11 décembre 2015

Coupable de quoi exactement?

Raif Badawi croupit derrière les barreaux depuis maintenant trois ans et demi pour avoir exprimé ses opinions, notamment sur la place de la religion dans la société saoudienne, les droits des femmes et la démocratie. Ensaf Haidar recevra au nom de son mari le prix Sakharov 2015, une prestigieuse récompense honorant les défenseurs des droits de la personne et des libertés fondamentales que le Parlement européen a attribuée cette année à Raif Badawi. Il semble qu’il ait été transféré dans une nouvelle prison réservée aux prisonniers dont le dossier est «clos». Raif Badawi aurait entrepris une grève de la faim. (LaPresse)

À mon avis, nos gouvernements fédéral et provincial sont «frileux» et ne poussent pas très fort pour faire avancer la cause. Sans doute en raison d’intérêts politico-économiques occultes. En passant, un article intéressant de Stéphane Stapinsky sur l’ambigu projet de loi 59 :  
   L’islamisme en terre québécoise, ou Les mille et une nuits de Philippe Couillard  
   Cette première version du projet de loi [59], avec son désir apparent de ménager la chèvre et le chou, est-il un reflet des ambigüités et de la confusion manifestés par le premier ministre sur la question de l’intégrisme et de l’islamisme en général? S’il agit avec prudence (certains diront : mollesse), est-ce uniquement en raison de son adhésion au multiculturalisme officiel et avec le souci de ménager la base électorale historique du Parti libéral? Sachant que l’Arabie saoudite finance certains centres et certaines mosquées qui prêchent un islam faisant peu de compromis avec la modernité, Philippe Couillard aura-t-il tendance à appuyer sur le frein, compte tenu du lien particulier, sinon privilégié qu’il entretient avec ce pays? (2015-11-27) http://agora.qc.ca/documents/lislamisme_en_terre_quebecoise_ou_les_mille_et_une_nuits_de_philippe_couillard

Disons par exemple que je n’aime pas les comportements misogynes de mon beau-frère, et que je ne me gêne pas pour critiquer – pas lui, sa misogynie. Suis-je raciste? Ou suis-je une beaufrèrophobe convaincue que tous les beaux-frères sont misogynes? Incroyables toutes ces «...o-phobies» qui ne servent qu'à semer toujours plus de confusion.

Ce «cri de fureur» de Louise Ackermann, adressé à Pascal, vaut pour tous les théologiens, moralistes, prêcheurs et défenseurs (intégristes) des grandes religions monothéistes. Était-ce de la propagande haineuse contre les chrétiens ou simplement une critique des objets de la Foi? En tout cas, quelques siècles plus tôt elle aurait passé au bûcher de l’Inquisition pour s’être «vider le cœur», c’est sûr. 


Holy Inquisition (Dark History, strange images) https://frankzumbach.wordpress.com/2012/01/page/189/

Le Dieu de Pascal
Louise Ackermann (1813-1890), poétesse française 

Un dernier mot, Pascal! À ton tour de m'entendre
Pousser aussi ma plainte et mon cri de fureur.
Je vais faire d'horreur frémir ta noble cendre,
Mais du moins j'aurai dit ce que j'ai sur le coeur.

À plaisir sous nos yeux lorsque ta main déroule
Le tableau désolant des humaines douleurs,
Nous montrant qu'en ce monde où tout s'effondre et croule
L'homme lui-même n'est qu'une ruine en pleurs,
Ou lorsque, nous traînant de sommets en abîmes,
Entre deux infinis tu nous tiens suspendus,
Que ta voix, pénétrant en leurs fibres intimes,
Frappe à cris redoublés sur nos coeurs éperdus,
Tu crois que tu n'as plus dans ton ardeur fébrile,
Tant déjà tu nous crois ébranlés, abêtis,
Qu'à dévoiler la Foi, monstrueuse et stérile,
Pour nous voir sur son sein tomber anéantis.
À quoi bon le nier? dans tes sombres peintures,
Oui, tout est vrai, Pascal, nous le reconnaissons :
Voilà nos désespoirs, nos doutes, nos tortures,
Et devant l'Infini ce sont là nos frissons.
Mais parce qu'ici-bas par des maux incurables,
Jusqu'en nos profondeurs, nous nous sentons atteints,
Et que nous succombons, faibles et misérables,
Sous le poids accablant d'effroyables destins,
Il ne nous resterait, dans l'angoisse où nous sommes,
Qu'à courir embrasser cette Croix que tu tiens?
Ah! nous ne pouvons point nous défendre d'être hommes,
Mais nous nous refusons à devenir chrétiens.
Quand de son Golgotha, saignant sous l'auréole,
Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés,
Et quand il laisserait sa divine parole
Tomber pour les guérir en nos coeurs ulcérés;
Quand il ferait jaillir devant notre âme avide
Des sources d'espérance et des flots de clarté,
Et qu'il nous montrerait dans son beau ciel splendide
Nos trônes préparés de toute éternité,
Nous nous détournerions du Tentateur céleste
Qui nous offre son sang, mais veut notre raison.
Pour repousser l'échange inégal et funeste
Notre bouche jamais n'aurait assez de Non!
Non à la Croix sinistre et qui fit de son ombre
Une nuit où faillit périr l'esprit humain,
Qui, devant le Progrès se dressant haute et sombre,
Au vrai libérateur a barré le chemin;
Non à cet instrument d'un infâme supplice
Où nous voyons, auprès du divin Innocent
Et sous les mêmes coups, expirer la justice;
Non à notre salut s'il a coûté du sang;
Puisque l'Amour ne peut nous dérober ce crime,
Tout en l'enveloppant d'un voile séducteur,
Malgré son dévouement, Non! même à la Victime,
Et Non par-dessus tout au Sacrificateur!
Qu'importe qu'il soit Dieu si son oeuvre est impie?
Quoi! c'est son propre fils qu'il a crucifié?
Il pouvait pardonner, mais il veut qu'on expie;
Il immole, et cela s'appelle avoir pitié!

