barre la route sur terre, sur mer et
dans les airs?
Cet indécrottable
complexe de supériorité dont plusieurs cultures sont affublées ne disparaîtra
qu’avec elles.
Les
façons de procéder peuvent varier. Aujourd’hui on a tendance à s’emparer d’un
territoire à coup d’investissements financiers. Ce faisant, on réduit la population à l’esclavage
en appauvrissant les États via la dépendance économique, la dette nationale et
la faillite. Le phénomène se déroule sous nos yeux partout dans le
monde, en Amérique du Sud et du Nord, en Europe, en Asie, en Indonésie, dans les Antilles, en
Australie, en Afrique...
«Si nous
voulons que nos enfants et petits-enfants vivent et héritent d’une vie
meilleure, cela ne sera possible que si chacun de nous change sa façon de
penser et de se comporter envers la terre.» ~ Lee Durrell
(Ajoutons : envers ses habitants, incluant
les animaux.)
Tableau :
Jonathan Kingdon (couverture du livre
de Lee Durrell, State of the Ark; Gaia
Books Limited, 1986) http://www.gallery-pangolin.com/artists/jonathan-kingdon
J'adore ce poème, la vérité dite avec humour :
T’es pas beau, l’Humain!
Esther
Granek
Remontant
donc les millénaires
jusqu’au
temps où (station debout)
tu
devins maître de la terre
depuis
l’éléphant jusqu’au pou,
tu te
déclaras bien tourné,
te
sacrant Narcisse à jamais.
Horreur!
De quel oeil te vois-tu,
toi
mammifère mal fichu!
Car
pour te dire les choses en gros,
t’es
pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…
Ta main
te devenant l’outil
qui
soudain te différentie
(étant
quasi seul animal
à
marcher à la verticale),
dès
lors, balançant tes battoirs
en un
va-et-vient ridicule,
tes
bras te sont double pendule
marquant
ton pas. Sans le vouloir.
Là,
pour te dire les choses en gros,
t’es
pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…
Dessous
les voiles où tu enfermes
les
déserts de ton épiderme,
tes
crins en touffes et en bouquets
(sortes
de burlesques futaies,
poils
clairsemés et poils touffus,
forêts,
oasis incongrues
où
folichonnent tes attraits)
te font
paraître bien plus nu.
Ça,
pour te dire les choses en gros,
t’es
pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…
Car te
comparant au félin,
tu es
l’ivraie, et lui l’or fin.
Le
cheval a plus de noblesse
en
chaque patte, en chaque fesse
que toi
déployant ton meilleur.
Total
aveugle à ta laideur,
tu ris
pourtant comme un p’tit fou
en
regardant les singes au zoo.
Vrai,
pour te dire les choses en gros,
t’es
pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…
Ô
pesanteur! Ô triste loi!
Ô
traction du haut vers le bas!
C’est
perpendiculaire au sol
que ta
colonne se détraque,
te
faisant vertèbres patraques
dès
l’âge où tes chairs seront molles.
Alors,
vieille outre flasque et terne,
panoplie
de drapeaux en berne…
Bref,
pour te dire les choses en gros,
t’es
pas beau, l’Humain! T’es pas beau!…
Je cours après mon ombre, 1981
Via
Poetica : http://www.poetica.fr/a-propos/
Site
d’Esther Granek : http://www.freewebs.com/esthergranek/
Collage :
Joe Webb http://www.joewebbart.com/ Cet artiste a l'art de nous renvoyer nos contradictions en pleine figure...
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