Qu’on le veuille ou non, le débat sur la loi C-14 (aide
médicale à mourir, suicide assisté, consentement anticipé, etc.) nous oblige à
réfléchir sur la maladie et la mort. Sujets tabous s’il en est. Ces réflexions de
Camus m’ont fait penser au documentaire LA MORT M’A DIT (1).
Photo : maisons-écrivains.fr. La «maison aux tuiles rondes et aux volets bleus
sur un coteau planté de cyprès» de Camus, à Lourmarin, Luberon.
Albert
Camus
Cahier I, CARNETS I, mai 1935 – février 1942
(1962)
Août 37.
Sur le
chemin de Paris : cette fièvre qui bat aux tempes, l'abandon singulier et
soudain du monde et des hommes. Lutter contre son corps. Sur mon banc, dans le
vent, vide et creusé par l'intérieur, je pensais tout le temps à K. Mansfield,
à cette longue histoire tendre et douloureuse d'une lutte avec la maladie. Ce
qui m'attend dans les Alpes c'est, avec la solitude et l’idée que je serai là
pour me soigner, la conscience de ma maladie.
Aller
jusqu'au bout, ce n'est pas seulement résister mais aussi se laisser aller.
J'ai besoin de sentir ma personne, dans la mesure où elle est sentiment de ce
qui me dépasse. J'ai besoin parfois d'écrire des choses qui m'échappent en
partie, mais qui précisément font la preuve de ce qui en moi est plus fort que
moi.
Août 37.
Dernier chapitre? Paris Marseille. La descente
vers la Méditerranée.
Et il entra dans l'eau et il lava sur sa peau les
images noires et grimaçantes qu'y avait laissées le monde. Soudain l'odeur de
sa peau renaissait pour lui dans le jeu de ses muscles. Jamais peut-être il
n'avait autant senti son accord avec le monde, sa course accordée à celle du
soleil. À cette heure où la nuit débordait d'étoiles, ses gestes se dessinaient
sur le grand visage muet du ciel. S'il bouge ce bras, il dessine l'espace qui
sépare cet astre brillant de celui qui semble disparaître par moments, il
entraîne dans son élan des gerbes d'étoiles, des traînes de nuées. Ainsi l'eau
du ciel battue par son bras et, autour de lui, la ville comme un manteau de
coquillages resplendissants.
Septembre 37.
Ce mois d'août a été comme une charnière - une
grande respiration avant de tout délier dans un effort délirant. Provence et
quelque chose en moi qui se ferme. Provence comme une femme qui s'appuie.
Il faut vivre et créer. Vivre à pleurer - comme
devant cette maison aux tuiles rondes et aux volets bleus sur un coteau planté
de cyprès.
~~~
(1) Résumé –
Comment vivre avec un diagnostic médical qui vous annonce qu’il ne vous reste
que quelques mois à vivre? L’heure est au bilan et votre vie s’en trouve
totalement chamboulée, et celle de vos proches tout autant. Comment peut-on
être prêt à mourir? C’est la question que pose Marcia Pilote à son amie
Anne-Marie atteinte d’un cancer incurable. C’est une question à laquelle cette
dernière répond à travers sa vie au quotidien.
Anne-Marie Séguin a 51 ans. Elle a quatre enfants,
elle est jolie, curieuse, elle s’est mariée il y a quelques années avec un
homme «parfait pour elle». Elle a acheté une écurie l’an dernier pour réaliser
un grand rêve. Elle aime la vie et les gens! Un parcours de vie qui peut
ressembler aux vôtres, aux nôtres. Mais Anne-Marie est condamnée par le verdict
des médecins qui lui ont confirmé qu’elle devrait mourir dans les mois qui
viennent, six tout au plus.
Anne-Marie
ne connaît pas la date exacte de la fin, mais elle sait que l’échéance est
inéluctable et qu’elle arrivera sous peu. La plupart d’entre nous seraient
dévastés et pétrifiés par la peur de ce qui s’en vient... Anne-Marie, elle,
profite de chaque moment, voit des amis, donne ses choses en choisissant les
destinataires avec soin, rigole, fait des blagues avec la mort et étonne tout
son entourage. Si elle est pour mourir, elle entend bien le faire dans la paix
et si possible dans la joie.
