Un documentaire intéressant : La dictature du bonheur (zone vidéo de Télé
Québec). Sur
Facebook et Instagram, on affiche des vies parfaites alors que parfois, dans
l'intimité, tout s'écroule. Le bonheur est devenu un impératif social, au même
titre que la minceur, la beauté et la réussite. Dans La dictature du bonheur, Marie-Claude
Élie-Morin cherche à mieux comprendre
cette recherche obsessive du bonheur qui occupe notre époque, avec un regard à
la fois journalistique et humain. Disponible jusqu'au 25 octobre 2019. http://zonevideo.telequebec.tv/media/30118/la-dictature-du-bonheur/la-dictature-du-bonheur
Bien sûr, les pensées positives peuvent favorablement
modifier notre humeur. On ne peut pas nier non plus que nos actes motivés par un
mixe de pensées/émotions ont des conséquences à plus ou moins long terme. Mais de là à
croire que nos malheurs et nos bonheurs résultent uniquement de nos pensées
négatives ou positives est irréaliste et plutôt enfantin. C’est ouvrir la porte
à de grandes déceptions, car la vie est plus complexe que ça. De nombreux
imprévus, sur lesquels nous n’avons aucun contrôle (une maladie, un décès, une rupture, par ex.), peuvent changer notre vie.
L’humain étant par nature un insatisfait
chronique il cherche toujours à améliorer son sort. C’est correct. Mais,
on peut programmer/visualiser jusqu’à devenir bleu-banane sans
obtenir de résultat. Il vaudrait mieux apprendre à vivre avec les déceptions
car il y en aura toujours.
J'aime ce qu'en dit Pierre-Yves McSween : «...On pourrait pratiquement définir le bonheur en fonction du degré de satisfaction des attentes. On ne peut pas vraiment mettre un chiffre sur cette satisfaction, mais on peut mettre un ordre de grandeur (égal, plus grand ou plus petit, meilleur ou pire que les attentes). Comme on ne contrôle pas toujours le numérateur de l'équation (le résultat réel), on peut se concentrer sur le dénominateur, c'est-à-dire nos attentes. [...] Un autre principe important dans la gestion des attentes, c'est admettre que les objectifs et les attentes sont en constante évolution. Par conséquent, on doit accepter de les ajuster en fonction des événements de sa vie, et ce, pour le meilleur ou pour le pire.» (Réf. : En as-tu vraiment besoin?, Guy Saint-Jean éditeur, 2016)
En d'autres mots : suis ton coeur, mais n’oublie d’emmener ta
tête...
Complément : un article publié sur Situation
planétaire en mai 2014, plus que jamais pertinent vu le contexte social,
économique et politique actuel...
Buffet
«bonheur à volonté»
Un article rapportait que le mot «bonheur» avait
récemment atteint 75 millions de clics sur Google, et qu’il y avait quelque 40
000 ouvrages sur ce thème chez Amazon.
Taper bonheur dans les moteurs de recherche
peut-il nous aider à devenir plus heureux? Éternelle quête de l’insaisissable
bonheur? Le cherchons-nous au bon endroit? Le vieil aphorisme «le bonheur vient
de l’intérieur» serait-il vrai?
Photo : Ryan Yoon Studio
Extraits :
Les
nouvelles solitudes. Le paradoxe de la communication moderne (2007)
Marie-France
Hirigoyen*
Poche Marabout, 2008
L’injonction
du bonheur – Dans l’ère de la séduction obligatoire, ce qui fait exister,
c’est aussi le regard de l’autre. [...] Que ce soit pour chercher un emploi
ou pour chercher l’âme sœur, il faut veiller à son image. Il faut être beau, en
forme, souriant, détendu, heureux... Ou, à défaut d’être heureux, il faut en
donner l’apparence, sous peine de passer pour un médiocre et un
laissé-pour-compte. Le bonheur est devenu une injonction de notre époque, comme
si ne pas être heureux était l’indice d’une maladie suspecte, et que le
malheur, quelle qu’en soit l’origine, correspondait à un échec personnel.
Réussir
sa vie professionnelle avec le risque de perdre son emploi, réussir son couple
avec les ruptures qui vont immanquablement advenir, élever correctement des
enfants qui n’en font qu’à leur tête, tout cela est source de doute,
d’inquiétude, qu’il ne faut surtout pas montrer. Mais comment trouver un emploi
quand on n’a pas l’air suffisamment battant, comment rencontrer un partenaire
si on a l’air déprimé? Il faut feindre, se montrer accueillant quand on est
fatigué, sourire quand on a envie de râler. On développe ainsi un «faux self» adaptatif, qui amène les
personnes à perdre contact avec leurs véritables sentiments intérieurs et à
vivre une existence dépourvue d’authenticité. [...]
