6 mai 2019

L’utérus géré par l’État, les pro-vie et l’industrie porno

Y a-t-il des lois régissant l’usage des organes génitaux masculins? Pas à ma connaissance. Pourtant on n’hésite pas à signifier aux femmes que leur corps ne leur appartient pas, en particulier leur système reproducteur. Ironiquement, tandis qu’on légifère pour sortir les animaux de leur statut d’objets, les femmes perdent graduellement leur statut d’être humain – des «outils» de procréation et des jouets sexuels (1).


Le tsunami conservateur hardcore, à la fois religieux, populiste et masculiniste, fragilise les victoires remportées par les femmes au prix de luttes acharnées et d’échecs durant le 20e siècle.
   Au Canada, beaucoup de candidats, d’élus et de chefs de partis ouvertement créationnistes, climato-négationnistes, anti-avortement, homophobes, pro-pétrole et pro-armes, aimeraient instaurer un genre de République de Gilead (v. série La servante écarlate), où les relations hommes/femmes obéissent à des règles très strictes, où les femmes sont des machines à procréer, où les hommes occupent tous les postes de pouvoir, où les femmes sont démises de leur statut de citoyennes à part entière et ne peuvent ni travailler, ni posséder d'argent, ni être propriétaire. Retour au 19e siècle! Le vice-président américain actuel, Mike Pence, a graduellement mis en place des pions utiles à son rêve de régime théocratique, notamment avec la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour supérieure – un coup d’éclat : la justice «s’ajustera» désormais au fondamentalisme chrétien.

L’appropriation utérine

Boucar Diouf (biologiste, écrivain, animateur, conteur et humoriste)  

La Presse+ 26 janvier 2019

La semaine passée, on a marché encore pour le corps de la femme.

Après la promenade annuelle des pro-vie américains qui ont les yeux et les convictions braqués sur l’utérus, il y eut aussi la Marche des femmes, qui mobilisait celles qui réclament et espèrent que les changements dans la santé et la sécurité physique et économique des femmes arrivent à grands pas.

Les droits des hommes sont sacrés, mais pour ceux de l’autre moitié de l’humanité, il faut encore négocier, et ce ne sont pas les endroits sur la terre où les phallocrates serrent les rangs qui manquent. Cette obsession pathologique pour le contrôle du corps des femmes, mais surtout leur appareil reproducteur, ressemble à une malédiction historique dont certains esprits mâles attardés ont bien de la difficulté à s’affranchir.

Lorsque j’enseignais, j’aimais aborder ironiquement ces dérives masculines en prenant à témoin l’histoire des sciences et plus précisément celle de la physiologie de la reproduction. Pour cause, les premiers scientifiques à étudier l’appareil génital féminin étaient très majoritairement masculins et leur vision biaisée de la sexualité féminine a laissé dans les livres beaucoup de conneries. 

Est-ce étonnant, au fond? Retirer la jaquette le soir et réaliser sous la couverture que le soi-disant grand connaisseur de jour a tout faux sur notre sexualité, voilà qui n’avait certainement rien de surprenant pour bon nombre de ces dames!

Quand j’étudiais la physiologie, on apprenait par exemple qu’une des fonctions de la jouissance au féminin était de propulser les spermatozoïdes vers l’avant. C’est comme si les cris d’extase de la femme étaient reliés à un aspirateur central qui entraînait les spermatozoïdes vers l’ovule. Il a fallu, entre autres, le regard d’une femme appelée Elisabeth A. Lloyd, de l’Université de l’Indiana, pour ébranler ces liens sans nuances qu’on faisait entre orgasme féminin et conception. En 2006, sa publication intitulée L’affaire de l’orgasme féminin : des biais dans l’étude de l’évolution a bousculé bien des certitudes. «Si les femmes avaient besoin d’avoir un orgasme pour tomber enceintes, vous ne seriez probablement pas là pour en parler», avait-elle indiqué, à juste titre, à ses collègues masculins.

En voulant s’approprier le génital féminin à sa façon, la phallocratie scientifique y a aussi laissé des traces qui défient le temps. 

