10 octobre 2014

Santé mentale et poésie

Certaines personnes créent un collage ou un dessin par jour, d’autres écrivent un poème par jour. D’autres encore combinent les deux tel que le propose Anne-Marie Jobin : il s’agit de «faire appel à la spontanéité, à l’imagination et à l’écoute de soi; de s’arrêter pour laisser libre cours à ses idées, créer un espace pour exprimer ses ressentis et avoir accès à ses ressources intérieures». (Exercices créatifs zen) http://journalcreatif.com/

Le but n’est pas l’«esthétisme» (si le résultat est esthétique, tant mieux!), l’important est de s’exprimer sans censure.



 
 
Photos : journal créatif.com  

«Pour moi, j’ai un exécutoire (comme on dit en médecine). Le papier est là, et je me soulage.» ~ Gustave Flaubert

«Il ne faut pas se faire d'illusion à cet égard : les douleurs chantées sont déjà des douleurs calmées. Ce n'est point lorsque nous sommes encore engagés dans la sensation que nous serions capables de l'exprimer. Il faut s'écarter de soi-même et se considérer de loin et avec perspective. Nous ne nous peignons bien qu'à la distance du souvenir.»  ~ Louise Ackermann (1813-1890) Pensées d'une solitaire

Un poème par jour peut-il éloigner le médecin?
Linda Wasmer Andrews (1) 

Selon National Association for Poetry Therapy, l'utilisation de la poésie à des fins thérapeutiques remonte aux rites primitifs des chamans qui chantaient des poèmes pour aider un individu ou la tribu. Le médecin grec Soranos (IIe siècle après J.-C.) l’utilisait pour soigner les troubles mentaux. Aujourd'hui, certains thérapeutes utilisent la lecture ou l’écriture de poèmes pour faciliter la guérison ou la croissance personnelle de leurs clients. Et, de nombreux professeurs de littérature encouragent leurs élèves à s'exprimer à travers la poésie.

D'un côté, nous avons une longue tradition qui considère l’écriture poétique comme un mode d’expression très sain et comme un complément au traitement de la maladie mentale. De l’autre côté, il y a un stéréotype répandu à savoir que les poètes sont fous – et les recherches tendent à confirmer qu’il n'est pas totalement dénué de fondement. Des études ont montré que la maladie mentale est plus répandue chez les gens des milieux artistiques que chez les gens créatifs associés à d'autres domaines. Et, parmi tous les artistes, les poètes – en particulier les femmes – semblent plus sujets à la maladie mentale et plus portés au suicide, une tendance qu’on a surnommé l’«effet Sylvia Plath».

La recherche portait sur des poètes célèbres, un petit groupe sélect qui fait figure de race à part de bien des façons. Si la pensée d’un génie créatif en herbe est également distordue ou fragmentée, il est facile de comprendre qu’il (ou elle) pourra être attiré par la poésie avec ses riches possibilités de distorsion (métaphores inhabituelles, images étranges) et la fragmentation (phrasé saccadé, pensées incomplètes). Mais cela ne signifie pas que l’écriture poétique causera une maladie mentale chez notre génie poétique en herbe. En fait, ce sera probablement l'inverse. Heureusement, si vous êtes un poète ordinaire, en écrire ne sera dangereux pour votre santé.

Quant à nous, écrire de la poésie nous fera sans doute plus de bien que de mal.

Élégie pour un deuil

En 1982, le premier écrit que j’ai vendu s’intitulait  «Miscarriage» (Fausse couche); le poème fut publié initialement par le magazine Mothering. Un poème en réaction à cette perte, simple mais sincère. La fausse couche était survenue au premier trimestre, donc, médicalement et socialement parlant, ce n'était pas un grand «événement». Mais pour moi, émotionnellement, c'était une perte important, et le poème a servi d’exutoire à mon deuil. Apparemment, il a touché beaucoup de femmes car il a été largement republié depuis, dans des revues, anthologies, sites web, blogues et tweets.

Écrire ce poème m’a-t-il aidée à me sentir mieux? Absolument. Et ce fut vrai dès le moment où je l’ai mis sur papier; longtemps avant de le soumettre à quiconque pour le publier. Même si je ne le réalisais pas sur le coup, j'avais pratiqué instinctivement une forme d’auto-thérapie poétique pour m'aider à passer à travers la perte.

Dans un article paru dans Journal of Poetry Therapy, la doctorante en travail social de l'Université de Toronto, Lea Tufford, affirmait que l'écriture poétique pouvait aider à synthétiser et à libérer les émotions intenses (…), que décrire les émotions difficiles sur papier pouvait aider les gens à mieux les circonscrire. (…)

Ode à l'expression

La poésie peut être particulièrement adaptée à l’expression émotionnelle pour plusieurs raisons. Les métaphores et les images aident à donner voix aux émotions sous-jacentes autrement difficiles à verbaliser. Le rythme peut donner de la puissance au non-verbal, tout comme en musique. Et le caractère abstrait de la poésie peut faciliter un examen approfondi de l’expérience douloureuse qu’il serait trop menaçant d’aborder de manière directe.

Au cours des 25 dernières années, plus de 200 recherches ont étudié les avantages de l'écriture expressive sur la santé mentale et physique. La recherche était basée sur la conviction que le fait de révéler les émotions – un élément central de la psychothérapie – est bénéfique, même sans l'aide d'un thérapeute. Le fait de révéler des expériences difficiles par l'écriture personnelle semblait avoir des résultats positifs sur la santé (…). Comme ces études s’appuyaient sur la prose narrative structurée, il est difficile de savoir si la poésie avait des effets analogues.

Mais, ce n'est pas ce qui va m'arrêter de spéculer qu'elle le peut. Tout comme l’écriture narrative, l’écriture poétique peut aider à réorganiser les pensées au sujet d’un défi ou d’une expérience déstabilisante, en particulier lorsque plusieurs poèmes explorent le même thème sous différents angles. En fin de compte, cela peut mener à une réévaluation de l'expérience, la rendant moins arbitraire et écrasante, et plus significative et viable.

Pour citer une autorité en la matière :
«Nous résolvons nos querelles avec autrui par la rhétorique, mais nos querelles avec nous-mêmes par la poésie.» ~ William Butler Yeats (2) 

Source : http://www.psychologytoday.com/

---
(1) Linda Wasmer Andrews est psychologue et journaliste spécialisée en santé mentale. Elle est l’auteur de 14 ouvrages et de plus de 3000 articles, mais son premier poème reste l’écrit qui a été le plus reproduit.

(2) William Butler Yeats est un poète et dramaturge irlandais, né le 13 juin 1865 à Sandymount (Comté de Dublin) et mort le 28 janvier 1939 à Menton, en France. Fils du peintre John Butler Yeats, il est l'un des instigateurs du renouveau de la littérature irlandaise et cofondateur, avec Lady Gregory, de l'Abbey Theatre. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1923.

-------

Citation du jour :

«L'homme est parfois assez fou pour préférer le chagrin à l'oubli.» ~ Maurice Chapelan

Dans la même veine :

http://artdanstout.blogspot.ca/2013/08/poesie-et-deficience-cognitive.html

http://artdanstout.blogspot.ca/2013/09/pourquoi-ecrivez-vous.html

http://artdanstout.blogspot.ca/2014/03/ecrire-pour-se-connaitre.html

Aucun commentaire:

Publier un commentaire