Les
injonctions de notre époque – soyez beaux, riches et performants – ont rendu
insupportable l’échec et la privation. [...]
Pour
faire face à ces contraintes et rester dans la compétition, beaucoup recourent
aux produits psychoactifs. Certains prennent des cocktails vitaminés au réveil
ou, si la journée s’annonce difficile, des excitants de plus longue durée;
puis, en rentrant le soir, quelque chose pour se détendre, et enfin un
somnifère pour dormir. On peut de cette façon s’installer dans la dépendance :
l’addiction est un moyen de lutter contre la dépression, mais elle permet aussi
d’éviter les conflits et de les remplacer par des comportements compulsifs. On
voit aussi fleurir les pathologies addictives, qui amènent à rechercher des
sensations fortes à travers l’alcool, le jeu, les drogues, le sexe ou certains
modes pervers de relations amoureuses. [...] Et à la moindre défaillance, on a
recours aux anxiolytiques ou aux antidépresseurs. (p. 153/156)
Banalisation
de la perversion et fragilité narcissique – …Dans un monde d’apparence, ce
qui importe, ce n’est pas ce que l’on est, mais ce qu’on donne à voir, ce ne
sont pas les conséquences lointaines de nos actes, mais les résultats immédiats
et apparents. C’est la raison majeure qui explique la banalisation de la
perversion : dans tous les domaines s’affirme la tendance à traiter l’autre
comme un objet dont on se sert tant qu’il est utile, et que l’on jette dès
qu’il ne convient plus.
De fait,
nous assistons actuellement à une nette augmentation des pathologies
narcissiques, car ce type de personnalité est hyperadapté au monde moderne. Ces
changements de l’individu moyen sont le reflet des mutations induites par la
vie des entreprises et la guerre économique : conditionné par le mythe de l’Homo oeconomicus engagé dans la «lutte
pour la vie» contre les autres, il tend à être compulsif, toujours dans l’agir;
il manque d’intériorité et reste dans des relations ludiques, superficielles.
Ces individus cultivent cette superficialité qui les protège dans les relations
affectives et évitent tout engagement intime, ce qui les maintient dans une
insécurité affective dont ils se plaignent. Ils cherchent un sens à leur vie et
tentent à tout prix, même aux dépens de l’autre, à combler leur vide intérieur.
[...]
Nos
patients ne viennent donc plus avec des symptômes directement repérables, mais
plutôt pour se plaindre de la dureté du monde extérieur. Au lieu d’exprimer une
vraie interrogation sur l’origine de leur souffrance, ils nous demandent plutôt
de «réparer leur machine», afin qu’elle fonctionne mieux. Sur le plan
psychique, ils sont devenus insensibles, parlent d’un sentiment persistant de
vide qu’ils ne cherchent pas à analyser : ils attendent simplement que nous
trouvions des solutions à ce malaise – comme on demande à son médecin de
prescrire les médicaments stabilisateurs du diabète ou de l’hypertension.
C’est la
fin de l’épaisseur, de la profondeur des sentiments. Tout est superficiel, à
fleur de peau. La moindre remarque entraîne des réactions épidermiques.
L’importance donnée à sa propre image entraîne une fragilité narcissique qui
amène certains à s’écrouler à la moindre critique d’un supérieur hiérarchique
ou d’un ami. De plus en plus de personnes se sentent mal comprises, rejetées,
et toute critique est vécue comme une agression. Ce sentiment de persécution
reflète bien la porosité des enveloppes corporelles et psychiques de ces
personnes : il témoigne qu’elles n’ont pas pu établir dans leur enfance des
barrières de protection leur garantissant un moi autonome : il leur faut donc
se protéger de toute intrusion du dehors et se différencier des autres.
C’est sa
fragilité narcissique qui empêche un individu pervers de voir l’autre comme un
sujet et de compatir à sa souffrance. Et c’est aussi ce qui le pousse à
s’affirmer en harcelant les autres ou en leur pourrissant la vie. Même si tous
les individus narcissiques ne sont pas pervers, on constate bien une
banalisation des comportements pervers : on attache de moins de moins
d’importance à l’autre et on se déresponsabilise. En cas de problème, on ne se
remet pas en question, on en attribue la responsabilité à un tiers.
