18 janvier 2013

Dieu n’est pas logique

Collage de Jacques Prévert
Picasso a dit à Prévert en découvrant ses collages :
«Tu ne sais pas peindre, mais pourtant tu es peintre.»   
 
Je n'ai malheureusement pas trouvé le titre de ce collage. 
Il aurait pu s'intituler «L'homme logique»...
 
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Extrait du chapitre XII - Dieu ne peut pas être logique
 
CELA QUI ÉCHAPPE À TOUTE INTERPRÉTATION
 
Tous les dieux, sans exceptions, fabriqués de main d’homme, c’est-à-dire de logique humaine, sont des dieux partiels, c’est-à-dire des dieux personnels.
       Aucun, même le plus haut, n’est le Tout, l’Être, l’Essence, la Vie, l’Amour. Mais Celui ou, plus exactement, CELA qui est échappe à toute formule personnalisatrice et ne peut être que l’Impersonnel.
       Pour essayer de le comprendre, si pauvrement que ce soit, il faut se mettre dans une posture d’humilité spirituelle exclusive de tout appel à la logique et à la raison. Cette constatation a été faite de tout temps et l’on se réfère volontiers à la grande parole de Denys l’Aréopagite : «Nous désirons ardemment demeurer dans ces ténèbres transparentes, et à force de ne pas voir et de ne pas connaître, voir Celui qui est au-delà de la vue et de la connaissance. Car c’est là véritablement voir et connaître et, au moyen de l’abandon de toutes choses, louer Celui qui est au-delà et au-dessus de toutes choses.»
       Bien peu, sans doute, sont capables de ces attitudes, mais n’en fût-il qu’un sur un million, ce serait assez pour nous éclairer. Car il n’est pas indispensable que tous aient les yeux ouverts pourvu qu’en tête du troupeau quelqu’un marche.
       Il y a déjà des conducteurs parmi nous.
 
LA SUPERLOGIQUE ET LE MONDE DES CAUSES
 
Logique et raison ne sont pas un mal en soi mais le fruit de l’intelligence humaine grâce auquel la créature la plus dénuée du monde s’est mise à la tête des règnes animal, végétal et minéral.
       Par malheur l’orgueil a faussé l’appareil initial, et les acquisitions de l’homme, au lieu de le porter à la reconnaissance, l’ont conduit à se croire égal et même supérieur au Divin dont il est issu.
       Chaque âge (mais surtout l’âge moderne) a creusé le fossé qui séparait le Créateur de la créature, si bien que la logique de l’un est de plus en plus différente de la logique de l’autre, au point que Dieu apparaît illogique à l’homme et l’homme illogique à Dieu.
       La divergence s’est muée en opposition et l’opposition en antagonisme, et c’est ouvertement que l’homme moderne est en lutte avec Dieu. Comme Dieu ne se démontre pas logiquement (sans quoi il ne serait pas Dieu)  l’Homme en conclut que Dieu n’existe pas. Et c’est vrai dans un univers logique. Mais, par contre, Dieu est, dans son univers illogique et ce qu’il y pense retentit dans le domaine même logicien.
       De ce que Dieu échappe à la raison, la raison déduit qu’elle échappe à Dieu, ce qui est bien un raisonnement de la partie, incapable de comprendre qu’elle est intégrée dans le Tout.
       Mon dessein, en écrivant ce livre, n’est pas de priver l’homme de sa faculté de logique ni de l’amputer de sa faculté de raisonnement.
       Mon but est de le mettre en garde contre l’insuffisance, l’inégalité, l’exigüité de sa logique dont le déroulement ne peut se faire qu’en vase clos. Même dans l’univers limité que sa raison lui assigne, l’homme n’est pas sûr des lois par lesquelles il l’interprète et doit sans cesse réviser ses calculs.
       Les plus intelligents le savent bien et le grand Ouspensky, mort en 1947, n’a fait que traduire la pensée intérieure de tous les savants véritables dans son Tertium Organum.
       Pour lui, matière et mouvement ne sont, comme bien et mal, que des concepts logiques. Le monde que la Science a érigé pour elle-même est un monde artificiel. Ouspensky a souligné l’irréalité logique de l’existence simultanée de l’esprit et de la matière, l’impossibilité de la raison dans un univers mécanique, l’inconciliabilité du mécanisme et de l’existence de la raison.
       Il a suggéré l’élimination des éléments personnels comme moyen d’approcher de la connaissance véritable.
       Il a démontré la nécessité d’une transition de l’ancienne logique à une logique nouvelle, parce que notre logique est fondée sur les lois du monde phénoménal et s’avère impuissante dans l’étude du monde nouménal.
       Il a enfin prouvé qu’il était temps pour l’homme de se munir d’une logique supérieure, c’est-à-dire d’un instrument de pensée qui lui permette de sonder les mystères de la nature, ce qu’il appelle le côté caché de la Vie, alors qu’il y baigne tout entier.
       Qu’ajouter à cela? Sans doute, comme on l’a vu, que l’art, la musique, la poésie, l’humour permettent d’accéder au domaine secret ou invisible, mais empiriquement, sporadiquement et, peut-on dire, par éclairs.
       L’homme de demain peut prétendre à mieux. L’accès à la connaissance supérieure ne peut rester le privilège d’une avant-garde dispersée. La super-logique, qui doit devenir la nôtre, a besoin d’une plus large expression. Il faut qu’elle trouve ses propres lois et, en quelque sorte, ses assises, de manière que l’élite humaine, sinon la plus grand nombre, y puise un élément de stabilité.
       C’est seulement quand l’humanité se servira normalement de cette super-logique que notre temps actuel apparaîtra comme un âge d’obscurantisme uniquement préoccupé des phénomènes extérieurs.
       L’humain va se dégager du domaine des effets pour entrer dans le monde des causes. Lorsqu’il aura accompli cette évolution ultime il pourra se croire en état de majorité.
       Mais il ne peut le faire seul. Pour ne pas tomber d’une logique incomplète dans une fausse logique, il faut qu’il s’appuie étroitement sur le Divin, donc l’Irrationnel.
       Un anthropologue éminent, R. Broom, s’est avisé que l’évolution physique de l’homme était à peu près achevée et que les forces de Vie semblaient s’efforcer maintenant de hâter sa croissance spirituelle pour parer au déséquilibre menaçant.
       Je pense que cette vue grandiose correspond à une nécessité urgente. C’est à l’homme de s’y prêter, le plus vite possible, s’il désire combler l’abîme qui se creuse entre la matière et l’Esprit.
 
