4 décembre 2015

La beauté du monde obscurcie

Photo : site CRAN des femmes

Il y a des jours où il faut se bercer d’illusions pour continuer d’espérer un monde meilleur.

Je lisais tantôt que la population américaine s’élève à 317 millions et qu’il y a 357 millions d’armes à feu en circulation. À la suite d’une récente fusillade, je ne sais plus laquelle (y en a tellement!), il se vendait 2 armes à feu à la seconde chez nos voisins. Selon le site Shooting Tracker, plus d'une tuerie faisant plus de quatre victimes est survenue chaque jour, en moyenne, sur le territoire des États-Unis. La chercheuse à la Hoover Institution de l'Université Stanford estime que 30 000 Américains (une moyenne de 90 par jour) meurent chaque année sous les balles, par règlements de compte, accidents, tueries de masse ou autres. Dans le temps du Far West y’avait pas mal moins de monde, mais là, s’ils se mettent à tous s’entretuer aux coins des rues en même temps... 
   Une société indépendante lancera en janvier un canal de télé-achat baptisé GunTV; les gens pourront commander par téléphone ou sur internet des armes et des accessoires militaires. Un Big Mac pis une frite avec ça? La bande-annonce sirupeuse affirme que la population américaine est la mieux armée de la planète et que c’est une source de revenus extraordinaire. No doubt. 
   Les associations et les propriétaires d’armes se battent comme diables dans l’eau bénite à chaque fois qu’il est question de registre et de contrôle. Ils ressortent leur disque rayé – «le fusil n’est pas dangereux, c’est l’utilisateur qui l’est; celui qui veut tuer peut aussi bien se servir d’une arme blanche». Tiens donc! Sauf qu’avec une mitrailleuse, il peut tuer/blesser 50 personnes en 5 minutes. 
   Aux États-Unis en 2014 
   - tueries de masse : 116 
   - tueries dans les écoles (après Newtown) : 74

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Le poète, fuyant les «ténèbres balkaniques», s’installa à Paris avec son épouse en 1933. Puis... vinrent les «ténèbres germaniques» de la seconde grande guerre. Pas de chance. Pourtant, il voulait croire en la bonté de l’homme.

Rien n’obscurcira la beauté de ce monde
Ilarie Voronca *

Rien n’obscurcira la beauté de ce monde
Les pleurs peuvent inonder toute la vision. La souffrance
Peut enfoncer ses griffes dans ma gorge. Le regret,
L’amertume, peuvent élever leurs murailles de cendres,
La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit, 
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Nulle défaite ne m’a été épargnée. J’ai connu
Le goût amer de la séparation. Et l’oubli de l’ami
Et les veilles auprès du mourant. Et le retour
Vide, du cimetière. Et le terrible regard de l’épouse
Abandonnée. Et l’âme enténébrée de l’étranger, 
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Ah! On voulait me mettre à l’épreuve, détourner
Mes yeux d’ici-bas. On se demandait : «Résistera-t-il?»
Ce qui m’était cher m’était arraché. Et des voiles
Sombres, recouvraient les jardins à mon approche
La femme aimée tournait de loin sa face aveugle
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Je savais qu’en dessous il y avait des contours tendres, 
La charrue dans le champ comme un soleil levant, 
Félicité, rivière glacée, qui au printemps
S’éveille et les voix chantent dans le marbre
En haut des promontoires flotte le pavillon du vent
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Allons! Il faut tenir bon. Car on veut nous tromper,
Si l’on se donne au désarroi on est perdu.
Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle.
Un rideau que l’on baisse sur le jour éclatant,
Rappelle-toi les douces rencontres, les serments,
Car rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Il faudra jeter bas le masque de la douleur,
Et annoncer le temps de l’homme, la bonté,
Et les contrées du rire et la quiétude
Joyeux; nous marcherons vers la dernière épreuve
Le front dans la clarté, libation de l’espoir,
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.

Beauté de ce monde, Le Sagittaire, 1940

* Ilarie Voronca, de son vrai nom Eduard Marcus (1903-1946), est un poète et écrivain d’origine roumaine; il obtint la nationalité française en 1938.

Via : http://bernardlherbier.unblog.fr/2011/10/13/p-rien-nobscurcira-la-beaute-de-ce-monde-ilarie-voronca/

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L’Offrande lyrique
Rabindranath Tagore

(Traduction : André Gide, 1913)

Extrait

Le même fleuve de vie
Qui court à travers mes veines nuit et jour
Court à travers le monde
Et danse en pulsations rythmées.
C’est cette même vie qui pousse à travers
La poudre de la terre sa joie
En innombrables brins d’herbe,
Et éclate en fougueuses vagues de feuilles et de fleurs.
C’est cette même vie que balancent flux et reflux
Dans l’océan-berceau de la naissance et de la mort.
Je sens mes membres glorifiés au toucher de cette vie universelle.
Et je m’enorgueillis,
Car le grand battement de la vie des âges
C’est dans mon sang qu’il danse en ce moment.

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