[...]
...Selon
certains spécialistes, ce mode de fonctionnement serait la conséquence
d’expériences traumatiques, fruit non pas d’événements graves, mais plutôt de
traumas dans l’infraordinaire, le banal, le quotidien.
Y
contribuent sans doute les frustrations éprouvées par celles et ceux qui
avaient cru aux promesses des politiques, des médias ou de la publicité,
donnant à croire qu’ils pourraient satisfaire l’ensemble de leurs désirs. Ces
frustré(e)s qui n’ont pas compris que, pour grandir et devenir autonome, il
fallait renoncer à la satisfaction de tous leurs désirs, se poseront ensuite en
victimes, et certain(e)s réclameront même en justice des compensations
financières pour réparation du dommage de n’avoir pas été comblé.
[...]
Partout
on parle d’estime de soi. [...] … Un vrai travail thérapeutique
devrait nous amener à nous accepter simplement comme des humains imparfaits et
fragiles, à admettre que nous ne sommes pas des surhommes. …Il faut du courage
pour oser accepter ses vulnérabilités, ses fragilités – et ne pas avoir peur de
la dépression éventuelle, pour mieux rebondir ensuite. Il faut accepter que
nous ne sommes que des individus «moyens» et que l’important est d’abord de
travailler à devenir quelqu’un de «bien». [...]
Dans
notre époque de certitudes, les médias font souvent croire que la vie pourrait
être facile et sans souffrance. Mais il est impossible d’avoir une vie sans
anicroches ni difficultés. À rechercher en permanence le bonheur perpétuel, sans
aucune souffrance, on risque de se priver également de toute joie réelle. [...]
Le fait
de douter et de se remettre en question, qui devrait être le signe d’une bonne
santé psychique, est de moins en moins considéré comme une valeur positive.
Est-ce à dire que toute interrogation propice à la réflexion et à la création,
éventuellement douloureuse, devrait être proscrite? On voit que le discours
dominant laisse aussi peu de place à la solitude choisie.
Dans la
même ligne d’efficacité à moindre effort, les manuels de «développement
personnel» multiplient les conseils pour gérer ses émotions, pour améliorer sa
relation à autrui et «développer ses potentiels». Les sectes profitent
d’ailleurs de ce besoin de guide pour proposer toute une floraison de stages de
«reconstruction personnelle» ou de formation en pseudo-psychothérapie.
L’absence de repères rend en effet certains individus extrêmement manipulables
: leur identité est flottante et ces personnes fragiles sont en demande
d’assistance. Elles ont besoin d’être rassurées par une vérité absolue, ce qui
peut les amener à devenir la proie d’un groupe sectaire.
Mais ce
narcissisme de l’inquiétude, loin d’être joyeux ou libérateur, est souvent
synonyme d’un repli sur soi face à la peur du monde : peur de l’autre, peur du
chômage, peur des agressions, peur de la maladie, peur de la vieillesse, mais
surtout peur de ne pas être «conforme». Lorsque l’estime de soi dépend d’abord
de l’admiration que l’on inspire à autrui, l’échec ou le vieillissement entraînent
tristesse et solitude. La tentation est grande de se replier sur soi-même ou de
chercher des compensations amoureuses. Dans cette dernière voie, les sites de
rencontres sur Internet, dont j’ai déjà évoqué le caractère illusoire (1), sont
devenus un recours presque obligé, dont le succès mérite le détour. (p.
156/163)
---
(1) Les
chimères du virtuel – La communication virtuelle nous éloigne encore plus
de la possibilité d’une rencontre qui impliquerait d’oser aller vers l’autre.
Chercher un autre sur Internet, c’est le narcissisme absolu, on reste face à
soi. Désormais, si un individu est trop insatisfait de sa vie, il peut
s’inventer une vie idéale totalement virtuelle, où il ne serait pas harcelé par
son patron, où il serait toujours beau et en bonne santé, bref, où il serait
enfin ce qu’on lui demande idéalement d’être. (p. 137/138)
* Marie-France
Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste et victimologue. Elle s’est
spécialisée dans l’étude de toutes les formes de violence : familiale, perverse
et sexuelle. Elle est l’auteur du best-seller Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien (1998), de Malaise dans le travail. Harcèlement moral,
démêler le vrai du faux (2001), et de Femmes
sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple (2005).
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