15 octobre 2014

À quoi sert la littérature?

Aussitôt que j’ai pu lire, ce fut fatal. Ni mes parents ni les profs n’ont eu besoin de me pousser. Il est vrai qu’à l’époque les distractions n’étaient pas aussi nombreuses et diversifiées : nous n’avions ni ordinateur, ni téléphone intelligent, ni tablette…

Mais, encore maintenant, le livre papier a ma préférence. Et pour moi, la vraie littérature, est le meilleur des bonbons.

À l’adolescence j’ai eu un coup de foudre pour Camus. En ce moment, je savoure son journal à dose homéopathique : Les Carnets 1, Mai 1935 – février 1942. Si jamais ça vous intéresse (domaine public) :
http://classiques.uqac.ca/classiques/camus_albert/camus_albert.html
Quelques sélections à la fin du message.

Bibliothèques mobiles des années 30 – le principe revient; très bonne idée vu les compressions budgétaires en éducation. Par chance que notre ministre de l’éducation (Dr Yves Bolduc) s’est ravisé concernant l’élimination des budgets alloués aux bibliothèques scolaires…

Bookmobile, 1933/1936, Île-du-Prince-Édouard, Canada; Carnegie Public Library

Bibliobus, 1930/1934, Colombie-Britannique, Canada, Carnegie Fraser Valley Regional Library



Synthèse de la vidéo :

Bénéfices psychologiques de la grande littérature

L'écrivain et philosophe Alain de Botton et l’équipe de School of Life ont créé de brillants guides pour mieux naviguer dans la vie moderne : l'art de vivre seul, entretenir un rapport plus sain avec la sexualité, trouver un travail enrichissant, entre autres.

Dans ce clip amusant, ils vantent les mérites de la littérature qui, selon eux, peut faire grandir notre sentiment d’empathie, valider et ennoblir notre vie intérieure, et nous fortifier contre la peur paralysante de l'échec.

Cultiver l'empathie est capital : ce n'est que lorsque nos astucieux cerveaux travailleront en harmonie avec notre coeur que nous pourrons réaliser notre véritable potentiel.

La littérature permet de gagner du temps

On peut avoir l’impression de perdre son temps, mais en réalité, la littérature nous épargne beaucoup de temps, parce qu'elle nous donne accès à une gamme d'émotions et d'événements qui nous prendraient des années, des décennies, voire des millénaires à expérimenter directement. La littérature est l’un des plus grands simulateurs de la réalité – une machine qui vous fait passer à travers un nombre infini de situations dont vous ne pourriez jamais être témoin en direct.

La littérature rend plus sympathique 

La littérature a un côté magique, car elle nous permet de voir les choses à travers les yeux de quelqu'un d'autre; elle nous permet d'examiner les conséquences de nos actes sur autrui d'une manière qui serait autrement inaccessible; elle nous propose des modèles de gens bienveillants, généreux, sympathiques.

La littérature s'oppose aux valeurs du système dominant qui récompense l'argent et le pouvoir. Les écrivains sont de l'autre côté – ils nous sensibilisent à des idées et des sentiments d’une valeur plus profonde, mais ils n’on pas les moyens de se payer du temps d'antenne dans notre monde mercantile et cynique, exclusivement préoccupé du statut social.

La littérature est un remède contre la solitude

Nous sommes plus bizarres que nous voulons l'admettre. Nous n’arrivons pas facilement à livrer notre pensée. Mais nous trouvons dans les livres des descriptions de notre moi authentique et d’événements, dépeints avec une honnêteté que la simple conversation ne peut rendre. Dans les meilleurs livres, c'est comme si l'écrivain nous connaissait mieux que nous – ils trouvent les mots pour décrire la fragilité et la bizarrerie des expériences de notre vie intérieure... Les écrivains ouvrent nos coeurs et nos esprits, et nous donnent des cartes routières pour y voyager en sécurité, avec moins de paranoïa ou de sentiment de persécution...

