SCHULZ - blues
Le problème central de la vie – suite
Notre esprit est encombré au point d’être dans la confusion
et de tout compliquer. Quand l’esprit, n’est pas simple, on peut vouloir vivre
simplement, mais on ne vit pas vraiment dans la simplicité.
N’avoir que peu de biens matériels, ne signifie pas qu’on
est simple. Et, quand intérieurement on n’est pas simple, on n’est pas libre.
La liberté ne vient qu’avec la simplicité. De même, on ne peut être humble
quand on est attaché à des possessions ou à un statut social qui nous forcent à
agir suivant l’image que nous voulons avoir de nous-mêmes, à projeter cette
image dans nos actes et notre comportement. On ne peut appeler cela être libre.
De regarder jette en nous un trouble, car la peur étant en nous, notre regard
n’est pas libre. Ainsi, voyant une personne qui souffre, nous nous en
détournons. Bien des gens ne peuvent parler de la mort parce qu’ils la
craignent. Sans la liberté, on ne voit ni n’écoute vraiment. On se projette
dans des situations fictives. L’esprit conditionné et compliqué crée toutes
sortes d’images et de fantasmes. Il vit dans l’illusion et l’irréalité. Être
dans le réel implique l’existence de la solitude intérieure, inconditionnelle
et inconditionnée. La solitude physique n’entraîne pas forcément la solitude
psychologique, car on peut vivre dans celle-là et, à la vue de celle-ci, être
paniqué. Nous voyons donc maintenant pourquoi la liberté est le point central
de la vie; pourquoi elle en est l’élément vital. Peut-être avons-nous le
sentiment que la liberté serait un frein à l’appréciation de la vie, aux expériences
«sensationnelles». Encore une projection de l’esprit conditionné, qui ne sait
franchir ses propres limitations.
Il y a des états transcendant ceux qu’on expérimente avec un
esprit conditionné, mais qui ne se lèvent que dans un esprit libre : la
vraie joie, l’extase, la paix, la sérénité. La joie, c’est la béatitude
intérieure, la paix spirituelle. Elle n’est pas une création du mental, c’est
pourquoi elle ne se lève qu’avec son extinction. Quand le mental agit, pense, imagine,
rêve, on ne peut connaitre la vraie joie. Peut-être vous demandez-vous si,
ayant la liberté, on peut encore expérimenter la douleur. Certes oui, mais elle
perd sa force. L’on peut éprouver une douleur physique ou de la fatigue, par
exemple quand on est resté assis trop longtemps. Mais, comme on sait qu’elle ne
concerne que le corps, elle ne pénètre pas dans l’esprit, en sorte qu’il reste
imperturbé. Le corps sait retrouver sa forme de lui-même Sinon, l’esprit étant
libre, il peut l’aider.
Considérons maintenant la question du moyen d’obtention de
la liberté. Le moyen, c’est aussi la fin; on ne peut séparer l’un de l’autre.
Ce moyen et cette fin, c’est la méditation. Peut-être allez-vous dire que d’apprendre
à méditer en vue d’obtenir la liberté, c’est encore cultiver l’idée de but. En
fait, on ne peut pas méditer vraiment quand on n’est pas libre. C’est pourquoi,
pour la méditation, la qualité primordiale c’est la liberté. Pour pouvoir
observer, que ce soit vos activités, vos sentiments, vos attitudes ou n’importe
quoi d’autre, il vous faut être libres. Parce que si votre observation est
teintée de préjugés, d’idées, vous ne pouvez vous voir tels que vous êtes et,
par-là, la méditation perd son sens. Méditer signifie regarder, observer,
transporter avec soi le miroir de l’attention. C’est grâce à la vision répétée
de nous-mêmes, que notre être intérieur se purifie.
La purification est en quelque sorte une transformation
issue de l’attention soutenue, du mouvement constant d’observation. Il nous faut
observer nos propres pensées; observer tout cela avec soin, sans quoi il ne
peut y avoir de pensées objectives. Toute pensée se conformant à un système,
des connaissances établies ou des croyances, est subjective; elle n’est qu’un
fragment du sujet, un reflet du moi. Avec elle, on ne peut voir la vérité ou un
événement tel qu’il est, on n’en voit qu’une image, un reflet de soi-même. Pour
voir la totalité, il faut pouvoir penser librement. Quand on ne pense qu’à ce
qu’on aime et évite de penser au reste, notre mode de penser procède du
mouvement d’attraction et de répulsion et en cela il n’y a pas de liberté.
L’esprit libre perçoit les choses de façon strictement impersonnelle, avec
clarté et sans se conformer à rien. Seul un tel esprit a des vues justes et une
compréhension vraie, deux qualités figurant du reste dans le Noble Sentier
Octuple, tel que défini par le Bouddha.
