7 août 2015

La culture du viol vue par un homme sain d’esprit

Donald Trump ne donne pas sa place en matière de propos sexistes – Une journaliste énumérait à Trump les insultes qu’il avait proférées à l’égard des femmes – «grosses cochonnes, baveuses, chiennes dégoûtantes, etc.» Trump s’est défendu en disant que c’était des blagues adressées à l’actrice Rosie O’Donnell, avec qui il avait eu des disputes dans le passé. Il a aussi déclaré qu’il n’avait pas le temps d’être politiquement correct en période électorale. (!)

Mais il y a plus répugnant. La culture du viol fait l’objet de débats sulfureux en ce moment, en raison d’interdictions de séjour et/ou de représentation publique visant deux misogynes notoires : Roosh V et Action Bronson.

Daryush Valizadeh alias Roosh V – Ce blogueur américain est connu pour ses propos misogynes banalisant le viol. À la suite d’une pétition, l’hôtel torontois où il devait donner des conférences les 8 et 15 août a annulé sa réservation. L’homme est interdit de séjour en raison de ses propos haineux et ses incitations à la violence. En 2015, il proposait la légalisation du viol, ni plus ni moins – «comme ça les femmes ne sortiraient pas sans chaperons* et elles apprendraient à protéger leur corps». Dans son livre Bang: The Pickup Bible That Helps You Get More Lays il décrit les meilleures méthodes pouvant convaincre les femmes de se soumettre à des rapports sexuels. Il conseille aux hommes, entre autres, de choisir des femmes ivres ou qui souffrent de troubles alimentaires. Il soutient qu’une relation sexuelle avec une conjointe non consentante ne devrait pas être considérée comme un viol. 
   * Avec le nombre croissant de psychopathes qui courent les rues, ce ne serait pas un luxe de se payer un garde-du corps en effet.

Arian Asllani alias Action Bronson – Le concert du rappeur américain Action Bronson au festival Osheaga de Montréal a été annulé en raison d'une interdiction d'entrée au Canada qui lui a été signifiée. La programmation de ce rappeur, accusé par ses détracteurs de «glorifier le viol» dans ses textes, a déclenché une levée de boucliers jusque dans les rangs politiques. Selon la pétition publiée sur change.org «Action Bronson glorifie le viol, la violence faites aux femmes et même le ‘féminicide’.» Dans sa chanson Consensual Rape Bronson vante le viol collectif d’une femme qu’il a préalablement droguée. Son vidéoclip Brunch met en scène Bronson tranchant un steak sur le corps inanimé d’une femme avant de se montrer en train de la frapper dans le coffre de sa voiture, de lui arracher les cheveux pour ensuite la jeter à l’eau*. (C'est la description qu'on en donne, je ne l'ai pas vu...)
   * Est-ce une simulation ou un meurtre en direct? Nous n’en savons rien. Un cas d’investigation digne d’Interpol...

Catcalling, street harrasment... Et s’ils décidaient de passer à l’acte, comment pourrait-elle se défendre? «Imaginez seulement que partout où vous allez vous avez toujours peur d’être violée. On ne doit pas seulement enseigner aux femmes à se protéger contre le viol mais plus important encore enseigner aux hommes à ne pas commettre de viols.» (Zaron Burnett)

«Les hommes ont peur que les femmes les ridiculisent. Les femmes ont peur que les hommes les tuent.» ~ Magaret Atwood (Mai 2014, #YesAllWomen)

Francine Pelletier, journaliste au Devoir, disait ce matin que les masculinistes craignent que les femmes ne soient plus sexuellement accessibles et veulent remettre les hommes en selle – dernier soubresaut du Néandertalien...

La lumière élimine la noirceur...

Évidemment, et dieu merci, tous les hommes ne sont pas comme ça.

En contrepartie à la promotion de la violence et du viol, j’ai traduit quelques passages d’un article publié à la suite de la tuerie misogyne à Isla Vista (Californie).

