5 mai 2016

La logique de l’échange

Que «ma» volonté soit faite

Je pensais à Donald Trump et au slogan qu’il caquète, l’index pointé vers le ciel comme un preacher – «I will make America great again!» Que peuvent bien signifier ces propos dans une tête de linotte?! On devrait imposer de sérieux tests psychologiques à tout candidat politique... et publier les résultats sur Internet! 



«Nous serions prêts à n'importe quoi pour affirmer le bien-fondé de nos idées : on irait jusqu'à ruiner sa famille ou à précipiter la perte de nations entières... Derrière toutes les guerres, on trouve l'idéologie d'une nation qui prétend détenir la Vérité et l'imposer aux autres.

Le mental dualiste se conduit toujours en dictateur; incapable de s'ouvrir à la réalité de la situation, il veut à tout prix manipuler le monde pour lui faire avaler «sa» vérité. À chaque fois que l'ordre des priorités est renversé – en faisant passer l'idée avant la réalité – il y a forcément manipulation du réel.

Lorsqu'on vit de cette façon-là, tout notre univers tourne autour de deux syllabes : «je veux». C'est la logique du désir qui domine tout, quels qu'en soient les objets – multiples et changeants, à l'infini. Cependant, la racine même du désir est toujours la même : le besoin d'affirmer et de conforter l'idée du moi, que nous prenons pour une entité réelle. Voilà pourquoi nous sommes obligés de manipuler la vie pour la faire cadrer avec notre projection du «moi».

À vrai dire, nous ne faisons jamais rien gratuitement; le moindre de nos actes s'inscrit dans la logique de l'échange : je fais ceci, d'accord, mais en échange de cela. La vie devient une série de transactions commerciales, sauf que les termes de l'échange sont beaucoup moins clairs que dans nos achats ordinaires.

Ainsi, si vous voulez passer pour un grand altruiste, vous ferez tout pour donner l'impression que vous n'êtes pas un égoïste (même si c'est loin de correspondre à la réalité!)

Si je vous donne quelque chose – de l’argent, de l’aide, du temps – j’attendrai aussi quelque chose en échange. Au minimum, je m’attendrai à de la reconnaissance de votre part; après tout, j’ai fait un geste noble et généreux à votre égard. C’est donnant donnant. Et c’est ainsi que nous faisons de la vie une vaste opération de troc. 

Si vous vous dévouez à une cause ou à une association, vous en attendez quelque chose en retour : la reconnaissance de vos bons et loyaux services, un certain respect, un traitement de faveur. Nous sommes incapables d'un geste gratuit; il y a toujours un échange, quelque chose à gagner. Nous ferions bien d'afficher nos prix dès le départ!

Une bonne partie des rapports familiaux s'inscrivent d'ailleurs dans cette logique vicieuse de l'échange, sous une forme plus subtile – celle du chantage affectif : «Comment, après tout ce que j'ai fait pour toi!»

Cependant, il est rare que la vie nous apporte ce que nous attendons, et, avec un peu de maturité dans la pratique [zazen], on se rend bien compte qu'on a toujours fait fausse route en envisageant ses rapports avec l'existence en termes d'échanges. Le monde n'est pas là pour satisfaire mes désirs et confirmer mes idées. Il est donc indispensable de se rendre compte à quel point la logique de l'échange domine nos vies, même si cette prise de conscience est douloureuse.

La vraie pratique, la spiritualité authentique, commence quand on constate la faillite de l'échange et de l'attente. Il n'y a pas de meilleur véhicule pour avancer sur la voie. La déception est un ami précieux et un guide infaillible, même si ce n'est pas tout à fait le genre d'amitié dont nous avions rêvé!

Résumons-nous : lorsque nous agissons à partir d'une expérience immédiate – comme quand on ramasse un grain de raisin tombé par terre – nos actes répondent aux nécessités du moment. Ce sont donc des actes spontanés, sans manipulation de la réalité. À l'inverse, les actes qui découlent de la volonté du moi ressemblent aux diktats d'un tyran qui voudrait soumettre le monde entier à ses désirs. En voulant plaquer ses idées et ses désirs sur la réalité, on manipule le monde et les autres pour arriver à ses fins. C'est une vie de calcul, étrangère à la compassion qui, elle, donne sans rien attendre de personne. La compassion ne connaît pas l'échange.»