Pascal, à ce bourreau, toi, tu disais : «Mon Père.»
Son odieux forfait ne t'a point révolté;
Bien plus, tu l'adorais sous le nom de mystère,
Tant le problème humain t'avait épouvanté.
Lorsque tu te courbais sous la Croix qui t'accable,
Tu ne voulais, hélas! qu'endormir ton tourment,
Et ce que tu cherchais dans un dogme implacable,
Plus que la vérité, c'était l'apaisement,
Car ta Foi n'était pas la certitude encore;
Aurais-tu tant gémi si tu n'avais douté?
Pour avoir reculé devant ce mot : J'ignore,
Dans quel gouffre d'erreurs tu t'es précipité!
Nous, nous restons au bord. Aucune perspective,
Soit Enfer, soit Néant, ne fait pâlir nos fronts,
Et s'il faut accepter ta sombre alternative,
Croire ou désespérer, nous désespérerons.
Aussi bien, jamais heure à ce point triste et morne
Sous le soleil des cieux n'avait encor sonné;
Jamais l'homme, au milieu de l'univers sans borne,
Ne s'est senti plus seul et plus abandonné.
Déjà son désespoir se transforme en furie;
Il se traîne au combat sur ses genoux sanglants,
Et se sachant voué d'avance à la tuerie,
Pour s'achever plus vite ouvre ses propres flancs.

Aux applaudissements de la plèbe romaine
Quand le cirque jadis se remplissait de sang,
Au-dessus des horreurs de la douleur humaine,
Le regard découvrait un César tout puissant.
Il était là, trônant dans sa grandeur sereine,
Tout entier au plaisir de regarder souffrir,
Et le gladiateur, en marchant vers l'arène,
Savait qui saluer quand il allait mourir.
Nous, qui saluerons-nous? à nos luttes brutales
Qui donc préside, armé d'un sinistre pouvoir?
Ah! seules, si des Lois aveugles et fatales
Au carnage éternel nous livraient sans nous voir,
D'un geste résigné nous saluerions nos reines.
Enfermé dans un cirque impossible à franchir,
L'on pourrait néanmoins devant ces souveraines,
Tout roseau que l'on est, s'incliner sans fléchir.
Oui, mais si c'est un Dieu, maître et tyran suprême,
Qui nous contemple ainsi nous entre-déchirer,
Ce n'est plus un salut, non! c'est un anathème
Que nous lui lancerons avant que d'expirer.
Comment! ne disposer de la Force infinie
Que pour se procurer des spectacles navrants,
Imposer le massacre, infliger l'agonie,
Ne vouloir sous ses yeux que morts et que mourants!
Devant ce spectateur de nos douleurs extrêmes
Notre indignation vaincra toute terreur;
Nous entrecouperons nos râles de blasphèmes,
Non sans désir secret d'exciter sa fureur.
Qui sait? nous trouverons peut-être quelque injure
Qui l'irrite à ce point que, d'un bras forcené,
Il arrache des cieux notre planète obscure,
Et brise en mille éclats ce globe infortuné.
Notre audace du moins vous sauverait de naître,
Vous qui dormez encore au fond de l'avenir,
Et nous triompherions d'avoir, en cessant d'être,
Avec l'Humanité forcé Dieu d'en finir.
Ah ! quelle immense joie après tant de souffrance!
À travers les débris, par-dessus les charniers,
Pouvoir enfin jeter ce cri de délivrance :
«Plus d'hommes sous le ciel, nous sommes les derniers!»

(1871) 

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