A Gentlemen Guide to Rape Culture
(Manuel sur la culture du viol pour gentlemen)

Par Zaron Burnett 
29 mai 2014, Human Parts – Medium

Si vous êtes un homme, vous faites partie de la culture du viol. Je sais ... ça peut sembler rude. Vous n'êtes pas nécessairement un violeur. Mais vous perpétuez les attitudes et les comportements de ce qu’on appelle communément la culture du viol.
     Vous pouvez penser, «Un instant, Zaron! Tu ne me connais pas! Que je sois damné si je te laisse prétendre que je suis une sorte d’adepte du viol. Ce n'est pas mon cas, mon pote!»      Je sais très bien ce que vous ressentez. J’ai eu exactement la même réaction quand quelqu'un m'a dit que je faisais partie de la culture du viol. C’est horrible. Mais imaginez seulement que partout où vous allez vous avez toujours peur d’être violée. C'est quand même pire! La culture du viol aspire tous ceux qui y participent. Mais ne bloquez pas sur la terminologie. Ne vous concentrez pas sur les mots qui vous offensent en ignorant ce vers quoi ils pointent – l’expression «culture du viol» n’est pas le problème. La réalité qu'elle décrit est le problème. 
     Les hommes sont les principaux agents du maintien de la culture du viol.
     Le viol n'est pas exclusivement commis par des hommes. Les femmes n’en sont pas les seules victimes – les hommes violent des hommes, des femmes violent des hommes – mais qu'est-ce qui fait du viol un problème masculin, notre problème, c'est le fait que les hommes commettent 99 % des viols signalés. 
     Pourquoi faites-vous partie de la culture du viol? Eh bien, je n'aime pas le dire, mais c'est parce que vous êtes un homme. 
     Lorsque je traverse un stationnement la nuit et que je vois une femme devant moi, je fais tout ce qu’il faut pour qu’elle soit consciente de moi : a) je ne la surprends pas b) je lui laisse le temps de se sentir en sécurité/confortable et c) si c'est possible, je peux l’aborder de façon clairement amicale afin de lui faire savoir que je ne représente pas une menace. Je le fais parce que je suis un homme. 
     Fondamentalement, je salue chaque femme que je rencontre dans la rue ou dans un ascenseur, ou dans un escalier, ou ailleurs, d'une manière qui indique qu'elle est en sécurité. Je veux qu'elle puisse se sentir à l'aise comme si je n'étais pas là. J'accepte que n’importe quelle femme que je rencontre en public ne me connaît pas, et donc, qu’elle ne voit qu’un homme – qui soudainement est près d'elle. Je dois préserver son espace de sorte que ma présence ne la fasse pas se sentir vulnérable. Voilà le mot clé –vulnérabilité. 
     Je ne sais pas pour vous, mais je ne passe pas ma vie à me sentir vulnérable. J’ai fini par réaliser que les femmes passent la majorité de leur vie sociale avec de perpétuels, inévitables, sentiments de vulnérabilité. Arrêtez-vous et réfléchissez à ça. Imaginez ce que ce serait si vous vous sentiez toujours à risque, comme si vous viviez dans une peau en verre. 
     Les hommes contemporains cherchent le danger. Nous choisissons des aventures et des sports extrêmes pour nous sentir en danger. Nous jouons avec notre vulnérabilité. C’est ainsi que les hommes voient le monde différemment des femmes. (Évidemment, c’est dit en reconnaissant qu'il existe une collectivité dynamique de femmes athlètes qui risquent régulièrement leur sécurité dans des sports extrêmes. Toutefois, les femmes n'ont pas besoin de pratiquer des sports d'adrénaline pour se sentir à risque.) 
     Je mesure 1,80 m. Je m’entraîne et je peux dire que je suis en bonne forme, ce qui signifie que lorsque je suis seul la nuit, je crains rarement pour ma sécurité. Beaucoup d’hommes savent exactement ce que je veux dire. La plupart des femmes n'ont aucune idée de ce que ça représente - d'aller où vous voulez dans le monde, à toute heure du jour ou de la nuit, et de sentir que vous n'aurez pas de problème. En fait, plusieurs femmes vivent exactement l’expérience inverse.
     Une femme doit prévoir où elle va, à quelle heure de la journée, à quelle heure elle arrivera à destination et à quelle heure elle reviendra, le jour de la semaine, si elle sera seule à un certain moment ... et ainsi de suite car les considérations sont beaucoup plus nombreuses qu’on le suppose. Honnêtement, je ne peux pas m’imaginer être obligé de penser à tout ce que je devrais faire pour me protéger à tout moment dans ma vie. Je me réjouis d’avoir la liberté de me lever et de partir, de jour ou de nuit, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, à Westside ou au centre-ville. En tant qu'hommes, nous pouvons profiter de ce luxe extrême qu’est la liberté de choix et de mouvement. Afin de comprendre la culture du viol, rappelez-vous qu'au moins la moitié de la population ne jouit pas de cette liberté.
     C'est pourquoi j’ai changé ma manière d’agir afin que mon langage corporel soit clair, non équivoque, et contribue à réduire la peur chez les femmes ainsi que tous les sentiments qui s'y rattachent. Je vous recommande d’en faire autant. Sérieusement, c’est le moins qu’un homme puisse faire en public pour que les femmes se sentent plus à l'aise dans ce monde que nous partageons. Simplement être prévenant et respecter son espace. 
(...) 
     Puisqu’aucune femme ne peut vous évaluer avec précision à première vue, pas plus que vos intentions, elle présume que vous êtes comme tous les autres hommes. Dans 73% des cas, les femmes connaissaient le violeur. Alors, si elle ne peut pas faire confiance et évaluer avec précision les intentions des hommes qu'elle connaît, comment peut-on s'attendre à ce qu'elle vous évalue correctement, vous, un parfait étranger? La prévention du viol ne consiste pas seulement à enseigner aux femmes comment éviter de se faire violer – il s'agit d’enseigner aux hommes à ne pas commettre de viol.
     La prévention du viol c’est aussi faire comprendre aux hommes que «non» ne veut pas dire «oui», que lorsqu'une femme est trop ivre/droguée pour répondre, cela ne veut pas dire «oui», que le fait d’être dans une relation de couple ne signifie pas «oui». Plutôt que de se concentrer sur la façon dont les femmes peuvent éviter le viol, ou comment la culture du viol fait en sorte qu’un homme innocent se sente suspect, notre attention devrait porter sur la question suivante : comment pouvons-nous, en tant qu'hommes, empêcher les viols de se produire, et comment pouvons-nous démanteler les structures qui le permettent et changer les attitudes que le tolèrent? 
     Puisque vous en faites partie, vous devriez savoir en quoi consiste la culture du viol.
     Selon le site web Marshall University's Women's Centre :
La culture du viol est un environnement dans lequel le viol est répandu et où la violence sexuelle envers les femmes est normalisée et excusée dans les médias et la culture populaire. La culture du viol se perpétue à travers l'utilisation du langage misogyne, de la chosification du corps des femmes et de l'apologie de la violence sexuelle, créant ainsi une société qui méprise les droits des femmes et leur sécurité.

