Durant toute transformation significative, la saleté, la boue et la puanteur montent à la surface. Nauséabond. Nos vieux systèmes ancrés dans la peur, l’avidité, la corruption, le racisme, la ségrégation, l’égoïsme, le mensonge et l’injustice s’écroulent et doivent être transformés. Néanmoins, plusieurs s’y agrippent. Comme dit le proverbe : ‘si ça brasse sur le navire, ne t’accroche à rien qui traîne sur le pont’.
Principales routes migratoires pour l’Europe par les Balkans :
L’agence Frontex, qui surveille les frontières de l’Union européenne, estime que 60 % des entrées illégales sur le territoire européen ont eu lieu en 2014 par la Méditerranée centrale, c’est-à-dire en Italie et Malte. La périlleuse traversée maritime sur des embarcations souvent fragiles constitue une nouvelle épreuve pour des migrants qui ont déjà derrière eux un long périple. Ainsi, les Érythréens, qui fuient la «prison à ciel ouvert» qu’est devenu leur pays, doivent-ils traverser le Soudan-du-Sud et le Soudan avant de se mettre en quête d’un bateau en Égypte, en Lybie ou en Tunisie. Toujours selon Frontex, un migrant sur cinq tente de pénétrer en Europe par l’est de la Méditerranée, soit en arrivent par la mer sur les îles grecques, soit en transitant par voie terrestre par la Turquie. Beaucoup s’engagent ensuite dans une longue traversée des Balkans afin de rejoindre l’Europe du nord.
Source : Le Monde, 04/09/2015
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/04/comprendre-la-crise-des-migrants-en-europe-en-cartes-graphiques-et-videos_4745981_4355770.html
Album Migration / Titre Road Trip
Étiquette : Nice Up! Records, 4 mars 2016
Artiste : Poirier (collaboration Dubmatix) DJ / producteur, originaire de Montréal, QC http://poiriersound.com/biography-poirier/
«Les sociétés et les gouvernements poussent souvent les individus et les communautés à bout avec des lois violentes, des mesures intenables et le conflit continuel. Ces entités restreignent nos déplacements et nos libertés pour établir un genre de chaos propice à l'exploitation. Il est temps de briser cet étranglement et d'apporter une nouvelle unité non pas motivée par le profit mais par le souci des autres.
Le titre de cet album exprime la réalité de la migration – un problème qui ne peut pas et ne devrait pas être évité en 2016. Pour être juste, la migration a été un problème majeur depuis des siècles et des millénaires. Le monde est constamment en train de se reconfigurer, les gens se déplacent d'un endroit à un autre, cherchant toujours quelque chose de mieux. Les choses changent, le temps avance, et la musique est un point de rencontre, un dialogue. Les idées et la musique se déplacent avec les gens. Rien n'est statique. À travers la musique, nous pouvons encore entendre les traces de ce qui s'est passé il y a des décennies, des siècles et des millénaires. Cet album est fait de plusieurs collaborations, et chacune a une histoire différente, un chemin différent, et tous sont à la recherche d'un meilleur endroit pour vivre et partager.» ~ [Guislain] Poirier
Les clandestins
Des hommes pour la plupart
martyrs du hasard
par une nuit sans lune
sur des esquifs de fortune
commencent leur fuite incertaine
organisée par le passeur
alliance d’argent et de haine
On raconte qu’il est une terre
remède à leur malheur
où la satiété est reine
femme, enfant, père et mère
laissés dans leur contrée lointaine
attendront
que par ces héros
l’abondance advienne
À vous qui faites ripaille
sourds aux damnés de la faim
à vous qui livrez
une inégale bataille
à ceux qui vous tendent la main
accueillez dans vos forteresses
un peu de leur grande détresse
~ Kamal Zerdoumi (poète originaire du Maroc)
Commentaire de l’auteur sur Poética (22 avril 2016) : Ce poème a été écrit entre 2011 et 2012, après la publication de «L’exil et la mémoire» [éditions L’Harmattan]. J’avais alors le projet d’écrire un recueil intitulé «Indomptable espérance». Finalement, j’ai écrit trente poèmes. «Clandestins» est né avant la tragédie des migrants – Syriens en particulier. Le point de départ en fut les clandestins qui transitaient par le Maroc avant de passer en Espagne ainsi que «le passeur», une nouvelle de Le Clézio.
Via : http://www.poetica.fr/a-propos/
Ceci est à moi!