En effet, comme le faisaient les explorateurs découvrant une nouvelle terre, dans les temps anciens où il était coutume de donner son nom à sa découverte, les scientifiques mâles n’ont pas hésité à réclamer des territoires dans le système génital de la femme.
C’est ainsi que vous trouverez dans l’appareil reproducteur féminin des trompes appartenant à Gabriel Fallope, les follicules de Reinier de Graaf, les glandes de Thomas Bartholin et les glandes d’Alexander Skene. Parmi les explorateurs d’autrefois qui peuvent revendiquer des territoires dans le génital féminin, il y a aussi l’incomparable Ernst Gräfenberg qui est propriétaire du point de Gräfenberg, communément appelé le point G. Je me demande ce qu’il en aurait été si ce chercheur avait découvert les condylomes. Pourquoi n’a-t-on pas pensé donner le nom de sa découverte à la femme qui avait accepté de jouer au cobaye et d’offrir son corps à sa science? Bref, si personnel soit le génital féminin, avec autant de scientifiques barbus à lunettes qui y squattent, je me demande si on peut encore parler d’intimité pour le qualifier.

Parlant de dérives phallocratiques et de barbus, ces dernières semaines, j’ai été aussi très touché par l’aboutissement de la longue marche vers la liberté de cette jeune fille qui a échappé à la tyrannie conservatrice saoudienne, qui ne semble pas s’améliorer.
Quand je pense qu’on était nombreux à croire que l’arrivée de Mohammed ben Salmane marquait le début d’un temps nouveau pour les femmes de son pays! Aujourd’hui, force est d’admettre que ses élans de réformateur étaient bien plus une campagne de relations publiques qu’un véritable signe d’ouverture.

Même la permission de conduire qu’il disait vouloir accorder aux femmes avance à pas de tortue. Pour cause, des phallocrates influents s’y opposent avec des arguments fallacieux, pour ne pas dire «phallucieux». Un très respectable cheikh saoudien a déjà tranché la question. Prenant à témoin ses connaissances loufoques en physiologie fonctionnelle, il a déclaré que la conduite automobile affecte la santé des ovaires et pousse le bassin vert le haut. Ce qui explique, selon ce barbu, que la plupart des femmes qui aiment le volant donnent naissance à des enfants qui présentent des problèmes de santé d’ordres variés. Comme quoi mon grand-père avait raison d’enseigner que si la barbe était signe de sagesse, le bouc serait le roi de la planète.

Mais si vous pensez qu’on ne peut pas trouver mieux en matière de connerie sur le sujet, tendez un micro à certains des hommes pro-vie qui ont hurlé leur aversion pour le libre choix, le 18 janvier à Washington, et vous m’en donnerez des nouvelles. Vous risquez de trouver des réflexions aussi pertinentes que celles de ces Saoudiens qui croient qu’une femme devrait à la limite demander une autorisation de respirer à son mari avant de s’oxygéner les poumons.

À quand la fin de ce désir malsain d’appropriation utérine?

La sénatrice de la Californie qui a annoncé cette semaine sa candidature à l’investiture démocrate, Kamala Harris, a déjà posé autrement la question au juge Brett Kavanaugh, qui ne cache pas ses positions anti-avortement. Elle l’avait solidement déstabilisé en lui demandant : «Pouvez-vous me citer une seule loi dans ce pays qui donne au gouvernement le pouvoir de prendre des décisions concernant le corps d’un homme?» Et vlan dans les dents! Cette percutante question mérite d’être posée aux adeptes d’appropriation utérine qui abondent encore malheureusement sur la planète.



(1) Documentaires d’appoint.  

MONTRÉAL XXX : la métropole première dans l’industrie porno sur le web

Sans faire de bruit, Montréal est devenue, ces dernières années, la plaque tournante mondiale de la porno sur le web. Une petite armée de maniaques de l’informatique y gère dans la plus grande discrétion certains des sites pornos les plus populaires de la planète, comme YouPorn et PornHub. Dans le documentaire Montréal XXX, le journaliste Maxime Bergeron nous entraîne dans les coulisses de cette industrie méconnue et controversée, où les dirigeants ont pignon sur rue à Montréal et génèrent des revenus annuels estimés à 1 milliard de dollars.
   L’industrie de la porno est un véritable moteur économique pour la métropole. Elle a une longueur d’avance en matière d’investissement technologique et elle attire ainsi les cerveaux les plus doués. Les entreprises de celle-ci se battent aujourd’hui avec les géants du jeu vidéo, comme Ubisoft, dans l’espoir d’attirer les meilleurs talents. Le meneur mondial dans ce secteur, MindGeek, compte à lui seul environ 1000 employés.
   Comment la ville de Montréal est-elle devenue un tel centre névralgique de la porno, attirant les cerveaux les plus doués? Surtout, comment cette croissance phénoménale a-t-elle pu passer à ce point sous le radar? Montréal XXX rassemble une série de témoignages inédits, nous faisant découvrir au passage les innovations qui guideront le sexe dans le monde numérique de demain.


