21 avril 2016

L'incontournable fin de vie...

Qu’on le veuille ou non, le débat sur la loi C-14 (aide médicale à mourir, suicide assisté, consentement anticipé, etc.) nous oblige à réfléchir sur la maladie et la mort. Sujets tabous s’il en est. Ces réflexions de Camus m’ont fait penser au documentaire LA MORT M’A DIT (1).


Photo : maisons-écrivains.fr. La «maison aux tuiles rondes et aux volets bleus sur un coteau planté de cyprès» de Camus, à Lourmarin, Luberon.

Albert Camus 
Cahier I, CARNETS I, mai 1935 – février 1942 (1962)

Août 37.

Sur le chemin de Paris : cette fièvre qui bat aux tempes, l'abandon singulier et soudain du monde et des hommes. Lutter contre son corps. Sur mon banc, dans le vent, vide et creusé par l'intérieur, je pensais tout le temps à K. Mansfield, à cette longue histoire tendre et douloureuse d'une lutte avec la maladie. Ce qui m'attend dans les Alpes c'est, avec la solitude et l’idée que je serai là pour me soigner, la conscience de ma maladie.

Aller jusqu'au bout, ce n'est pas seulement résister mais aussi se laisser aller. J'ai besoin de sentir ma personne, dans la mesure où elle est sentiment de ce qui me dépasse. J'ai besoin parfois d'écrire des choses qui m'échappent en partie, mais qui précisément font la preuve de ce qui en moi est plus fort que moi

Août 37.

Dernier chapitre? Paris Marseille. La descente vers la Méditerranée.

Et il entra dans l'eau et il lava sur sa peau les images noires et grimaçantes qu'y avait laissées le monde. Soudain l'odeur de sa peau renaissait pour lui dans le jeu de ses muscles. Jamais peut-être il n'avait autant senti son accord avec le monde, sa course accordée à celle du soleil. À cette heure où la nuit débordait d'étoiles, ses gestes se dessinaient sur le grand visage muet du ciel. S'il bouge ce bras, il dessine l'espace qui sépare cet astre brillant de celui qui semble disparaître par moments, il entraîne dans son élan des gerbes d'étoiles, des traînes de nuées. Ainsi l'eau du ciel battue par son bras et, autour de lui, la ville comme un manteau de coquillages resplendissants.

Septembre 37.

Ce mois d'août a été comme une charnière - une grande respiration avant de tout délier dans un effort délirant. Provence et quelque chose en moi qui se ferme. Provence comme une femme qui s'appuie.

Il faut vivre et créer. Vivre à pleurer - comme devant cette maison aux tuiles rondes et aux volets bleus sur un coteau planté de cyprès.

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(1) Résumé – Comment vivre avec un diagnostic médical qui vous annonce qu’il ne vous reste que quelques mois à vivre? L’heure est au bilan et votre vie s’en trouve totalement chamboulée, et celle de vos proches tout autant. Comment peut-on être prêt à mourir? C’est la question que pose Marcia Pilote à son amie Anne-Marie atteinte d’un cancer incurable. C’est une question à laquelle cette dernière répond à travers sa vie au quotidien.

Anne-Marie Séguin a 51 ans. Elle a quatre enfants, elle est jolie, curieuse, elle s’est mariée il y a quelques années avec un homme «parfait pour elle». Elle a acheté une écurie l’an dernier pour réaliser un grand rêve. Elle aime la vie et les gens! Un parcours de vie qui peut ressembler aux vôtres, aux nôtres. Mais Anne-Marie est condamnée par le verdict des médecins qui lui ont confirmé qu’elle devrait mourir dans les mois qui viennent, six tout au plus. 
     Anne-Marie ne connaît pas la date exacte de la fin, mais elle sait que l’échéance est inéluctable et qu’elle arrivera sous peu. La plupart d’entre nous seraient dévastés et pétrifiés par la peur de ce qui s’en vient... Anne-Marie, elle, profite de chaque moment, voit des amis, donne ses choses en choisissant les destinataires avec soin, rigole, fait des blagues avec la mort et étonne tout son entourage. Si elle est pour mourir, elle entend bien le faire dans la paix et si possible dans la joie. 
     Son amie d’enfance, Marcia Pilote, décide de suivre Anne-Marie dans cette fin de vie surprenante, pour apprendre à apprivoiser la mort. Et pendant ce temps, la vie, de son côté, décide de leur jouer tout un tour. Car au bout du compte, LA MORT M’A DIT... se révèle un documentaire surprenant dont le scénario a été écrit de A à Z par la vie!

