16 avril 2013

La Paix selon Sabine Sicaud*

Madonna delle Roccie
Peintre : Filippo Lippi (1406-1469; Florence)

La Paix

Comment je l'imagine?
Eh bien, je ne sais pas...
Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine?

Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d'une vieille femme qui fredonne...

Parfois, je la crois vieille aussi... Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu'on voit dans les vitraux anciens. Longtemps -
Bien avant les vitraux - elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s'asseoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc... Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu'on n'arrête
Que pour la menacer encore et la trahir!

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit... Je la crois donc vieille et n'ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Est-elle humaine? J'ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres!

Où? Quand? Sur quel chemin faut-il l'attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l'habillent de leur rêve?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s'achève
Ou dans l'aube du rose avril?

Écartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Sourit-elle au soldat blessé?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune?

Est-elle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes?
Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes? dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière?
Ou s'épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière?

Et puis, je me souviens...
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme; une cloche passant,
Un chant d'oiseau, la Musique divine,
Cette musique d'une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d'une ville;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile...

Je me souviens... Mais c'est peut-être, au fond, qui sait?
Bien plus simple... Et c'est toi qui, la connais,
Sans t'en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n'a besoin que d'un grillon pour s'exprimer.

Au loin, la lueur d'une lampe ou d'une étoile;
Devant la porte, un peu d'air embaumé...
Comme c'est simple, vois! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire? Vois,
Qu'importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches!
Qu'importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l'apaise,
Douceur promise aux cœurs de bonne volonté...

Ah! tant de verbes, d'adjectifs, de parenthèses!
- Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l'été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent...

~ Recueil  Douleur, je vous déteste

Les poèmes de Sabine Sicaud (Stock)
Tous droits réservés ©



Vous aimerez peut-être (même auteur) :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/03/du-tout-beau.html

* Wikipédia – extrait biographique :
Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 et morte le 12 juillet 1928, est une poétesse française. Elle a vécu à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée La Solitude.

Dès son recueil de 1926 (elle a 13 ans), Anna de Noailles est stupéfaite par l’acuité de son regard sur les êtres et les choses. De plus, la jeune poétesse manifeste une grande maturité d’écriture, autant qu’une grande culture. Les poèmes des derniers mois sont marqués par la maladie et par la souffrance. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, appelée aussi gangrène des os, elle écrit «Aux médecins qui viennent me voir» :
«Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or...»

Aucun commentaire:

Publier un commentaire