1 août 2016

Anne Hébert aurait 100 ans aujourd’hui

En hommage donc à l’une de nos [feues] grandes écrivaines qui, avec Gabrielle Roy, compte parmi mes préférées.

«Mes personnages traduisent physiquement leur douleur. La révolte est tellement obscure, tellement lointaine, tellement forte, que c’est le corps qui la prend. Chez mes femmes le corps est parole», affirmait Anne Hébert en 1976 dans une entrevue accordée à la revue Châtelaine. En butte contre l’ordre social, les héroïnes de ses romans font l’expérience privilégiée de ces instants où le délire – qu’impose un quotidien dominé par l’interdit et le péché – donne accès à une émancipation engagée dans les éclats de rire, l’ivresse ou l’étreinte érotique. Leurs fantaisies reposent sur la transgression et sur une décharge affective généralement considérée comme une expression de désordre individuel.» (Essai Le désir monstrueux dans les récits d’Anne Hébert, MÉLANIE BEAUCHEMIN; Les Éditions Triptyque 2016)


Anne Hébert, 1916-2000, Jacques Godbout, Office national du film du Canada

Anne Hébert, une femme de poésie (Zone libre, Radio-Canada 2000) :
 
«Je crois que, foncièrement, je suis une révoltée. Je n'accepte pas les choses telles qu'elles sont. Quand on a une fois dans sa vie désiré l'absolu, on ne peut pas se contenter de la réalité telle qu'elle est.» ~ Anne Hébert
 
On l'appelait la grande dame de la littérature québécoise. Dans sa vie, elle a osé se mesurer aux grands écrivains du monde. Anne Hébert a connu tous les honneurs. Pourtant, elle est toujours demeurée un mystère, même pour ses proches.
 
Anne Hébert mourait à l'âge de 83 ans, laissant derrière elle une œuvre qui a marqué non seulement la littérature d'ici mais celle du monde entier. Comment cette femme qui incarnait tellement la douceur et la discrétion a-t-elle pu produire une oeuvre aussi empreinte de passion et de violence?
 
Le réalisateur Jacques Godbout a voulu percer le mystère de son amie, en remontant dans son passé. Le directeur photo Michel Brault, également ami de la romancière, a participé à ce documentaire coproduit par l'ONF et Via le Monde.
 
Anne Hébert est née en 1916 à Sainte-Catherine, un petit village situé à une quarantaine de kilomètres de Québec. Issue d'une famille instruite et libérale, elle s'initie très tôt à la littérature au contact de son père, le critique littéraire Maurice Hébert, et de son cousin, le célèbre poète Hector de Saint-Denys Garneau. À 27 ans, elle est très ébranlée par la mort tragique de son cousin, dont elle se sentait très proche.
 
Hector de Saint-Denys Garneau (13 juin 1912 - 24 octobre 1943)
 
«Elle a été incroyablement marquée par son éducation religieuse et le catholicisme, tel qu'il a été pratiqué au Québec au début du siècle, de manière extrêmement traditionnelle. (…) Elle s'est séparée du catholicisme mais jusqu'à quel point, franchement, je ne le sais pas. Moi, j'ai la conviction que c'est ce qu'il y a de plus important dans son œuvre.» ~ Jean-Marie Borzeix, éditeur
 
Anne Hébert mène une vie rangée chez ses parents jusqu'à l'âge de 35 ans. Elle s'établit par la suite en France, où elle vit pendant une quarantaine d'années. Elle s'installe à Paris, dans le Ve arrondissement, et séjourne occasionnellement à Menton, dans le sud du pays.
 
«Le recul que je prends en vivant en France me permet probablement de mieux voir – de voir d'une façon plus détachée probablement, plus nette aussi – de mieux voir mon pays parce que j'ai un peu de recul. Mais j'y retourne très souvent me retremper et vérifier si j'y suis toujours.» ~ Anne Hébert
 
L'écrivaine a reçu de nombreux honneurs littéraires, dont le Prix des libraires, en 1971, pour Kamouraska, et le prix Fémina, en 1982, pour Les Fous de Bassan.
 