CONCLUSION
 
Heureusement le mal, dans son excès même, comporte le remède approprié aux temps futurs.
       À mesure que certains se haussent jusqu’au Divin, le Divin s’abaisse jusqu’à eux pour leur faciliter l’évolution indispensable.
       Dans son désir de nous adapter à cette Évolution, laquelle va se précipitant ainsi que le démontre sa violence présente, la Puissance Créatrice est amenée à solliciter la collaboration active de l’Homme pour le faire progresser plus rapidement. Et il s’est avéré que tels d’entre nous sont spécialement pesés et triés pour se mettre aux ordres des instances supérieures, ne serait-ce que pour la dignité de leur vie, la clarté de leur intelligence et la noblesse de leur cœur.
       Mais l’Esprit exige plus encore, afin d’être aidé et suivi dans son effort de résurrection de la conscience contemporaine. Il lui importe de sélectionner des cerveaux aptes à diffuser ses nouveaux  et hardis enseignements. Nous en sommes arrivés au point où l’Homme Spirituel va se substituer à l’Homme Mental, tant par modification progressive de la matière grise de ce dernier que par agrandissement de sa faculté de compréhension intérieure.
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Les vieux textes, les vieux dogmes, les vieux rites sont dépassés et le Grand Livre de demain est à naître. Déjà de toutes les religions, de toutes les confessions, de toutes les philosophies se dégagent de vastes courants en direction d’un avenir plus qu’humain.
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La destruction de l’univers purement mental édifié par le scientifisme n’est plus qu’une question d’années au sein d’une incessante et dévorante Création.
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[Le Super-Homme] ne sera plus un vaste corps ni un vaste cerveau, un vaste appétit ni une vaste jouissance mais uniquement une dimension supérieure de la conscience humaine merveilleusement adaptée aux problèmes de l’Universel.
       Tel est le postulat auquel on vous invite à adhérer de toutes les forces de votre âme si vous voulez être parmi les survivants d’un âge près de s’abolir.
       Pour cela tous moyens vous seront donnés en force, en compréhension, en harmonie, si seulement vous en êtes avide, si seulement vous les demandez.
 
~ Georges Barbarin
 
Voyage au bout de la raison
La déroute des logiciens
Éditions de l’Âge d’Or; 1962 (Épuisé)
 
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