La sagesse concerne aussi bien la compréhension que la
pensée. Il ne peut y avoir de compréhension claire en l’absence de pensée claire,
et inversement; les deux sont inséparables. La pensée au sens commun n’est
qu’une réaction de la mémoire ou réaction à un problème. Si, vous trouvant
devant un problème, vous vous dites «Que dois-je faire?», cela signifie que
vous allez réagir selon votre expérience, votre éducation ou vos connaissances.
Il arrive parfois aussi que vous ne vouliez pas penser ou que vous pensiez
trop, auquel cas vous vous paralysez. Il vous faut donc aller à fond dans cette
question d’obtention de la liberté, apprendre à vivre avec elle. Ce faisant,
vous vous instruisez en même temps dans le mode d’action juste puisque, en
sondant les raisons de l’absence de liberté, vous distinguez peu à peu les
empêchements à la liberté et, les voyant, les dépassez.
L’investigation profonde nettoie la demeure intérieure, qui
ainsi augmente en clarté et en pureté. Après quoi, on se sent plus léger, plus
heureux, plus serein. Dans une vie, ou une demeure intérieure dans le désordre
et les complications, il n’y a ni sérénité ni pureté; il n’y a que pesanteur et
agitation. Ce fait-là, il faut l’observer intimement car l’acte même de voir
vous fait comprendre la vérité de la situation observée et, par-là, mène à la
liberté. La méditation juste, c’est observer toutes choses se présentant dans le
champ de la conscience, avec soin et immédiatement, grâce à l’attention
soutenue et la totale réceptivité. La vigilance balaie la pesanteur et la
confusion, rendant l’esprit limpide et le libérant de ses complications. Il
vous faut agir, non pas réagir; ne pas cultiver l’espoir que la liberté
s’établit toute seule, ni méditer avec
l’idée d’obtenir la liberté; dans un cas comme dans l’autre, vous
cultiveriez l’attente et le risque de désappointement et de désarroi, donc la
souffrance. Il est communément admis que c’est l’action qui motive l’agir. Cela
est inexact, l’acte juste étant un acte libre. Il n’est plus besoin d’espérer
que vienne la liberté : elle est là. Quand on travaille à une tâche de façon
appropriée, de tout son être, elle s’accomplit d’elle-même, tandis qu’en
travaillant dans l’espoir d’un résultat, on dissipe son énergie et on se
fatigue. L’énergie s’épuise parce qu’on l’utilise indûment et les problèmes
surgissent parce qu’on ne sait pas la diriger en flot continu.
Le but suprême de toute religion, c’est la libération, même
si elle est connue sous des noms divers : les bouddhistes et les hindous
emploient ce terme, tandis que les chrétiens parlent de communion avec l’Être
suprême, état exempt du sentiment de moi ou d’individualité. La réalisation
suprême, but de toutes les religions, c’est l’extinction complète du moi,
autrement dit la liberté. Quand le moi intervient dans l’action, c’est pour
dicter sa volonté, en cela il n’y a pas de liberté. Évitez d’aller vers les
autorités pour leur demander de vous renseigner sur votre nature ou votre
destin. Regardez en vous-mêmes, observez votre structure mentale et affective,
comprenez comment vous pensez, percevez et agissez. Ainsi, vous apprenez à vous
connaître tel que vous êtes. C’est ce qu’il faut entendre par la pratique de la
méditation.
Si vous voulez atteindre à un stade de méditation encore
plus avancé, il vous faut trouver le temps de rester assis, tranquillement, à
observer vos réactions alors que vous êtes dans le silence, complètement seul
avec vous-même. Cela peut être une expérience effrayante mais, si vous êtes
persévérants, nombre de choses profondément enfouies viendront à la surface de
votre psyché. Toutes vos complications, toutes les choses troublantes que
jusque-là vous réprimiez, monteront au conscient. Réprimées, elles sont très
dangereuses, surtout quand elles sont logées dans l’inconscient. Car, bien que
vous ne soyez pas conscients d’elles, elles agissent tout de même. C’est elles
qui sont la cause des attitudes compulsives, par lesquelles on perd tout
contrôle sur soi-même et subit les situations. La vision de soi est très
importante : elle permet de se connaître tel qu’on est. Soyons disposés à
faire face à nous-mêmes, en sorte de comprendre la vraie structure de notre mental,
le centre à travers lequel nous opérons le plus souvent. Quand on comprend ce
centre, il devient très facile d’affronter toutes les situations, car dès qu’il
y a réaction à un stimulus extérieur, on le voit se mettre en action.
L’aptitude à la maîtrise étant là, le censeur devient inutile. À ce moment
précis, il y a vision, réalisation et compréhension. C’est cela le problème
central de la vie.
V.-R. Dhiravamsa
La voie du
non-attachement Pratique de la méditation profonde
Éditions Dangles
Aucun commentaire:
Publier un commentaire