«Il y a un certain nombre de choses qui sont proprement irréalisables pour l’homme, s’il ne les fait pas dans les règles : les choses absurdes.»
~ Bertold Brecht (Dialogues d’exilés)
La psychopathie n’intrigue pas seulement les psychanalystes. De tout temps les hommes se sont interrogés sur les accès de «folie» et les désordres mentaux. Plus nous en saurons sur les psychopathes, les pervers narcissiques et les manipulateurs, mieux nous pourrons nous en garer.
«Nous avons tous été témoins d'attaques perverses à un niveau ou un autre, que ce soit dans le couple, dans les familles, dans les entreprises, ou bien dans la vie politique et sociale. Pourtant, notre société se montre aveugle devant cette forme de violence indirecte. Sous prétexte de tolérance, on devient complaisant. (...)
Ces agressions relèvent d'un processus inconscient de destruction psychologique, constitué d'agissements hostiles évidents ou cachés, d'un ou de plusieurs individus, sur un individu désigné, souffre-douleur au sens propre du terme. Par des paroles apparemment anodines, par des allusions, des suggestions ou des non-dits, il est effectivement possible de déstabiliser quelqu'un, ou même de le détruire, sans que l'entourage intervienne. (...)
Un individu pervers est constamment pervers; il est fixé dans ce mode de relation à l'autre et ne se remet jamais en question à aucun moment. (...) Ces individus ne peuvent exister qu'en "cassant" quelqu'un : il leur faut rabaisser les autres pour acquérir une bonne estime de soi, et par là même acquérir le pouvoir, car ils sont avides d'admiration et d'approbation. Ils n'ont ni compassion ni respect pour les autres. (...) Respecter l'autre, c'est le considérer en tant qu'être humain et reconnaître la souffrance qu'on lui inflige.
La perversion fascine, séduit et fait peur. On envie parfois les individus pervers, car on les imagine porteurs d'une force supérieure qui leur permet d'être toujours gagnants. On les craint car on sait instinctivement qu'il vaut mieux être avec eux que contre eux. (...) Nous avons une indulgence inouïe à l'égard des mensonges et des manipulations des hommes de pouvoir. La fin justifie les moyens.
... Le premier acte de ces prédateurs consiste à paralyser leurs victimes pour les empêcher de se défendre. (...) Il ne s'agit pas ici de faire le procès des pervers - d'ailleurs ils se défendent bien tout seuls -, mais de tenir compte de leur nocivité, de leur dangerosité pour autrui, afin de mieux permettre aux victimes ou aux futures victimes de se défendre.»
~ Marie-France Hirigoyen (Le harcèlement moral, 1998)
J’ai publié des articles sur le sujet dans Situation planétaire (voyez la note 1 à la fin).
En complément, je propose l’excellent documentaire The psychopath next door, où fiction, reconstitutions et témoignages mettent en contexte la proximité avec des psychopathes – un manager, un conjoint, un enfant «né comme ça», et autres.
À voir : http://www.cbc.ca/doczone/episodes/the-psychopath-next-door
Certains experts estiment que les psychopathes sont plus attirés par certaines professions que d’autres. Par exemple, des études révèlent que 10 % des PDG sont probablement des psychopathes. Le classement ci-après (mentionné dans le film) a été compilé par le psychologue d’Oxford Kevin Dutton.
Les professions les plus et les moins convoitées par les psychopathes
Professions avec les taux les plus élevés de psychopathie :
1. PDG
2. Avocat
3. Media (animateur TV/Radio)
4. Vendeur
5. Chirurgien
6. Journaliste
7. Policier
8. Clergyman
9. Gérant
10. Fonctionnaire
Professions avec les taux les plus faibles de psychopathie :
1. Aide soignant
2. Infirmière
3. Thérapeute
4. Artisan
5. Esthéticienne/styliste
6. Travailleur OSBL (Charity worker)
7. Enseignant
8. Artiste (Creative artist)
9. Médecin
10. Comptable
Le pouvoir est l’obsession première du psychopathe; rien de surprenant donc qu’il recherche des postes d’autorité ou d’influence...
Le documentaire présente aussi le pathétique témoignage d’une femme qui décrit l’avant et l’après mariage avec un psychopathe. Ce qu’il faut retenir : si c’est trop beau pour être vrai, c’est que ce n’est pas vrai...
Avis aux personnes empathiques. Les psychopathes ont énormément de facilité à vous détecter; vous êtes une proie idéale car jouer les victimes pour attirer la pitié compte parmi leurs techniques de séduction. Lors d’une recherche, on a constaté que les jeunes psychopathes, bien qu’ils soient eux-mêmes incapables d’éprouver de l’empathie, identifiaient immédiatement les visages empathiques parmi une multitude d’autres (photos).
Les chercheurs déplorent que les médias et le cinéma (j’ajouterais la chanson pop hystérique et violente) valorisent directement et indirectement les psychopathes en les présentant comme des super héros. Il suffit de penser à Frank Underwood dans House of Cards – les gens sont fascinés et l’adorent.
Après tout, la psychopathie peut fort bien s’apprendre quand on n’est pas né avec cette particularité... il ne faut pas grand-chose pour réveiller le barbare ou le tueur virtuel qui sommeille en chacun de nous. Et la façon dont on promeut l’égoïsme et les comportements psychopathes aujourd’hui n’est sûrement pas étrangère à la prolifération des escrocs financiers, des personnalités antisociales, des agresseurs sexuels, des prêcheurs haineux (toutes confessions incluses), des passages à l’acte et des tueries.