Exemples d’attitudes et de comportements associés à la culture viol :
- blâmer la victime («elle l’a cherché!»)
- banaliser l'agression sexuelle («les gars sont des gars!»)
- proférer des blagues sexuelles explicites
- tolérer le harcèlement sexuel
- gonfler les statistiques de faux viols
- analyser publiquement les vêtements d’une victime, son état mental, ses intentions et son histoire
- promouvoir la violence sexuelle gratuite au cinéma et à la télévision
- définir la «masculinité» comme dominante et sexuellement agressive 
- définir «féminité» comme assujettie et sexuellement passive
- faire pression sur les hommes pour qu’ils «marquent des points» (score)
- faire pression sur les femmes pour qu’elles paraissent «frigides»
- prétendre que seules les femmes s’adonnant à la promiscuité sexuelle sont violées
- prétendre que les hommes ne se font pas violés ou que seuls les hommes «faibles» le sont
- refuser de prendre les accusations de viol au sérieux
- enseigner aux femmes à éviter de se faire violer au lieu d'enseigner aux hommes à ne pas violer 

On constate rapidement que la culture du viol joue un rôle central dans toutes les dynamiques sociales de notre époque. Elle est au coeur de toutes nos interactions personnelles. Elle fait partie de toutes nos mesures sociales, luttes sociales et environnementales. La culture du viol ne porte pas uniquement sur le sexe. Elle est le produit d'une attitude généralisée de suprématie masculine. La violence sexuelle est l’une des expressions de cette attitude. (...) Les hommes ne doivent pas se sentir menacés ou attaqués quand les femmes pointent du doigt la culture du viol – elles nous parlent de notre ennemi commun. Nous devrions les écouter.

Maintenant que vous savez ce qu'est la culture du viol, que pouvez-vous faire pour l’éliminer?
- évitez d'utiliser le langage qui chosifie ou dégrade les femmes
- contestez si vous entendez des blagues dégradantes ou qui banalisent le viol
- si une amie vous dit qu'elle a été violée, prenez-la au sérieux et aidez-la
- réfléchissez de manière critique aux messages diffusés par les médias à la fois sur les femmes, les hommes, les relations de couple et la violence
- respectez l’espace physique d'autrui même dans les situations informelles
- communiquez toujours clairement avec les partenaires sexuels; ne présumez pas le consentement tacite
- définissez votre propre virilité ou votre propre féminité; ne laissez pas les stéréotypes déterminer vos actes
(...) 
     Ne vous limitez pas à être un homme. Soyez un homme exceptionnel. Soyez un être humain.
     Lorsque un partage comme #YesAllWomen se produit et que les femmes du monde entier sont là pour parler de leurs expériences, leurs traumatismes, leurs histoires et leurs points de vue personnels, en tant qu’hommes, nous n'avons pas besoin de participer à l’échange. Ce que nous devons faire, c'est écouter et réfléchir, et laisser leurs témoignages modifier notre point de vue. Notre travail consiste à nous demander ce que nous pouvons faire pour nous améliorer.