Over 18
Jared Brock, Michelle Brock | 2018 1:14:46

Over 18: The Question is Not Enough is a broad examination of modern pornography. For just a generation ago, porn was on the fringe in glossy magazines. Today, porn is mainstream and even celebrated. But as softcore imagery migrated into popular culture through advertising and became normalised, today’s mainstream porn is hardcore and explicit in order to distinguish itself. Now too, with the pervasiveness of the Internet, graphic video is also increasingly exposed to young people. Over 18 tells the story of Joseph, a 13-year-old boy who is recovering from a porn addiction that he fell into when he was just 9 years old – a case that is not unexceptional. By exploring what today’s mainstream porn is and how it captures people through candid interviews with porn producers and ex-porn stars themselves, Over 18 also provides research from academics, and life experience from recovering addicts, to take aim at the content of modern pornography and its existence as an industry.

[Over 18: The Question is Not Enough constitue un vaste examen de la pornographie moderne. Il y a à peine une génération, la porno était en marge dans des magazines sur papier glacé. Aujourd'hui, la porno est un phénomène courant et même célébré. Mais à mesure que l'imagerie softcore a migré dans la culture populaire par la publicité et s'est normalisée, la porno grand public d'aujourd'hui est devenue hardcore et explicite afin de se distinguer. Maintenant aussi, avec l'omniprésence d'Internet, la vidéo graphique est de plus en plus exposée aux jeunes. Plus de 18 ans raconte l'histoire de Joseph, un garçon de 13 ans qui se remet d'une dépendance à la porno dans laquelle il est tombé quand il n'avait que 9 ans – son cas n'est pas une exception. En explorant ce qu'est la porno grand public d'aujourd'hui et comment elle capte les gens par le biais d'entrevues franches avec des producteurs de porno et d'anciennes stars du porno elles-mêmes, Plus de 18 ans fournit également des recherches universitaires et l'expérience de vie de dépendants en rétablissement, pour se pencher sur le contenu de la pornographie moderne et son existence en tant qu’industrie.]

The Bystander Moment
Jeremy Earp 2018 49:38

The ‘MeToo’ movement has brought the pervasiveness of sexual abuse and harassment in this culture to the mainstream, creating an unprecedented demand for sexual violence prevention models that actually work. The Bystander Moment tells the story of one of the most prominent and proven of these models developed by activist and writer Jackson Katz and his colleagues. Illustrated through archival footage and clips from news, sports, and entertainment media, Katz explores the role of bystanders – especially friends, teammates, classmates, and co-workers – in perpetuating sexual harassment and sexual assault. Katz also gives attention to peer culture dynamics – in particular the male peer culture dynamics across race and ethnicity – that help normalise sexism and misogyny while silencing other men in the face of abuse. The Bystander Moment qualifies the crucial importance of appealing to people not as potential perpetrators or passive spectators, but as active bystanders and allies who have a positive role to play in challenging and changing sexist cultural norms, to stopping abuse and violence.