«Chaque fois que j'écris quelque chose (…), je ne sais absolument pas comment ça va tourner. Chaque fois, c'est une aventure. Il faut le faire à ses risques et périls. Et c'est justement en risquant de se tromper très profondément qu'on peut faire quelque chose. Il faut prendre ce risque-là au départ. Ce risque est peut-être la part la plus importante de toute œuvre.» ~ Anne Hébert
 
«Elle se trouve à passer en revue toutes sortes de forme d'amour qui sont, finalement, des amours qui dérangent. Soit parce que l'amour débouche sur le meurtre, l'assassinat, c'est le cas dans Kamouraska. Ou alors parce que l'amour comporte une dimension d'inceste, c'est le cas dans Les enfants du Sabbat.» ~ Pierre Hébert, frère d'Anne, seul survivant de la famille Hébert (mise à jour : il est décédé le 7 mars 2010)
 
«C'était une écrivaine de la lumière.» ~ Sheila Fishman, traductrice
 
Anne Hébert fut scénariste à l’Office National du Film au début des années 1950
(par Marc St-Pierre) :  
http://blogue.onf.ca/blogue/2016/06/29/anne-hebert-1916-2000-ecrire-cinema/

Site (non officiel) très complet : Anne Hébert http://www.anne-hebert.com/

Centre Anne Hébert de l’Université de Sherbrooke : http://www.usherbrooke.ca/centreanne-hebert/

À lui seul, le roman Kamouraska comporte cinq versions, totalisant plus de 3000 feuillets manuscrits et dactylographiés. (Centre Anne Hébert de l’Université de Sherbrooke)

Kamouraska d’Anne Hébert : de neige et de fureur
Alexandre Vigneault (La Presse, 20/07/2013)

[...]
Une histoire «vraie»

Kamouraska est «basé sur un fait réel», admet Anne Hébert, dès la première édition du livre, publié en septembre 1970. Elle précise toutefois d'entrée de jeu que son roman est «une oeuvre d'imagination». Les protagonistes réels, dont elle a transformé les noms sont «devenus mes créatures imaginaires au cours d'un long cheminement intérieur», insiste l'écrivaine. 
     Le fait divers auquel la romancière fait référence est l'assassinat d'Achille Taché, seigneur de Kamouraska, par le Dr George Holmes, l'amant de sa femme. Éléonore d'Estimauville, l'épouse en question, a été soupçonnée de complicité, mais a finalement été relâchée. Le Dr Holmes a fui au Vermont et n'a jamais subi de procès.
[...] 
     Anne Hébert est elle-même liée à la famille Taché de Kamouraska, par son grand-père Eugène-Étienne Taché, architecte à qui on doit l'hôtel du Parlement de Québec. L'écrivaine a entendu l'histoire du meurtre d'Achille Taché de la bouche de sa mère, lorsqu'elle était jeune.
[...]

http://www.lapresse.ca/arts/livres/romans-quebecois/201307/19/01-4672459-kamouraska-danne-hebert-de-neige-et-de-fureur.php

Les «faits» selon le Dictionnaire biographique du Canada

JOSÉPHINE-ÉLÉONORE D’ESTIMAUVILLE (Taché / Clément), née le 30 août 1816 à Québec, fille de Jean-Baptiste-Philippe d’Estimauville, officier dans l’armée et fonctionnaire, et de Marie-Josèphe Drapeau; décédée en juin 1893 à Montréal, puis inhumée le 28 aux Éboulements, Québec.

Orpheline de père dès l’âge de sept ans, Joséphine-Éléonore d’Estimauville grandit à Québec, rue Saint-Jean, auprès de ses tantes maternelles et de sa grand-mère, Marie-Geneviève Noël, veuve de Joseph Drapeau. De 1829 à 1831, elle étudia chez les ursulines. Le 16 juillet 1834, elle épousa à Québec Louis-Paschal-Achille Taché, propriétaire d’une partie de la seigneurie de Kamouraska.

