Interview retrouvée par hasard - tout à fait d'actualité.
De nos jours, l’estime de soi se fait poignarder à mort dans ce qu’on nous propose comme «normes» sexuelles. Les démons avalent les anges. On se demande pourquoi les gens se décarcassent autant pour un moment de plaisir où souvent l’amour est absent. Et puis, en cas de pénurie sexuelle, vive le self-service! Autonomie et satisfaction garanties (sans faire souffrir personne), gratuit et pas de maladies...
La tempérance et l’asexualité auraient-elles meilleur gout?
Bonne réflexion!
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Heureux sans sexe
Interview/article : Danielle Stanton
Châtelaine; juillet 2008
Tout le monde est censé ne penser qu’à «ça» : notre société exalte la sexualité, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, bien plus de gens qu’on ne croit ne font pas l’amour. Par manque d’intérêt, par crainte d’être déçus, pour marquer une pause, par ferveur religieuse, pour mille raisons.
Le journaliste et écrivain français Jean-Philippe de Tonnac s’est intéressé à eux. Et a écrit un livre étonnant sur le sujet : La révolution asexuelle (Albin Michel). Un ouvrage qui nous oblige à débrancher le pilote automatique pour réfléchir à la place du plaisir dans notre vie. Châtelaine a joint Jean-Philippe de Tonnac à Paris.
Châtelaine : Dans votre livre, on rencontre des gens qui proclament n’avoir aucun désir sexuel, mais aussi des religieux, des jeunes qui désirent demeurer vierges jusqu’au mariage, des célibataires qui attendent l’âme sœur ou des couples qui se limitent à échanger une grande tendresse. Bref, votre «asexualité» recouvre des cas de figure variés. Qu’ont tous ces gens en commun?
Jean-Philippe de Tonnac : De ne pas faire l’amour, justement. Je propose un éventail anthropologique de toutes les manifestations de la non-sexualité. Nous sommes des êtres sexués mais, de temps en temps, parfois longtemps, nous ne sommes pas dans la sexualité en acte. C’est très bien ainsi. La société nous rebat les oreilles avec un discours unique de sexualité performante et tonitruante! En tournant les projecteurs vers ces gens qui sont hors de la sexualité brute, j’ai voulu rappeler que ne pas faire l’amour peut aussi être tout à fait normal. Fantasmer, être dans l’attente de l’être aimé, tout cela appartient aussi à la sexualité. Il faut cesser à ce chapitre de juger les autres. Et surtout de se juger.
Vous sentez monter le phénomène de l’asexualité?
Je sens surtout un intérêt grandissant pour le sujet. Qu’on parle d’asexualité est le symptôme d’un malaise : soit il y a pas mal de temps que les choses ne vont pas bien, soit les choses ne vont pas bien en général au pays de la sexualité. Avec Internet, les gens peu portés sur la chose se sont regroupés sur des sites et ont un peu durci le ton, comme c’est souvent le cas dans le monde moderne. Du coup, des journalistes ont découvert leur existence et répercuté leur message. Qu’on s’intéresse à ce noyau d’irréductibles somme toute peu nombreux et que leur discours suscite un tel intérêt, c’est très révélateur. Si on était vraiment dans une période de frénésie sexuelle, on ne les écouterait même pas! Si on le fait, c’est qu’on est, au contraire, dans une ère de doute. Le désir ne va pas bien en Occident.
À toutes les époques, il y a eu des gens qui ne faisaient pas l’amour. Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui?
L’extraordinaire fossé qui sépare le discours officiel de la réalité. Et également le fait que, même si ne pas faire l’amour demeure très suspect dans notre société, des gens commencent à réclamer ce droit haut et fort. Cela aussi, c’est tout à fait nouveau.
Peut-on être asexuel et heureux?
