6 décembre 2014

Musique et mots de circonstance

Tableau de Claude Monet

Hier, je furetais dans les archives d’ICI Radio-Canada concernant le drame de l’École polytechnique. 
       À l’émission Ici comme ailleurs du 8 décembre 1989, animée par Michel Desautels, on a diffusé les commentaires à la fois touchants et lucides de Pierre Bourgault – «La plus grande des peines».
Audio :
http://archives.radio-canada.ca/societe/criminalite_justice/dossiers/382/
Ou transcription :
http://cyberie.qc.ca/jpc/2004/12/polytechnique.html

Il disait entre autres :
«Et en général dans ces cas-là, moi je n’éprouve pas de sentiments partagés. Je n’en ai qu’un qui s’appelle la peine. (...)  
       Et il y a finalement, si je voulais résumer, ce que j’appellerais ‘l’esclavage généralisé des femmes’. On les a parquées dans des rôles de soumission totale depuis toujours, et c’est au moment où les progrès commencent à se faire qu’on s’aperçoit évidemment que le ‘backlash’ peut être terrible. Et le crime qui nous occupe aujourd’hui, moi, je ne crois pas que ce soit l’expression de la misogynie généralisée historique des hommes. Je pense plutôt qu’il est l’expression extrême du ‘backlash’ face au mouvement de libération des femmes. (...)
       Je vois l’événement d’il y a deux jours comme un réquisitoire violent qui nous fait un résumé absolument saisissant de la souffrance plusieurs fois millénaire des femmes. Si quelqu’un ne comprend pas à partir du symbole que le tueur nous met en pleine face aujourd’hui, c’est qu’il ne peut pas comprendre. L’inavouable et l’inavoué apparaissent tout à coup dans toute leur clarté. Voilà la condition des femmes. C’est ce qu’on nous dit, violemment, durement. (...) 
       ... Parce que, au-delà de tous nos discours, il y a une chose que nous partageons, pour le meilleur et pour le pire : c’est la condition humaine. Généreuse et monstrueuse tout à la fois. Je ne crois pas que les hommes soient meilleurs que les femmes, et je ne crois pas que les femmes soient meilleures que les hommes en aucune façon. 
       Alors voilà... Je pense que je n’ai pas grand-chose à ajouter à la peine que je ressens. J’ai la plus grande peine. Je pense que devant une femme qui pleure, devant un homme qui pleure, devant un enfant qui pleure, on devrait toujours éprouver la plus grande des peines.»

The Tree, musique de Grégoire Hetzel



Au Féminin

Vais-je traîner toute ma vie
en moi cette sorte de litanie
qui ne me laisse point de repos
et met ma conscience en morceaux?

Car voyez-vous, quoi que je fasse,
toujours quelque chose me tracasse
et mes actes les plus louables
au fond de moi me crient : coupable!

Coupable je suis, sachez-le.
Comment, pourquoi importent peu
car mes réponses mille fois reprises
sans fin en moi se contredisent.

Coupable je suis de telle sorte
qu’à y penser toute chose me porte
et mes regrets sempiternels
me sont punition éternelle.

Ainsi donc, n’ayant nulle paix,
de moi-même faisant le portrait,
je rumine l’énumération
de mes actions et inactions…

J’adore me prélasser au lit,
lisant, me cultivant l’esprit.
Mais le remords, comme un démon,
sitôt m’insuffle son poison.

Alors je m’attèle à la tâche
et comme une brute, fais le ménage,
mais en même temps je me répète :
ma fille, tu seras toujours bête!

Je veux, ai-je raison ou tort?
aussi m’occuper de mon corps
pour être épouse désirable
d’un effet quelque peu durable.

Mais dès qu’à mes soins je m’adonne,
une voix perfide me chantonne :
tu as raison, ne pense qu’à toi,
ils attendront pour le repas!

Alors, retrouvant mes casseroles,
échevelée et l’air d’une folle,
je me redis dans un sermon :
toujours seras-tu une souillon?

Parfois, avide de détente,
je me complais à ce qui tente,
croyant voler quelques bonnes heures
au temps à consacrer ailleurs.

Mais au lieu de me réjouir,
je ne cherche qu’à troubler ma fête
car de mes cent tâches non faites,
je me punis comme à plaisir!

Ainsi donc, n’ayant nulle paix…
De moi-même faisant le procès…

~ Esther Granek (Ballades et réflexions à ma façon, 1978)

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Toutes les femmes, même les plus «libérées», éprouvent cette culpabilité décrite par Esther Granek. Asservissement et soumission : un conditionnement patriarcal transmis d’une génération à l’autre depuis des temps immémoriaux, inscrit dans nos gènes en définitive...
Sommes-nous obligés d’endurer l’hostilité, la torture, le meurtre, la guerre, la pauvreté, le cancer, la pédophilie, le viol du corps et de l’âme? Faut-il continuer de compenser le véritable amour avec sa contrefaçon, cet attachement égoïste, possessif, offert avec un élastique : «je vais t’aimer à la condition que tu…»? NON. Sommes-nous obligés de subir la nourriture, l’eau et l’air empoisonnés, la vermine et la puanteur industrielle? NON.

À quand un vrai contrôle des armes à feu (même celles de chasse)?
À quand la fin de la violence conjugale/familiale?
À quand la sauvegarde complète de l’eau, de la faune et des terres?

2 commentaires:

  1. Anonyme17.1.15

    Merci de cette belle présentation de mon poème. L'intervalle entre les strophes a été
    respecté, j'apprécie. Voyez mes poèmes sur Poetica.fr J'ai mis certains de mes
    textes en musique. Qui, dans votre entourage, pourrait être intéressé ?
    Esther Granek egranek@hotmail.com

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    1. Chère Madame Granek,

      J’aime TOUT ce que j’ai lu de vous jusqu’à maintenant. Votre écriture limpide va droit au cœur. J’ai publié quelques-uns de vos poèmes ici et là (il y en a toujours un qui convient au thème), mais je me limite car je ne veux pas abuser.

      Il me ferait plaisir d’ajouter ce lien http://www.freewebs.com/esthergranek/ et un complément biographique de votre choix si vous le souhaitez.

      Avec un immense merci pour vos écrits.

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