La littérature prépare à l'échec

Durant toute notre vie, l'une de nos plus grandes peurs est l’échec, la peur de nous gourer, de devenir «un perdant», comme on dit dans les médias. À chaque jour, les médias nous rapportent des histoires d’échec. Il est intéressant de noter que beaucoup d’ouvrages littéraires parlent également d'échec – d'une manière ou d'une autre, un grand nombre de romans, pièces de théâtre et de poèmes tournent autour de gens qui ont échoué et fait des bêtises... Mais dans la littérature, on ne juge pas aussi durement que les dans médias, ou de façon aussi linéaire...

La littérature mérite son prestige pour une raison bien simple – elle peut nous aider à vivre et à mourir avec un peu plus de sagesse, de bonté et de santé mentale.

Découvert sur http://www.brainpickings.org/

School of Life http://www.theschooloflife.com/

Des heures de découvertes...

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Extraits
Cahier 1, mai 1935 – septembre 1937
Albert Camus  

Mai 35

Vanité du mot expérience. L'expérience n'est pas expérimentale. On ne la provoque pas. On la subit. Plutôt patience qu'expérience. Nous patientons - plutôt nous pâtissons.
    Toute pratique : au sortir de l'expérience, on n'est pas savant, on est expert. Mais en quoi ? (p. 13)

Ciel d'orage en août. Souffles brûlants. Nuages noirs. À l'est pourtant, une bande bleue, délicate, transparente. Impossible de la regarder. Sa présence est une gêne pour les yeux et pour l'âme. C'est que la beauté est insupportable. Elle nous désespère, éternité d'une minute que nous voudrions pourtant étirer tout le long du temps. (p. 14)

Jeune, je demandais aux êtres plus qu'ils ne pouvaient donner : une amitié continuelle, une émotion permanente.
    Je sais leur demander maintenant moins qu'ils peuvent donner : une compagnie sans phrases. Et leurs émotions, leur amitié, leurs gestes nobles gardent à mes yeux leur valeur entière de miracle : un entier effet de la grâce. (p. 15)

Janvier 36

(…)
Prisonnier de la caverne, me voici seul en face de l'ombre du monde. Après-midi de janvier. Mais le froid reste au fond de l'air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l'ongle mais qui revêt toutes choses d'un éternel sourire. Qui suis-je et que puis-je faire - sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière. Être ce rayon de soleil où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l'air. Si j'essaie de m'atteindre, c'est tout au fond de cette lumière. Et si je tente de comprendre et de savourer cette délicate saveur qui livre le secret du monde, c'est moi-même que je trouve au fond de l'univers. Moi-même, c'est-à-dire cette extrême émotion qui me délivre du décor. Tout à l'heure, d'autres choses et les hommes me reprendront. Mais laissez-moi découper cette minute dans l'étoffe du temps, comme d'autres laissent une fleur entre les pages. Ils y enferment une promenade où l'amour les a effleurés. Et moi aussi, je me promène, mais c'est un dieu qui me caresse. La vie est courte et c'est péché que de perdre son temps. Je perds mon temps pendant tout le jour et les autres disent que je suis très actif. Aujourd'hui c'est une halte et mon cœur s'en va à la rencontre de lui-même.

Si une angoisse encore m'étreint, c'est de sentir cet impalpable instant glisser entre mes doigts comme les perles du mercure. Laissez donc ceux qui veulent se séparer du monde. Je ne me plains plus puisque je me regarde naître. Je suis heureux dans ce monde car mon royaume est de ce monde. Nuage qui passe et instant qui pâlit. Mort de moi-même à moi-même. Le livre s'ouvre à une page aimée. Qu'elle est fade aujourd'hui en présence du livre du monde. Est-il vrai que j'ai souffert, n'est-il pas vrai que je souffre ; et que cette souffrance me grise parce qu'elle est ce soleil et ces ombres, cette chaleur et ce froid que l'on sent très loin, tout au fond de l'air. Vais-je me demander si quelque chose meurt et si les hommes souffrent puisque tout est écrit dans cette fenêtre où le ciel déverse sa plénitude. Je peux dire et je dirai tout à l'heure que ce qui compte est d'être humain, simple. Non, ce qui compte est d'être vrai et alors tout s'y inscrit, l'humanité et la simplicité. Et quand suis-je plus vrai et plus transparent que lorsque je suis le monde? (…)
(p. 16-17)

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