Les grands reportages d’ICI RDI
Réalisation : Maude Sabbagh et Frédéric Nassif
Productrice : Ève Tessier-Bouchard
Production : Océan Télévision (2015)
Réalisateur-coordonnateur (Les grands reportages) : Georges Amar
Pays : Canada

Si vous avez accès à la zone :
http://ici.tou.tv/les-grands-reportages/S2016E50?lectureauto=1

Interview à Médium large (audiofil)
http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2015-2016/chronique.asp?idChronique=401338

Plusieurs mois après le tournage, Anne-Marie Séguin est toujours en vie.

En 2015 elle disait (réf. documentaire) :
«La mort, c’est un super beau processus. J’ai accepté d’être dans la fin de la vie, et en l’accueillant, il y a plein de cadeaux qui viennent avec ça. C’est-à-dire que je ne suis pas dans une bataille, dans une lutte de maladie, pas dans une peur de mourir, pas dans une angoisse de ne pas vivre 50 ans de plus. ... Si je fais encore quelques mois de plus, peut-être un an, c’est l’fun. Mais je suis vraiment, vraiment, heureuse actuellement parce que je ne suis pas dans une lutte.»

Le 21 mars 2016 (bribes) :
«Je peux vivre ma vie actuelle sans crainte pour le futur parce que je n’ai pas de futur. J’ai été opérée en 2013. Je suis dans ma troisième année. Les années qu’on me donnait avec la chimio, je les ai eues [sans la chimio – elle insiste pour dire que c’est un choix strictement personnel et qu’elle ne prêche pas contre]. (...) J’aime la vie, je ne veux pas mourir, mais il faut accepter que notre corps a une condition qui nous amène vers la fin de la vie. Moi aussi, j’avais très peur de la mort, mais quand on arrive devant, on s’aperçoit qu’elle est remplie d’amour. 
   Catherine Perrin : Vous dites «on», mais ce n’est quand même pas tout le monde qui pense comme ça...  
   Anne-Marie : C’est un choix. Ou je vais vers le choix de la guerre, ou le choix de la lutte, et je me bats pour vivre ici maintenant avec ma condition. Ou je fais confiance au processus de la vie, et je me dis que je suis la vie, quel que soit le chemin, ici ou ailleurs, avec le mystère que ça comporte, pour moi le mystère est très important. Je ne sais pas quand je vais mourir, je ne sais pas ce qu’il y a après la mort. (...) Il y a une grande différence entre la douleur physique (qu’on peut supporter) et la souffrance morale – se sentir coupable de mourir parce que tout le monde dit qu’il faut se battre. La mort n’est pas un échec, c’est un processus normal; une fois qu’on le comprend et qu’on l’accepte, il n’y a plus de lutte et de souffrance.»

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Beaucoup de philosophes et de sages nous ont suggéré «de vivre chaque jour comme si c’était le dernier de notre vie». Il est possible que ce soit cette philosophie de vie qui a permis à Anne-Marie Séguin de dépasser l’échéance prévue par le diagnostic. 
     Elle mentionnait que ce défi lui avait fait prendre davantage conscience de son corps, des choses qui l’entourent, des personnes qu’elle fréquente ou rencontre au hasard, et de la valeur de chaque moment vécu. 
     Sa relation avec les chevaux montre une fois de plus que l’équithérapie est extrêmement bénéfique (plusieurs articles à ce propos sur Situation planétaire, libellé ‘Zoofriendly’). 

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