Quand même désolant de constater comme il est facile de se laisser éblouir et enfariner par des psychopathes – on n’y voit littéralement que du feu dans certains cas.
Traduction maison du texte accompagnant le documentaire sur cbc.ca :
Le psychopathe d’à côté
Nous avons pour la plupart tendance à penser que le psychopathe est un tueur en série – un monstre comme le colonel Russell Williams, Paul Bernardo ou Clifford Olsen. Mais la plupart des psychopathes ne sont pas tous des criminels violents qui agressent physiquement – ils vivent parmi nous sans être détectés. Les experts estiment qu'entre 1 et 2 % de la population adulte mâle sont psychopathes, ce qui signifie qu'il pourrait y en avoir 300 000 au Canada seulement. Le psychopathe «accompli» pourrait être votre voisin, votre patron, votre conjoint, votre ami.
«Le psychopathe est aussi rationnel que n’importe quel autre humain, sinon plus, parce qu'il n'est pas affecté par le bruit de l'émotion humaine», déclare le Dr. Stephen Porter, professeur de psychologie légale à UBC (University of British Columbia). «Les psychopathes savent discerner le bien du mal dans le sens ‘cognitif’ ou logique du terme, et sont même capables d’accomplir des tâches qui requiert un raisonnement moral, comme nous tous. De nombreux psychopathes sont hautement doués pour imiter les émotions humaines normales, et utilisent leur charisme, la manipulation et l'intimidation pour satisfaire leurs propres besoins.» Il n'est donc pas étonnant que le psychopathe soit si difficile à détecter.
Le Dr Robert Hare, professeur émérite à UBC et psychologue consultant en psychopathie au FBI, a dressé une liste de repères pour déterminer le degré de psychopathie chez des sujets; celle-ci est utilisée par les psychologues dans le monde entier. «Ils veulent les mêmes choses fondamentales que nous, mais en plus, ils ont un besoin démesuré de pouvoir, de prestige, de richesse, etc. La différence se situe au niveau du ‘besoin’ extrême de pouvoir, et du sentiment qu’ils ont droit à tout ce qu'ils veulent et peuvent utiliser n’importe quel moyen pour arriver à leurs fins.»
Ironiquement, la culture nord-américaine nourrit et récompense la psychopathie, les génies sans conscience. Charmants, manipulateurs et impitoyables, ce sont les «Snakes in Suits» (1) qui ne volent pas de banques, mais qui en deviennent les directeurs. Ces «psychopathes accomplis» – ceux qui obtiennent des postes de responsabilité dans la société – peuvent être surreprésentés dans certaines professions reliées à la politique, aux affaires et aux sports.
«Les psychopathes aiment le chaos et détestent les règles, de sorte qu'ils ont tendance à prospérer dans le monde des affaires dont l’évolution est rapide», affirme le Dr Paul Babiak, un psychologue de la ville de New York. «Ils possèdent les caractéristiques du leader idéal. On s'attend à ce que le leader idéal puisse être narcissique, égocentrique, dominant, très énergique, même au point d’être agressif.» Ils sont verbalement violents, sujets à la rage, manquent totalement d'empathie ou n’éprouvent pas de remords. Tout cela en fait des prédateurs naturels.
The Psychopath Next Door examine froidement ceux qui parmi nous agissent sans conscience. Il présente aussi le point de vue de ceux qui espèrent un jour découvrir un traitement pour le psychopathe – un terme inventé à la fin du 19e siècle dont le sens littéral est : «âme en souffrance» (suffering soul).
Y a-t-il des femmes psychopathes?
Oui, les femmes psychopathes existent. Il y a très peu de recherches dans le domaine, mais les études montrent que la psychopathie est beaucoup moins fréquente chez les femmes, et qu’elle tend à se présenter différemment. Elles font preuve d'instabilité émotionnelle, de violence verbale et de manipulation sur les réseaux sociaux, mais elles manifestent moins de comportements criminels et de violence physique que les hommes psychopathes. (2)
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(1) J’avais écrit au sujet de Snakes in Suits en août 2014; j’ai reposté en novembre pour ajouter le «portrait robot du psychopathe» de Robert Hare.
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/11/detecter-les-psychopathes-snakes-in.html
Dans la même veine :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/11/de-gentils-manipulateurs-1.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2013/04/la-communication-perverse.html
(2) J’ai eu le loisir d’en observer une durant une série de cours de Tai Chi. Un formidable déploiement de faux sourires, de minauderies, de pitreries et de questions inutiles pour séduire et sans cesse attirer l’attention. Provocante? C’est peu dire, j’ai appris ce que signifie «syndrome-de-la-princesse-royale-à-qui-on-doit-tout». Elle voulait apprendre à relaxer. Or elle refusait de suivre les instructions et piochait d'un bout à l'autre de la salle comme dans une classe de flamenco. Certains étudiants disaient : «elle devrait prendre du Ritalin, ce serait plus efficace pour soigner son hyperactivité». Un jour, elle a bousculé une étudiante en lui disant de s’enlever parce qu’elle ne voyait pas assez bien la prof, qui d’ailleurs devait constamment la remettre à sa place. Mais heureusement, voyant que ses stratégies ne fonctionnaient pas, Mme Ritalin a quitté avant la fin de la série; en colère et avec une mine de pauvre victime incomprise. Au soulagement de toute la classe, faut-il le dire. Enfin la paix.
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