[L’auteur propose aussi aux gentlemen d’intervenir lorsqu’ils sont témoins de comportements typiques de la culture du viol : aider les personnes (femmes ou hommes qui montrent des signes de détresse) harcelées ou violentées en public (en alertant les autorités policières, etc.); refuser d’écouter des propos misogynes ou des plaisanteries sur le viol et dire aux collègues ou amis que c’est intolérable, personne n’est obligé de supporter ces conneries, pas plus que le Catcalling.]

Article intégral (en anglais) :
https://human.parts/a-gentlemens-guide-to-rape-culture-7fc86c50dc4c

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En complément (09.08.15) : Je suis en train de terminer L’île sous la mer d’Isabel Allende. Un roman marquant et particulièrement bien documenté. L’histoire débute en 1770, à Saint-Domingue, à la veille des révoltes d’esclaves noirs et métis qui précédèrent l’Indépendance.
 
Peu avant, j’avais lu Tout bouge autour de moi de Dany Laferrière. Je cite :
«Le XXIe siècle a commencé en Haïti le 12 janvier 2010 à 16 h 53. On ne peut pas être plus précis. C’est un événement dont les répercussions seront aussi importantes que celles de son Indépendance, le 1er janvier 1804. Au moment de l’Indépendance, le monde occidental s’est détourné de cette nouvelle république qui a dû savourer seule son triomphe. Tel était le destin de ce peuple qui venait de sortir du long tunnel noir et gluant de l’esclavage. L’Occident a toujours refusé de reconnaître cette arrivée au monde. L’Europe comme l’Amérique lui ont tourné le dos. En fous de solitude, ces nouveaux libres se sont entre-déchirés comme des bêtes. Et depuis, l’Occident donne Haïti en exemple à tous ceux qui voudraient  un jour se libérer de l’esclavage sans sa permission. Une punition qui a duré plus de deux siècles. Tu seras libre, mais seul. Rien n’est pire qu’être seul sur une île. Et voilà qu’aujourd’hui tous les regards se tournent vers Haïti.»
 
On s’imagine qu’esclavage et viol (les deux vont de paire) ça n’arrive qu’ailleurs – en Asie, en Inde, aux Philippines, etc. Mais si vous regardez ces deux documentaires, vous constaterez que c’est omniprésent sur tous les continents, en ce moment même. À vous d’en juger... Vous n’avez pas besoin de comprendre l’anglais pour «comprendre».
 
Rape in The Fields
Lowell Bergman 2015 

Rape in The Fields is the first part of a year-long reporting effort into the systemic abuse of migrant women working in the fruit and vegetable fields, packing plants and industry of the United States. The film travels from the almond groves of California’s Central Valley to the packing plants of Iowa, from the apple orchards of Washington’s Yakima Valley to the tomato fields of Florida, speaking with dozens of women who have been sexually assaulted and abused on the job. What is shown is that in the vast fields and orchards of today’s vast agribusiness, it’s easy for a rapist to stalk his victims, and the systems function in such a way to protect the rapist, rather than the workers. Many workers are also immigrants who dare not even denounce their attackers for fear they’ll be deported. The situation on the whole is rife for ensuring abuses. A Human Rights Watch report published in May of 2014 found that rape and other forms of sexual abuse and harassment of female workers was a common problem. This report sets out to shed a light on that problem and expose the new-style slavery and abuse of workers that still continues to this day.

https://thoughtmaybe.com/rape-in-the-fields/

Rape on the Night Shift
Lowell Bergman 2015

Rape on the Night Shift is a harrowing investigation into the rampant sexual abuse of the many thousands of unseen women who clean the shopping centres, banks and offices of some of the largest companies throughout the United States. The cleaning companies and contractors themselves are some of the largest companies throughout the country and the world. This report follows a prior investigation about systemic abuse of migrant women working in America’s fruit and vegetable fields, as well as packing plants and industry. Both set out to document the many aspects of a booming rape culture, driven in part by the synergy of a failure of criminal prosecutions, the legal system, a culture of pornography, the realities for migrant workers, and a perfect storm for human trafficking.

https://thoughtmaybe.com/rape-on-the-night-shift/ 
 

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