Oui, si on ne l’est pas par contrainte ou par empêchement. Beaucoup de couples tiennent ensemble même s’il n’y a plus de sexualité, on le sait très bien. Ces partenaires ressentent quand même un amour très fort l’un pour l’autre. Pour rien au monde ils n’échangeraient contre une expérience sexuelle l’affection et la tendresse qu’ils trouvent dans leur relation. Faire l’équation «absence de sexualité égale absence d’amour» est une erreur. Demandez à des médecins ou à des spécialistes de la sexualité : vous serez surpris du nombre de couples qui consultent simplement pour se faire confirmer qu’ils sont normaux. Ils ne veulent rien changer du tout. Ils sont très bien comme ça.
Vous dites avoir écrit ce livre motivé par un sentiment de lassitude, voire d’écœurement, devant la manière dont la société parle de la sexualité et la montre…
Oui, on nous prend pour des idiots! La société tire parti de cette bêtise ancrée en chacun de nous qui consiste à vouloir suivre la mode. Va pour la mode vestimentaire, mais quand on touche à des choses plus intérieures, qu’il s’agisse de spiritualité, de mystique ou de sexualité, il est absurde de vouloir faire comme son voisin. Nous essayons tous désespérément de nous adapter au discours ambiant : de là vient une grande part de la souffrance contemporaine de ceux qui ne font pas l’amour. Ils se sentent hors norme. Peut-être que la sexualité nous intéresse énormément. Peut-être qu’elle ne nous intéresse pas du tout. Il faut trouver sa réponse à soi et oublier le tapage ambiant. À chacun sa vérité.
Qu’y a-t-il de dangereux dans le discours actuel sur la sexualité?
Le vrai sens de la sexualité s’est perdu. On est obnubilé par la performance, par l’efficacité. Comme si la sexualité ne se prouvait que par la longueur de l’instrument, les cris de la partenaire, l’orgasme à tout prix et à tout coup. Sexualité et orgasme semblent être devenus synonymes. C’est tellement absurde. On sait bien que les choses ne se passent pas comme ça. Que la simple caresse d’un dos nu peut nous faire ressentir quelque chose d’incommensurable. La société ne cesse de nous réduire à des stéréotypes accablants! La sexualité qu’on nous montre est balisée, prévisible. Avant même de commencer, on sait déjà où l’on doit se rendre et quel chemin prendre pour y arriver. C’est d’un ennui absolu. Alors, ne nous surprenons pas si des gens décident de tourner le dos à cela.
L’asexualité, temporaire ou permanente, cache-t-elle une quête de spiritualité, de pureté, d’absolu?
Au-delà des pathologies, des pressions ou de tout ce qui peut nuire au désir, il y a cela, certainement. Un désir pour certaines personnes de décrocher d’une sexualité trop mécaniste, trop proche de la pornographie, de quelque chose qui les rabaisse. Pour eux, la sexualité devrait plutôt les pousser vers le haut, les faire évoluer, leur dévoiler l’autre dans son essence.
L’asexualité gagnera-t-elle du terrain?
C’est possible. Nous sommes actuellement dans un creux de vague. Je voudrais qu’on retienne ceci de mon livre : dans la mesure où nous sommes des êtres sexués, toutes les postures sont porteuses d’un enseignement. On ne doit pas s’installer dans une seule case. Dire : «Je suis échangiste, un point c’est tout» ou : «Je suis un adepte de faire l’amour quatre fois par jour, un point c’est tout» ou : «Je suis un adepte de la non-sexualité, un point c’est tout». Dans le cours de notre existence, nous pouvons être tout cela successivement. Le désir obéit à des saisons. Des saisons qu’il faut respecter. Nous avons des moments de fringale absolue de sexualité; alors il faut y aller, suivre nos pulsions. En d’autres temps, nous sommes un peu à la peine, comme en automne. En d’autres encore, il ne se passe rien, comme lorsqu’un champ est au repos l’hiver, et ça peut aussi être un temps formidable. Et quand le printemps revient, tout repart et c’est magnifique. Il faut savourer chacune des saisons et ne se sentir coupable d’aucune.
La révolution asexuelle
Jean-Philippe de Tonnac
Albin Michel
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