1 janvier 2019

Ces nobles vœux annuels

La vieille femme aux souhaits de Nouvel An : On ne demande pas grand-chose, du travail et de la santé.  
~ Albert Camus (Carnets I, mai 1935 – février 1942)

Nous répétons ces nobles vœux depuis des centenaires à chaque nouvel an : 
Paix et harmonie sur terre!
Fin de la pauvreté et de la faim sur terre!
Amour, joie, bonheur et prospérité pour tous!

Sommes-nous sérieux, euh, je veux dire... sincères?

Changer le dernier chiffre de l’année ne change rien à la destinée de notre civilisation «bulldozer».


Mon bien-aimé ayatollah du savoir «être», Mark Twain, a concocté une satire de la nature humaine en décrivant des expériences qu'il aurait menées aux Jardins Zoologiques de Londres.

«J’ai étudié les caractéristiques et les tempéraments des animaux prétendument «inférieurs» et je les ai comparés aux caractéristiques et tempéraments humains. Je trouve le résultat humiliant pour moi. Parce que cela m’oblige à renoncer à mon allégeance à la théorie de Darwin sur l’ascension de l’animal inférieur jusqu'à l’Homme; la théorie devrait être éliminée au profit d’une nouvelle théorie plus véridique, à savoir que les ancêtres de l’homme sont des Animaux Supérieurs. En cheminant vers cette conclusion déplaisante je n’ai pas deviné ou spéculé ni fait de conjectures, mais j’ai utilisé ce qui est communément admis sous le nom de méthode scientifique. C'est-à-dire que j’ai soumis chaque postulat qui s’est présenté au test impitoyable de l’expérience elle-même, et je l’ai adopté ou rejeté en fonction du résultat. J’ai ainsi vérifié chaque étape de mon parcours avant de passer à la suivante. Ces expériences ont été faites avec une grande rigueur dans les Jardins Zoologiques de Londres, et ont nécessité de nombreux mois d'un travail minutieux et fatigant.
   Avant de détailler ces expériences, je souhaite indiquer une ou deux choses qui semblent devoir être signalées dès maintenant, plutôt qu’après. Ceci afin d’être clair. L'accumulation des expériences a permis d’établir, à ma grande satisfaction, certaines généralisations, à savoir :
1. Que la race humaine est une espèce distincte. Elle montre de légères variations – en couleur, stature, niveau intellectuel, et ainsi de suite – en lien avec le climat, l’environnement et ainsi de suite; mais c’est une espèce en soi, qu'on ne peut confondre avec aucune autre.
2. Que les quadrupèdes constituent aussi une famille distincte. Cette famille montre des variations – en couleur, taille, préférences alimentaires, etc.; mais c'est une famille à elle seule.
3. Que les autres familles – oiseaux, poissons, insectes, reptiles, etc. – sont aussi plus ou moins distinctes. Elles font partie du cortège. Elles sont des relais de la chaîne qui part des Animaux Supérieurs et aboutit tout en bas à l'Homme.
   L’homme est un Animal Raisonnable. Telle est sa prétention. Je pense que c’est discutable. En effet, mes expériences m’ont prouvé qu’il est un Animal Déraisonnable. Ce qu'il laisse, ce sont de fantastiques archives de folie. Je pense que le plus gros désavantage de son intelligence est le fait qu'avec un tel passé, il se présente avec mièvrerie comme l’animal au-dessus du lot : alors que selon ses propres normes il est tout en bas.
   En vérité, l’homme est incurablement stupide. Les choses simples que les autres animaux apprennent facilement, il est incapable de les apprendre.
   Voici une de mes expériences. En une heure, j'ai enseigné à un chat et à un chien à devenir amis. Je les mis dans une cage. Une heure plus tard, je leur ai enseigné à devenir amis avec un lapin. Au bout de deux jours, j'ai été en mesure d'introduire un renard, une oie, un écureuil et des colombes. Finalement, un singe. Ils vivaient ensemble en paix; même affectueusement.
   Ensuite, dans une autre cage, j’ai confiné un catholique irlandais de Tipperary, puis j'ai rapidement introduit un presbytérien écossais d'Aberdeen. Ensuite, un turc de Constantinople, un chrétien grec de Crète, un arménien, un méthodiste des contrées sauvages de l'Arkansas, un bouddhiste de Chine, et un brahmane de Bénarès. Et enfin, un colonel de l'Armée du Salut de Wapping. Ensuite, je me suis tenu à l’écart pendant deux jours complets. En revenant noter les résultats, tout fonctionnait bien dans la cage des Animaux Supérieurs, mais dans l'autre, il y avait un horrible bric-à-brac de turbans, de fez, de tartans, et d’os et de chair – pas un seul spécimen vivant. Ces Animaux Raisonnables ne s'étaient pas entendus sur un détail théologique et voulaient porter l'affaire devant la cour suprême.  
   On est obligé de concéder que pour une réelle noblesse de caractère, l'Homme ne peut prétendre approcher même le plus simple des Animaux Supérieurs. Il est évident qu'il est, de par sa constitution, incapable d'approcher cette hauteur; qu'il est, de par sa constitution, affligé d'un Défaut qui doit lui rendre une telle approche impossible à tout jamais, car il est évident que ce défaut est permanent chez lui, indestructible, indéracinable.
    Je pense que ce Défaut est le Sens Moral. Il est le seul animal à l'avoir. Les Animaux Supérieurs ne sont jamais atteints de cette maladie qu’on appelle le sens moral. C'est le secret de la dégradation de l'homme. C'est ce qui le rend capable de mal faire. Ce Défaut n'a pas d'autre fonction. Il n’a aucune autre fonction. Sans ce Défaut, l'homme se serait élevé tout de suite au niveau des Animaux Supérieurs.»

The Lowest Animal

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Autres réflexions d’Albert Camus :

«Ils ont l'air de la même race et pourtant ils se détestent.»  
(L’étranger, 1942)

«Après tout, Gandhi a prouvé qu'on pouvait lutter pour son peuple, et vaincre, sans cesser un seul jour de rester estimable.»
(Actuelles III, Chroniques algériennes, 1939-1958)

«Il n'y a pas si longtemps, c'étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées, aujourd'hui ce sont les bonnes.»
(Carnets I, mai 1935 – février 1942)

«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.»  
(Carnets I, mai 1935 – février 1942)

«Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs.»
(Noces, 1939)

«Il est des heures dans l'histoire où celui qui ose dire que 2 et 2 font 4 est puni de mort.»
(La Peste, 1947)

«Pourrais-tu, toi, Stepan, les yeux ouverts, tirer à bout portant sur un enfant?»
(Les justes, 1952) 

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