Marie-Noëlle Agniau
Il y a ces petites tentes au milieu des villes, comme autant de balises de détresse. Il y a ces hommes et ces femmes, assis par terre, ceux et celles à qui on a l’habitude de donner, puis les autres, ceux et celles qu’on ignore, comme s’ils n’étaient pas là, recroquevillés, osant à peine lever les yeux. Sans domicile fixe. Les abréviations sont commodes : elles désignent une réalité en la vidant de sa substance. En la déréalisant. SDF. Voilà trois lettres qui finalement font écran. On peut certes s’interroger. Pourquoi abréger cette réalité, cette réalité-là et pas une autre? Pourquoi au contraire ne pas parler des «domiciles fixes» que nous sommes? DF? Non, le langage opère parfois d’étranges réductions et redouble d’une certaine manière ce qui déjà fait défaut. Le sans domicile fixe est privé non seulement d’un «chez-soi» mais plus encore d’un nom propre, singulier, irremplaçable. Il est devenu une abstraction, une vague collectivité, anonyme, quantifiable, observable comme un phénomène objectif. Plus ou moins. Une statistique. Une marge. Il est le fatal horizon quotidien d’une cité qui préférerait le cacher. L’indésirable, un parmi tant d’autres, pour lequel notre mobilier urbain se fait repoussoir. Un être dont l’être serait précisément périphérique. Mais voilà, il y a ces petites tentes au milieu des villes.
Que signale cet abri de fortune? Ce qu’on ne veut pas voir, ce que dissimulaient ces trois lettres. Ce que nous voulions ignorer en passant. Parce que celui ou celle qui n’a pas de «chez-soi» semble nous menacer. Aussi l’oubli de l’autre fonctionne à plein. Le SDF est la part anéantie du regard humain. Cette part est même devenue une habitude sociale. Celle qui consiste à neutraliser d’une manière ou d’une autre ceux qui «gênent». Car leur désordre est trop grand. Mais voilà, il y a des tentes, des tentes au milieu des villes, sur les trottoirs. Elles accrochent le regard, si on veut bien ne pas passer comme avant, faisant semblant de ne pas voir. Quelqu’un est peut-être à l’intérieur. Cette tente nous rappelle les conditions nécessaires de toute intimité, le sens véritable de la «vie privée». Ou comment l’absence de ce que l’écrivain Virginia Woolf appelait une «chambre à soi» (cette sorte de maison intime dans la maison) modifie profondément l’existence humaine.
La sphère du propre. Autre façon de questionner la propriété comme extension du corps et de la personne. Certes, je ne suis pas la chose. Et la chose n’est pas moi. Entre les deux, il y a l’irréductibilité de la personne humaine. Cela dit, le «domicile fixe» garantit les conditions de vie de l’individu, la conservation de sa dignité. Celle-ci passe et passe d’abord par les gestes les plus simples, la satisfaction des besoins vitaux : comme dormir, manger mais aussi se laver. Ce qui est en jeu ne doit pas être perçu seulement comme ce qui exclut l’autre au sens où «ceci est à moi» veut dire «ceci n’est pas à toi». La propriété privée est ici envisagée de manière exclusive et négative. Or il y a un degré en dessous duquel l’absence de propriété signifie l’aliénation de l’homme. Sa possible déshumanisation dont une des formes est la désocialisation. En effet, la propriété est légitime dans la mesure où elle permet la conservation du «propre» : ce qui est à soi mais bien plus ce qui est soi. Elle est une appropriation de la personne par elle-même. D’abord comme corps, comme intégrité physique et morale : cette liaison est nécessaire. De plus, le «domicile fixe» constitue cette synthèse du collectif et du singulier, la possibilité de faire coexister une sorte de vivre-ensemble avec la sphère intime. À part soi. Qui ne regarde que soi. Aussi nier la possibilité même de cette sphère privée (ainsi de tout totalitarisme) revient à nier l’homme en tant que tel. On supprime le nom et le prénom, on réduit à néant (ou à presque rien) la sphère intime, le corps humain et ses besoins. On affame, on épuise, on humilie les forces vitales. On rend impossible ou difficile la propreté. Bref, on assiste à la décomposition de la valeur de la vie d’un homme. L’idée même d’intimité devient suspecte. Toujours trop sacrée. Toujours trop en retrait. Toujours trop «soi». Toujours trop individuelle.
Vivre dehors, sans domicile fixe, pose cette même question de l’intime et de sa nécessaire sauvegarde. La vie propre se réduit au minimum et l’on comprend que certains s’y accrochent comme à la dernière manifestation objective de leur existence : un bout de trottoir, un vieux carton, une vieille couverture. Elle se réduit au minimum, à la vue de tous. Cette vue est insupportable. C’est alors (à supposer qu’elle ait un sens) notre honte qu’on ne veut pas voir. Honte de laisser-faire et de passer son chemin.
(p. 115/117)
Méditations du temps présent
La philosophie à l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan, 2008
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