Charlotte Joko Beck, La logique de l’échange (Soyez zen ... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket 1990)

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Je pensais aux réfugiés de Fort McMurray qui ont soudainement tout perdu – maison, pickup, mode vie, travail, etc. Plus rien, nada. Même si je n’aime pas cette ville, parce que c'est un symbole rutilant de la mainmise pétrolière, je suis profondément peinée pour ses habitants. Et, je pense aussi aux animaux en train de griller vifs dans les boisés adjacents; je ne peux imaginer pire supplice que de brûler vif encore conscient.

Malheureusement les incendies continuent de progresser tantôt vers nord, tantôt vers le sud, selon la direction des vents qui change constamment. Pourraient-ils atteindre les zones d’exploitation pétrolière elles-mêmes? J'en doute. Car les 142 200 km2 de forêt boréale, de tourbières et de zones humides (les poumons de la province!) qui couvraient les gisements ont été rasés. Le plus important site est celui de l'Athabasca, situé autour de Fort McMurray. J’ai confiance que les grandes compagnies pétrolières internationales qui investissent dans l’exploitation vont voir à une reconstruction. Peut-être pas par compassion envers les travailleurs, mais parce qu’ils ont besoin de main-d'oeuvre. Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sables_bitumineux_de_l%27Athabasca

Plusieurs réfugiés disaient que c’était infernal à mesure que les bombonnes de gaz propane et les réservoirs d’essence explosaient. Paradoxal de voir ces milliers de gros pickups pétrolivores (une des images de marque de la région) défiler sur la route.

Quoiqu'on pense de Fort McMoney, il s'agit quand même d'un horrible désastre à la hauteur des scénarios apocalyptiques du cinéma. Au moins, il n'y a pas de morts, contrairement au Moyen-Orient – on ne compte plus les morts dans les populations civiles qui vivent quotidiennement ce genre de tragédies.

Ainsi, nos expériences d’impermanence peuvent varier en gravité, et parfois être radicales et tragiques. Néanmoins, nous avons de multiples occasions de pratiquer le détachement au quotidien, en prévision des vrais coups durs... si jamais il s’en présente un sur notre chemin.

L’impermanence

- L’impermanence de toute chose et de tout être est une des données inéluctables de la vie; il suffit d’y réfléchir un peu pour le constater, en soi et autour de soi.
- Si la notion d’impermanence peut paraître simpliste par son évidence, elle s’avère d’une importance cruciale pour comprendre le non-soi, ou l’absence de réalité absolue du moi et des choses, un des postulats essentiels de la philosophie bouddhique. La plupart des religions croient à une forme de réalité absolue et affirment l’existence d’un Dieu, de plusieurs dieux ou divinités, d’une âme, de l’atman (hindou), d’un surmoi ou de toute autre entité. Une bonne compréhension de la notion d’impermanence permet de se rendre compte que ces soi-disant entités permanentes se décomposent pratiquement à l’infini en éléments et attributs divers qui sont eux-mêmes sujets aux changements dus à l’impermanence de la vie (ce qui rejoint les dernières avancées de la science contemporaine). Quand on examine la nature de la réalité avec un esprit attentif et lucide, il est impossible de trouver ne serait-ce qu’une seule caractéristique immuable, et donc ontologiquement réelle, qui corresponde aux réalités illusoires créées par l’intellect.

Charlotte Joko Beck, Glossaire (Soyez zen ... en donnant un sens à chaque acte à chaque instant; Pocket 1990)

Mon plus grand ami m’a dit un jour à ce propos :
«Tout est éternel. Sauf que dans le monde du temps, il y a un début, une durée et une fin – les glaciers de l’Arctique, les fleurs, toi et moi…» (P.F.)

Si les humains pratiquaient seulement les trois premiers préceptes du noviciat bouddhique, notre monde fonctionnerait déjà mieux :
1. Ne pas tuer  
2. Ne pas voler  
3. Ne pas mentir



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Artiste : Joe Webb

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