4 juin 2016

Maîtrise du gène égoïste

L’espèce humaine est la plus répandue, la plus égoïste, la plus nuisible et la plus tueuse de la planète. Choquant de le constater à répétition. Je me dis que ça doit être la faute du gène égoïste (réf. à Richard Dawkins) – on n’a jamais de difficulté à trouver un ou des coupables pour se déresponsabiliser. Or l’espèce humaine a potentiellement la capacité de maîtriser son gène égoïste en apprenant à cultiver la sagesse, voire, l’empathie et la compassion. Permettons-nous de faire évoluer nos gènes, on rendra service à l’espèce!


Photo : Dave McCarthy. Oasis of the Seas à Labadie (Labadee), Haïti, le 4 mai 2011.
Les navires de croisière ont continué à faire escale à Labadie les jours suivant le séisme du 12 janvier 2010. Se pavaner ainsi dans l’un des pays les plus pauvres du monde indique assurément une forte prédominance du gène égoïste chez les usagers (1).  


L’après-séisme en 2011, géographiquement et financièrement à l’opposé du complexe touristique de Labadie. «Quand c'est un salaud qui se jette dans une rivière en crue pour sauver un chien, cela nous attendrit plus que quand c'est un type bien qui le fait.» ~ Dany Laferrière (Journal d'un écrivain en pyjama)

«Préoccupe-toi davantage de ta conscience que de ta réputation. Parce que ta conscience c’est ce que tu es, et ta réputation c'est ce que les autres pensent de toi. Et ce que les autres pensent de toi... c'est leur problème.»
~ Denis Gagné, psychothérapeute

La sagesse, ça vient quand?
Patrick Estrade

J’aurais aimé vous parler de communication interpersonnelle aujourd’hui, et puis voilà que mon journal d’information amical de vingt heures m’oblige à changer de programme. Coup sur coup, j’apprends que deux couples d’amis, avec deux enfants chacun (dont un qui n’a pas encore deux mois), viennent de se séparer. Le reportage ne manque pas de sel : «Il ne s’occupait de rien, il était complètement absent, totalement irresponsable!» dénonçait l’une. «Elle nous rendait la vie impossible à tous, une vraie hystérique», martelait l’autre. «J’en ai assez de recevoir des ordres, j’ai passé l’âge» accusait le troisième. «Il était d’une méchanceté perverse avec les enfants» révélait la quatrième. «Non! pas possible. On n’aurait pas dit, pourtant...» 
     Pourquoi les gens n’arrivent-ils plus à vivre correctement ensemble? La sagesse fout le camp ou quoi? Exit, donc, la communication relationnelle, pensai-je, j’écrirai mon papier sur la sagesse. 
     «Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que fait la folie des sages à la sagesse des fous», aurait, paraît-il, dit Georges Clemenceau. Ça sonne bien. Toutefois, trois choses me dérangent dans cet aphorisme. Primo, en matière d’humaine sagesse, je ne vois pas grand progrès depuis Platon; secundo, le degré de folie des sages reste, me semble-t-il, assez inquiétant; tertio, la sagesse des fous, doit être si subtile que nul ne parvient réellement à la percevoir. En résumé, quand je regarde autour de moi, je vois beaucoup de folie, mais de sagesse, point.

Le vingt et unième siècle sera-t-il autiste?