L’on revient inévitablement à l’éducation (on n’y échappe pas) tant pour les personnes de sexe féminin que masculin : la meilleure «tactique» de prévention.
[Le mouvement «MeToo» a permis d’attirer l’attention de la majorité sur l'omniprésence des abus et du harcèlement sexuels dans notre culture, créant une demande sans précédent de modèles de prévention de la violence sexuelle qui fonctionnent. The Bystander Moment raconte l'histoire de l'un des modèles les plus célèbres et les plus éprouvés développés par l'activiste et écrivain Jackson Katz et ses collègues. Illustré par des séquences d'archives et des extraits de nouvelles, de sports et de médias de divertissement, Katz explore le rôle des témoins – en particulier les amis, les coéquipiers, les camarades de classe et les collègues – dans la perpétuation du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles. Katz s'intéresse également à la dynamique de la culture des pairs – en particulier la dynamique de la culture masculine à travers la race et l'ethnicité – qui aide à normaliser le sexisme et la misogynie tout en réduisant les autres hommes au silence face à la violence. The Bystander Moment insiste sur l'importance cruciale de faire appel aux gens non pas en tant que prédateurs potentiels ou spectateurs passifs, mais en tant que spectateurs et alliés actifs qui ont un rôle positif à jouer dans la remise en question et le changement des normes culturelles sexistes, pour mettre fin aux abus et à la violence.]

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Parler de la prostitution, ce n’est jamais qu’évoquer la partie visible de l’iceberg – un iceberg fait de traite d’êtres humains, de trafic de drogues, de violence, de pornographie, de connexion avec le crime organisé, tout cela à l’échelle planétaire. C’est parler d’exploiteurs et de profiteurs, de proxénètes et de clients. C’est aussi et avant tout parler de victimes, de femmes socialement démunies, fragiles, sans défense, souvent autochtones, immigrantes ou introduites illégalement dans le pays et donc sans recours aucun – toutes femmes exposées à la brutalité, livrées à la servitude au nom de dettes pour la plupart grossies ou inventées. Bref, prostitution veut dire marchandisation d’êtres humains, et donc atteinte à leur intégrité physique et psychologique.
   À Montréal, plaque tournante de cette industrie, on estime que le nombre de femmes prostituées se situe entre 5 000 et 10 000; elles sont, pour l’ensemble du Québec, concentrées essentiellement dans les salons de massage (56,3 %), les bars de danseuses (20,7 %), les bars et hôtels, et les agences d’escortes (Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, 2014). L’Organisation internationale du travail évalue aujourd’hui à 99 milliards par année, dont 26 milliards dans les pays riches, les bénéfices de ce travail forcé qui rapporte un gain annuel de 80 000 dollars par victime dans les pays riches. On comprend que d’importants intérêts financiers sont en jeu.
   La prostituée n’est pas, comme on le dit couramment, une «travailleuse du sexe». Si pratiquer la prostitution, c’est faire un métier comme un autre, pourquoi ne pas l’enseigner dans les cégeps ou l’offrir comme débouché aux chômeuses ? En réalité, la prostituée est exposée à toutes les formes possibles d’outrance et de rabaissement. De plus, la prostitution est souvent associée à la traite, car le besoin de chair fraîche est insatiable. Les statistiques indiquent que les plus jeunes des prostituées sont tout juste pubères. Il est par conséquent clair que, lorsque nous parlons de prostituées, il faut souvent entendre enfants mineures.
   On dit que la sexualité des hommes est irrépressible, que c’est un besoin. La faim, la soif sont, elles, véritablement des besoins, on ne peut faire autrement que les combler sauf à périr; mais on n’a jamais vu un homme mourir de ne pouvoir satisfaire sa libido. On dit aussi la prostituée heureuse, entrée volontairement et librement dans un «métier» : la plupart du temps, le piège finit par se refermer sur elle. Ou encore que la prostitution est un «mal nécessaire» – nécessaire pour qui, si ce n’est pour les personnes qui en sont les véritables bénéficiaires, soit les clients et les proxénètes?
   Il faut aussi réintroduire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, désamorcer les stéréotypes sexuels qui légitiment l’achat de sexe tarifé et mettre en place les mesures sociales capables d’aider les femmes engagées dans la prostitution ou désireuses d’en sortir. L’octroi de 20 millions qui est annoncé par le gouvernement est un pas dans la bonne direction.
   Ce qui se passe dans le domaine de la prostitution est tout à fait comparable à ce qui se passe dans celui de l’esclavage : la chosification d’êtres humains, leur ravalement au rang d’objets jetables et consommables à loisir, juste bons à satisfaire les «maîtres». C’est finalement la question de la dignité humaine, celle des femmes, qui est en jeu.

Michèle Sirois Andrée Yanacopoulo
Le Devoir 16 juin 2014

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