Le jeune couple s’établit au manoir seigneurial. Bientôt, Joséphine-Éléonore commença à se plaindre de l’ivrognerie de son mari, de ses absences, des mauvais traitements qu’il lui infligeait et même des menaces de mort qu’il proférait à son endroit. En décembre 1837, elle décida de quitter Kamouraska avec ses deux enfants et d’aller vivre avec sa mère qui habitait William Henry (Sorel). En janvier 1838, Taché vint la rejoindre mais, après mésententes, il retourna seul à Kamouraska dès le mois suivant.

À William Henry, Joséphine-Éléonore avait rencontré George Holmes, jeune médecin célibataire, nouvellement arrivé et qui fréquentait assidûment le presbytère du curé Jean-Baptiste Kelly, parent par alliance de la famille Drapeau. Elle eut recours à ses services pour soigner ses enfants ainsi qu’elle-même, car sa santé était fragile. Holmes et Joséphine-Éléonore devinrent rapidement amants, et leur liaison ne put rester très longtemps secrète dans le petit village. L’abbé John Holmes vint même de Québec pour sermonner son demi-frère, mais rien n’y fit.

Selon des témoignages ultérieurs, George Holmes résolut de se débarrasser de Taché. À l’automne de 1838, à deux reprises il essaya vainement d’envoyer quelqu’un à Kamouraska afin d’empoisonner le seigneur avec de l’arsenic. Il s’adressa ensuite à Aurélie Prévost, dit Tremblay, domestique au service de Joséphine-Éléonore et complice de leur liaison depuis le début. Aurélie s’installa dans une auberge de Kamouraska sous un faux nom. Le 4 janvier 1839, elle réussit à faire boire le poison à Taché, mais il n’en mourut pas. Holmes partit alors lui-même assassiner le mari gênant. Il le tua de deux coups de pistolet à la tête le 31 janvier, puis l’ensevelit sous la neige dans l’anse Saint-Denis, où on le découvrit trois jours plus tard.

Une enquête sur les circonstances de la mort de Taché se déroula du 5 au 28 février 1839. Joséphine-Éléonore fut arrêtée, puis emprisonnée à Montréal. Toutefois, elle nia toute participation au meurtre, et on la libéra le 27 du même mois. Un procès eut lieu à Québec le 21 septembre 1841; on accusa alors Joséphine-Éléonore d’avoir administré ou fait administrer un poison à son mari le 4 janvier 1839. Le témoignage d’Aurélie, le seul qui aurait pu l’incriminer, n’était pas sans contradictions; le jour même du début du procès, le jury rendait un verdict d’acquittement.

Joséphine-Éléonore d’Estimauville se remaria à Québec le 18 mai 1843 avec le notaire Léon-Charles Clément. Ils s’installèrent aux Éboulements et eurent six enfants. Elle mourut sans jamais revoir George Holmes qui s’était réfugié aux États-Unis à la suite du meurtre pour échapper à la justice. On l’avait fait arrêter et emprisonner mais, au début de 1840, après que les autorités américaines eurent refusé l’extradition demandée par le gouvernement du Bas-Canada, on l’avait relâché. Peu après sa remise en liberté, on perd sa trace.

Le meurtre du seigneur Taché fit beaucoup de bruit à l’époque à cause du prestige des familles concernées par cette affaire. À la fin du XIXe siècle, il ressurgit sous la plume du journaliste Georges-Isidore Barthe, qui publia à Sorel en 1896 Drames de la vie réelle, roman canadien. En 1970, Anne Hébert s’inspira de ces événements pour écrire son très beau roman Kamouraska (Paris), qui fut porté à l’écran en 1973 par le cinéaste Claude Jutra.

http://www.biographi.ca/fr/index.php


Anne Hébert (1er août 1916 - 22 janvier 2000)  

Quelques passages du roman Les fous de Bassan :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2010/07/a-la-mer.html

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