Son
amie d’enfance, Marcia Pilote, décide de suivre Anne-Marie dans cette fin de
vie surprenante, pour apprendre à apprivoiser la mort. Et pendant ce temps, la
vie, de son côté, décide de leur jouer tout un tour. Car au bout du compte, LA
MORT M’A DIT... se révèle un documentaire surprenant dont le scénario a été
écrit de A à Z par la vie!
Les grands reportages d’ICI RDI
Réalisation : Maude Sabbagh et Frédéric Nassif
Productrice : Ève Tessier-Bouchard
Production : Océan Télévision (2015)
Réalisateur-coordonnateur (Les grands reportages)
: Georges Amar
Pays : Canada
Si vous avez accès à la zone :
http://ici.tou.tv/les-grands-reportages/S2016E50?lectureauto=1
Interview à Médium large (audiofil)
http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2015-2016/chronique.asp?idChronique=401338
Plusieurs mois après le tournage, Anne-Marie Séguin
est toujours en vie.
En 2015 elle disait (réf. documentaire) :
«La mort, c’est un super beau processus. J’ai
accepté d’être dans la fin de la vie, et en l’accueillant, il y a plein de
cadeaux qui viennent avec ça. C’est-à-dire que je ne suis pas dans une
bataille, dans une lutte de maladie, pas dans une peur de mourir, pas dans une
angoisse de ne pas vivre 50 ans de plus. ... Si je fais encore quelques mois de
plus, peut-être un an, c’est l’fun. Mais je suis vraiment, vraiment, heureuse
actuellement parce que je ne suis pas dans une lutte.»
Le 21 mars 2016 (bribes) :
«Je peux vivre ma vie actuelle sans crainte pour
le futur parce que je n’ai pas de futur. J’ai été opérée en 2013. Je suis dans
ma troisième année. Les années qu’on me donnait avec la chimio, je les ai eues [sans la chimio – elle insiste pour dire que c’est un choix
strictement personnel et qu’elle ne prêche pas contre]. (...) J’aime la
vie, je ne veux pas mourir, mais il faut accepter que notre corps a une
condition qui nous amène vers la fin de la vie. Moi aussi, j’avais très peur de
la mort, mais quand on arrive devant, on s’aperçoit qu’elle est remplie
d’amour.
Catherine Perrin : Vous dites «on»,
mais ce n’est quand même pas tout le monde qui pense comme ça...
Anne-Marie : C’est un choix. Ou je
vais vers le choix de la guerre, ou le choix de la lutte, et je me bats pour
vivre ici maintenant avec ma condition. Ou je fais confiance au processus de la
vie, et je me dis que je suis la vie, quel que soit le chemin, ici ou ailleurs,
avec le mystère que ça comporte, pour moi le mystère est très important. Je ne
sais pas quand je vais mourir, je ne sais pas ce qu’il y a après la mort. (...)
Il y a une grande différence entre la douleur physique (qu’on peut supporter) et
la souffrance morale – se sentir coupable de mourir parce que tout le monde dit
qu’il faut se battre. La mort n’est pas un échec, c’est un processus normal; une
fois qu’on le comprend et qu’on l’accepte, il n’y a plus de lutte et de souffrance.»
~~~
Beaucoup de philosophes et de sages nous ont
suggéré «de vivre chaque jour comme si c’était le dernier de notre vie». Il est
possible que ce soit cette philosophie de vie qui a permis à Anne-Marie Séguin
de dépasser l’échéance prévue par le diagnostic.
Elle
mentionnait que ce défi lui avait fait prendre davantage conscience de son
corps, des choses qui l’entourent, des personnes qu’elle fréquente ou rencontre
au hasard, et de la valeur de chaque moment vécu.
Sa
relation avec les chevaux montre une fois de plus que l’équithérapie est
extrêmement bénéfique (plusieurs articles à ce propos sur Situation planétaire,
libellé ‘Zoofriendly’).
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