Mais, et même si je sais qu’elles se trouvent liées, ce n’est pas tant de la folie ou de la sagesse collective que je voudrais vous parler aujourd’hui que de celles qui nous sont personnelles. Que notre société engendre folie, absurdité, violence, aliénation collective, après tout, cela peut paraître concevable sinon incontournable : toute communauté ayant pour tâche de faire régner l’ordre en son sein, comporte sa part d’arbitraire et de névrose. Mais nous, c’est-à-dire vous, moi, nos proches, ceux que nous fréquentons quotidiennement : nous sommes des gens généralement plutôt bien, plutôt gentils, conciliants, généreux, altruistes au fond de nous-mêmes, non? Alors, comment en vient-on à être si mesquin, si égoïste, si indifférent, si opportuniste, si lâche? Où passe notre bon sens élémentaire, notre aptitude à apprécier, à juger les situations et les gens? Où passe notre pratique sociale, notre goût de l’effort individuel, notre sentiment d’appartenance communautaire, notre entregent? Je ne sais pas vous, mais moi, au vu de l’ambiance générale qui règne actuellement dans notre pays, je serais tenté de dire, à la manière de Malraux : «Le vingt et unième siècle sera autiste ou ne sera pas».
     Quand un être est sincère, c’est réciproque.
     «Voulez-vous que je vous dise», me confiait récemment un homme d’une trentaine d’années à la sortie d’une de mes conférences, «aujourd’hui, les gens se foutent des autres. Ils n’ont plus d’intérêt, plus d’idéal, plus de valeur. Ils manquent de sincérité, ils n’ont plus de parole, plus de respect. Et quand ils ne se conduisent pas comme des sauvages, ils disent “amen” à tout, ils ne s’engagent pas. Et tristes, avec tout ça. Pas de joie de vivre. Ils ne vibrent plus à rien. J’ai l’impression qu’en France, on n’arrive plus à vivre des relations “normales” de convivialité, de sincérité, de confiance, d’amitié...»
     J’ai scrupule à le dire, mais je crois que j’étais assez d’accord avec lui. Et je suis sûr que vous êtes des tas à penser comme ça aussi. Alors, que faire? 
     Il serait bon que notre société, en d’autres termes, nos penseurs, nos politiciens, nos hommes et femmes d’État nous donnent l’exemple, mais ils ne semblent ni décidés à le faire, ni s’émouvoir du piteux état de l’entregent qui règne dans notre pays. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que nous nous réveillions de cette torpeur? Et, ne sommes-nous pas en train de perdre quelque chose de précieux en attendant?
     Personnellement, je crois beaucoup dans l’exemple personnel. Chacun de nous, qui que nous soyons et quel que soit notre statut social, est tout à fait capable de déterminer pour lui-même lorsqu’il est en désaccord ou en rupture avec les valeurs de vie minimum de convivialité et d’entregent qu’il prétend aimer mais qu’il dessert par ses comportements mauvais ou antisociaux, et lorsque, au contraire, il vit dans une harmonie – au moins minimum – avec son monde environnant et avec lui-même. Quelques secondes suffisent pour cela. Pour ma part, je considère que celui ou celle qui ne dit pas bonjour à son entourage, qui ne respecte pas sa parole donnée, ou qui ne se rend pas à une invitation parce qu’il a mieux à faire, est un mort-vivant. Il est un mort-vivant car il ne sait plus vivre dans la sincérité du partage.
     Quand un être est sincère, c’est réciproque.
     Que ce soit à la maison, au sein du couple, avec les enfants, avec les parents, avec les voisins, ou dans la rue, en voiture, dans le quartier qu’on habite, au travail, ou ailleurs, le regard qu’on porte sur les autres et la manière dont on les accueille sont déjà significatifs du monde dans lequel nous voulons vivre, dans lequel nous vivons.
     À vous qui lisez ces lignes, si vous êtes d’accord avec moi, si vous voulez faire partie des vrais vivants, je vous propose, à votre niveau, dans votre entourage, dans votre petit monde, de rompre avec l’indifférence et l’opportunisme et de remettre un peu de sagesse dans vos rapports avec les autres. Accueil, bienveillance, sincérité, respect, responsabilité pourraient être les quatre mousquetaires de notre rentrée. Ça vous tente?

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* Psychologue, psychothérapeute, écrivain, conférencier. Patrick Estrade pratique la psychologie clinique et la psychothérapie analytique depuis plus de 30 ans. Après avoir étudié la psychologie à l'Institut de Psychologie Analytique de Berlin, il s'installe à Nice où il partage son temps entre ses consultations en cabinet, l'écriture et les formations qu'il assure un peu partout en France et à l'étranger.

Quelques titres :
- La maison sur le divan – Tout ce que nos habitations révèlent de nous; 2009, LAFFONT
- Ces souvenirs qui nous gouvernent – Les interpréter, les comprendre; 2006, LAFFONT
- Comment je me suis débarrassé de moi-même – Les sept portes du changement; paru dans la collection Réponses; 2004, LAFFONT
http://www.patrickestrade.com/index.php?action=acceuil1

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(1) La Royal Caribbean International a obtenu la concession de la presqu’île de Labadie (à 10 km de Cap-Haïtien) jusqu’en 2050. Le grand luxe du bateau et du complexe touristique jurent avec la pauvreté du village adjacent que les touristes ne voient jamais car une clôture ceinture les lieux. Le soir venu, les touristes doivent retourner à bord. Au final, les passagers sont prisonniers de leur ridicule forteresse à divertissements et orgies diverses... Imaginons le gaspillage de nourriture, alors que les villageois d’à côté sont dans la misère, ainsi que l’empreinte écologique de ce monstre disproportionné. Je doute que les passagers s’en soucient de toute façon.

L’Oasis of the Seas, avec ses 16 ponts passagers, est une mini-ville flottante pouvant accommoder 6 300 passagers et 2 300 membres d'équipage. Il dispose de 2 700 cabines, 28 suites sur le pont le plus élevé et une suite spéciale de 156 mètres carrés agrémentée d'un balcon de 78 mètres carrés
     Dans le ventre de la bête : 21 piscines dont deux à vague (des simulateurs de surf), une fosse aquatique à profondeur variable jusqu'à 5,4 m, un spa, un parc contenant 12 175 plantes, arbres et bambous dont certains font plus de 7,3 m, 62 plants de vigne, deux murs d'escalade, une tyrolienne, un minigolf, un casino, des manèges, des boutiques, 24 restaurants et un bar ascenseur. On note également la présence d'une patinoire destinée aux spectacles sur glace. 
     Chaque croisière d’une semaine requiert 700 tonnes de fournitures, pouvant varier selon l’origine ethnique des passagers – par exemple, certains pourraient consommer 75 litres de cerises au marasquin et d’autres 80 000 bouteilles de bière. Le ventre de la bête est vidé/rempli à chaque semaine. (Entrez le nom du navire dans votre moteur de recherche pour plus de détails. C’est ahurissant.)

La Royal Caribbean International appartient à la famille Pritzker, l’une des plus riches des États-Unis, à la tête d’un empire financier diversifié. Sa fortune s’élève à près de 30 milliards de dollars. La flotte compte 25 navires en opération et 4 autres en commande.

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