11 mai 2016
«Voir à travers celui qui voit»
Photo : film Le Miroir, Andreï Tarkovski; 1974 (1)
Un jour, moi, Zhuangzi, j’ai rêvé que j’étais un papillon, volant et butinant ici et là.
J’étais tout à ma joie d’être papillon, ignorant que j’étais Zhuangzi. Soudain je m’éveillai, et j’étais à nouveau moi-même.
Or maintenant, je ne sais pas si j’étais un homme rêvant qu’il était un papillon ou si je suis maintenant un papillon rêvant qu’il est un homme.
Il y a bien sûr une différence entre un homme et un papillon.
La transition, c’est la transformation des choses matérielles.
~ Tchouang-tseu
Il est nécessaire d’établir comme une loi que l’aventure n’existe pas. Elle est dans l’esprit de celui qui la poursuit, et dès qu’il peut la toucher du doigt, elle s’évanouit pour renaitre bien plus loin, sous une autre forme, aux limites de l’imagination.
~ Pierre Mac Orlan
L’Autre
Andrée Chedid
«Je est un autre.» Arthur R.
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.
Poème inédit commandé par le Printemps des Poètes 2008
Via : http://www.poetica.fr/a-propos/
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(1) Le Miroir de Tarkovski introduit une nouvelle manière de penser/sentir le Temps : non seulement le temps qui s'écoule dans le plan mais le plan qui se structure selon les rythmes différents du temps. Ce que nous permet le film Le Miroir de Tarkovski, c'est de penser le Temps autrement.
Un instant est l'éternité,
L'éternité est maintenant;
Voir à travers cet instant,
C'est voir à travers celui qui voit.
~ Wu-men Kuan (Les Fleurs de Bouddha)
Le passé et le présent ne sont au fond que la présentation d'une même image vue dans un miroir. (...) Pour rejoindre le passé, il ne suffit pas de marcher à reculons, à rebours du sens chronologique : par là on ne fera que parcourir les différents moments linéaires d'un ancien présent. Voir le passé, c'est oublier le présent, se détourner du présent et passer dans ce monde du temps qui double notre univers spatial. Le passage du présent au passé se fait en pivotant sur soi. Ce mouvement de pivotement, c'est au sens propre une conversion, comme dans cette scène où l'enfant est seul dans la maison et où, quand il tourne sur lui-même, chacun de ses tours fait surgir un moment différent du temps.
Comme le dit encore Tarkovski lui-même : «L'image n'est pas une quelconque idée exprimée par le réalisateur, mais tout un monde miroité dans une goutte d'eau.»
Cette phrase de Tarkovski trouve un écho dans ce poème de Kabîr, poète mystique indien du XVème siècle :
Qu'une goutte tombe dans la mer,
Tout le monde peut le comprendre.
Mais que dans une goutte la mer soit contenue,
Qui peut saisir cela?
Qu'une goutte tombe dans la mer,
Tout le monde peut le comprendre,
Mais que la mer tombe dans une goutte,
Qui peut saisir cela?
Ce n'est pas simplement la goutte qui se fond dans l'océan, c'est l'océan qui se fond dans la goutte. Toute partie est partie d'un Tout qui existe tout entier en chaque partie. C'est l'enjeu à la fois éthique et esthétique du film : seule la présence de la partie au tout permet la présence du tout dans la partie. Plus nous sommes présents au monde, plus le monde sera présent en nous. Plus nous vivons tout entier en chaque instant, plus en chaque instant nous pourrons retrouver l'ensemble du temps.
~ Jean-Yves Heurtebise http://www.cadrage.net/films/miroir.htm
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