1 août 2017

Les «faits» : une anomalie en voie d’extinction

Ce roman de R.J. Ellory retrace le maillage entre loi, justice, corruption, crime organisé et police, à New York. J’ai freiné des quatre fers dès l’entrée en matière brutale, crue, vulgaire, plantée dans un décor sordide copieusement arrosée de sang et de vomis; intro cependant réussie, le coeur nous lève. Pas le genre de polar noir que j’aurais choisi, mais devoir d'analyse oblige.

J’avais l’impression que ça se passait à Montréal QC...! 

Les Anges de New York, Roger Jon Ellory (Sonatines Éditions, 2012)  
Version anglaise publiée en 2010 

Quelques notes de lecture  

- Vous n’avez jamais songé à rapporter ça à...
- À qui? Le rapporter à qui? Les flics s’en mettaient plus dans les poches que n’importe qui d’autre, et, de plus, on ne peut pas faire tomber la police. Outre la solidarité au sein du département, outre le fait que les types des affaires internes, ceux-là mêmes qui sont censés enquêter sur la corruption de la police, appartiennent eux-mêmes à la police, il est fort improbable qu’un membre du Congrès ou un sénateur approuvent la mise en examen de quiconque au-dessus du grade de sergent. Pourquoi? Parce qu’il ne faut surtout pas que le peuple perde sa confiance dans la police. Si vous commencez à désigner du doigt les autorités, la société devient nerveuse. (p. 98-99)


Durant les années 1940, la loi et la justice avaient semblé diverger. La loi avait servi ses propres intérêts, puis ceux des avocats. La justice, autrefois rapide et bon marché, était devenue laborieuse et onéreuse, aussi rare qu’un beau diamant. Les gens lisaient des romans, ils regardaient des films, ils voulaient que la vie soit comme ça, mais elle ne l’était pas. Les gentils ne gagnaient pas toujours à la fin, et les méchants continuaient de courir. Frank Parrish estimait appartenir à une espèce en voie d’extinction. Celle des gens qui ne s’en foutaient pas. Il ne se considérait pas comme un justicier ni comme un défenseur de la loi, mais il lui était arrivé de résoudre certaines enquêtes grâce à une persévérance et une détermination sans faille. Et elles concernaient toujours des enfants. (p. 125)

Ce que je pense, c’est que tout le monde peut être mauvais. Ce n’est pas une question de gênes ni de chromosomes, bon sang! C’est une question de dynamique situationnelle, d’environnement, et peut-être aussi même de maladie mentale, et je ne crois pas que quiconque perçoive ne serait-ce qu’un tant soit peu cette vérité. Peut-être les gens sont-ils naturellement destructeurs, et peut-être que certains ont la capacité de se maîtriser et d’autres pas. Je crois que la psychiatrie et la psychologie ne sont guère plus que des conjectures. Je crois qu’elles estompent les frontières. Merde, avant, c’était facile de faire la différence entre les criminels et les victimes. Et puis ces gens, ces gens qui sont censés être des autorités sur le sujet, débarquent et commencent à nous raconter que ces connards sont eux aussi des victimes. Victimes de la société, victimes de violence parentale, victimes de négligence. Bon Dieu! si toutes les personnes qui ont subi des mauvais traitements pendant leur enfance devenaient des tueurs en série, alors il n’y aurait plus un pékin sur terre. Alors d’après moi, ces autorités ont réussi une chose. Elles nous ont convaincus que les connards qui font chier les autres ne le font pas parce que ce sont des connards, mais à cause des saloperies qu’on leur a fait subir pendant leur enfance. Elles nous disent que ce n’est pas de leur faute, qu’ils sont un produit de la société que nous avons créée. Et tous les avocats suivent le mouvement. Les procureurs deviennent des avocats de la défense. Les experts ajustent leurs conclusions pour faire plaisir à celui qui rédige le plus gros chèque. Ils vont même contredire leurs propres témoignages en invoquant de nouvelles recherches, et vous découvrirez que c’est uniquement parce que les avocats de la défense ont ajouté un zéro à leur chèque. Au bout du compte, il n’est plus question que d’argent. Il ne s’agit plus de culpabilité ou d’innocence, il s’agit uniquement du talent qu’ont les avocats pour manipuler les jurys. Jadis, les théories s’effondraient quand on les confrontait aux faits. Mais aujourd’hui les faits sont devenus fluctuants. Ils peuvent être altérés, du moins dans leur manière d’être présentés. Et ce boulot? Ce que nous faisons? Vous n’avez aucune idée de la frustration qu’il peut engendrer. C’est une bataille perdue d’avance. Plus nous nous escrimons à ramener la justice à la loi, plus la loi s’échine à placer la vraie justice hors de portée de la plupart des gens. -- Frank Parrish (p. 308-309)

La police possédait l’autorité, et si elle vous prenait en grippe, elle avait le pouvoir de vous arrêter, de vous inculper, de vous juger, de vous condamner, de vous incarcérer, et même de vous exécuter. C’était arrivé à des innocents, et il était probable que ça se reproduirait bien des fois avant que la justice fasse correctement son boulot. (p. 322)

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«Si le prêt d’argent est le plus vieux métier du monde et la prostitution le deuxième, alors la pornographie est le troisième.» -- Erickson, brigade des mœurs (p. 375)

Plus de sept cent cinquante mille adolescents disparaissaient chaque année dans le pays. Combien d’entre eux finissaient dans l’industrie du porno? Et quelles meilleures proies que les filles sur le point d’être adoptées, les indésirables, les gamines qui erraient en marge de la société. Coincées entre des parents camés, des familles d’adoption et l’administration, quelle meilleure réserve de sang neuf que les abondants dossiers de l’aide familiale? (p. 382)

Elles sont kidnappées, enlevées. Elles sont droguées, forcées à avoir des rapports sexuels qui sont filmés. Puis elles sont étranglées devant la caméra. Les corps sont abandonnés dans des chambres de motel, dans des poubelles, des bennes à ordures, des cages d’escalier... Nous avons affaire à de vraies ordures, d’incroyables vermines.  (p. 383)

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Il y a des fois où on connaît la vérité mais où on ne peut rien faire. Les charges sont abandonnées, les coupables concluent des accords avec le bureau du procureur, des enquêtes capotent à cause de vices de procédure, des criminels sont remis en liberté et peuvent remettre ça. [...] Ce n’est pas un boulot facile, laissez-moi vous le dire, et je perçois la frustration et la désillusion que ces types ressentent. Malheureusement, le système est ce qu’il est, et on peut se plaindre autant qu’on veut, c’est tout ce qu’on aura tant qu’on n’aura rien trouvé de mieux. -- Coéquipier de Frank Parrish. (p. 526)

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