Le tsunami conservateur hardcore, à la fois religieux, populiste et masculiniste, fragilise les victoires remportées par les femmes au prix de luttes acharnées et d’échecs durant le 20e siècle.
Au Canada, beaucoup de candidats, d’élus et de
chefs de partis ouvertement créationnistes, climato-négationnistes, anti-avortement,
homophobes, pro-pétrole et pro-armes, aimeraient instaurer un genre de République de Gilead (v. série La servante écarlate), où les relations
hommes/femmes obéissent à des règles très strictes, où les femmes sont des
machines à procréer, où les hommes occupent tous les postes de pouvoir, où les
femmes sont démises de leur statut de citoyennes à part entière et ne peuvent
ni travailler, ni posséder d'argent, ni être propriétaire. Retour au 19e siècle! Le
vice-président américain actuel, Mike Pence, a graduellement mis en place des
pions utiles à son rêve de régime théocratique, notamment avec la nomination de
Brett Kavanaugh à la Cour supérieure – un coup d’éclat : la justice «s’ajustera»
désormais au fondamentalisme chrétien.
L’appropriation utérine
Boucar Diouf (biologiste, écrivain, animateur, conteur et humoriste)
La Presse+ 26 janvier 2019
La semaine passée, on a marché encore pour le corps
de la femme.
Après la
promenade annuelle des pro-vie américains qui ont les yeux et les convictions
braqués sur l’utérus, il y eut aussi la Marche des femmes, qui mobilisait
celles qui réclament et espèrent que les changements dans la santé et la
sécurité physique et économique des femmes arrivent à grands pas.
Les
droits des hommes sont sacrés, mais pour ceux de l’autre moitié de l’humanité,
il faut encore négocier, et ce ne sont pas les endroits sur la terre où les
phallocrates serrent les rangs qui manquent. Cette obsession pathologique pour
le contrôle du corps des femmes, mais surtout leur appareil reproducteur,
ressemble à une malédiction historique dont certains esprits mâles attardés ont
bien de la difficulté à s’affranchir.
Lorsque
j’enseignais, j’aimais aborder ironiquement ces dérives masculines en prenant à
témoin l’histoire des sciences et plus précisément celle de la physiologie de
la reproduction. Pour cause, les premiers scientifiques à étudier l’appareil
génital féminin étaient très majoritairement masculins et leur vision biaisée
de la sexualité féminine a laissé dans les livres beaucoup de conneries.
Est-ce étonnant, au fond? Retirer la jaquette le soir et réaliser sous la couverture que le soi-disant grand connaisseur de jour a tout faux sur notre sexualité, voilà qui n’avait certainement rien de surprenant pour bon nombre de ces dames!
Est-ce étonnant, au fond? Retirer la jaquette le soir et réaliser sous la couverture que le soi-disant grand connaisseur de jour a tout faux sur notre sexualité, voilà qui n’avait certainement rien de surprenant pour bon nombre de ces dames!
Quand j’étudiais la
physiologie, on apprenait par exemple qu’une des fonctions de la jouissance au
féminin était de propulser les spermatozoïdes vers l’avant. C’est comme si les
cris d’extase de la femme étaient reliés à un aspirateur central qui entraînait
les spermatozoïdes vers l’ovule. Il a fallu, entre autres, le regard d’une
femme appelée Elisabeth A. Lloyd, de l’Université de l’Indiana, pour ébranler
ces liens sans nuances qu’on faisait entre orgasme féminin et conception. En
2006, sa publication intitulée L’affaire de l’orgasme féminin : des biais dans l’étude de
l’évolution a bousculé bien des certitudes. «Si les femmes avaient besoin d’avoir un orgasme pour tomber enceintes,
vous ne seriez probablement pas là pour en parler», avait-elle indiqué, à
juste titre, à ses collègues masculins.
En voulant
s’approprier le génital féminin à sa façon, la phallocratie scientifique y a
aussi laissé des traces qui défient le temps.
En effet, comme le
faisaient les explorateurs découvrant une nouvelle terre, dans les temps
anciens où il était coutume de donner son nom à sa découverte, les
scientifiques mâles n’ont pas hésité à réclamer des territoires dans le système
génital de la femme.
C’est ainsi que vous
trouverez dans l’appareil reproducteur féminin des trompes appartenant à
Gabriel Fallope, les follicules de Reinier de Graaf, les glandes de Thomas
Bartholin et les glandes d’Alexander Skene. Parmi les explorateurs d’autrefois
qui peuvent revendiquer des territoires dans le génital féminin, il y a aussi
l’incomparable Ernst Gräfenberg qui est propriétaire du point de Gräfenberg,
communément appelé le point G. Je me demande ce qu’il en aurait été si ce
chercheur avait découvert les condylomes. Pourquoi n’a-t-on pas pensé donner le
nom de sa découverte à la femme qui avait accepté de jouer au cobaye et d’offrir
son corps à sa science? Bref, si personnel soit le génital féminin, avec autant
de scientifiques barbus à lunettes qui y squattent, je me demande si on peut
encore parler d’intimité pour le qualifier.
Parlant de dérives
phallocratiques et de barbus, ces dernières semaines, j’ai été aussi très
touché par l’aboutissement de la longue marche vers la liberté de cette jeune
fille qui a échappé à la tyrannie conservatrice saoudienne, qui ne semble pas
s’améliorer.
Quand je pense qu’on
était nombreux à croire que l’arrivée de Mohammed ben Salmane marquait le début
d’un temps nouveau pour les femmes de son pays! Aujourd’hui, force est
d’admettre que ses élans de réformateur étaient bien plus une campagne de
relations publiques qu’un véritable signe d’ouverture.
Même la permission de
conduire qu’il disait vouloir accorder aux femmes avance à pas de tortue. Pour
cause, des phallocrates influents s’y opposent avec des arguments fallacieux,
pour ne pas dire «phallucieux». Un très respectable cheikh saoudien a déjà
tranché la question. Prenant à témoin ses connaissances loufoques en
physiologie fonctionnelle, il a déclaré que la conduite automobile affecte la
santé des ovaires et pousse le bassin vert le haut. Ce qui explique, selon ce
barbu, que la plupart des femmes qui aiment le volant donnent naissance à des
enfants qui présentent des problèmes de santé d’ordres variés. Comme quoi mon
grand-père avait raison d’enseigner que si la barbe était signe de sagesse, le
bouc serait le roi de la planète.
Mais si vous pensez
qu’on ne peut pas trouver mieux en matière de connerie sur le sujet, tendez un
micro à certains des hommes pro-vie qui ont hurlé leur aversion pour le libre
choix, le 18 janvier à Washington, et vous m’en donnerez des nouvelles. Vous
risquez de trouver des réflexions aussi pertinentes que celles de ces Saoudiens
qui croient qu’une femme devrait à la limite demander une autorisation de
respirer à son mari avant de s’oxygéner les poumons.
À quand la fin de ce
désir malsain d’appropriation utérine?
La sénatrice de la
Californie qui a annoncé cette semaine sa candidature à l’investiture
démocrate, Kamala Harris, a déjà posé autrement la question au juge Brett
Kavanaugh, qui ne cache pas ses positions anti-avortement. Elle l’avait
solidement déstabilisé en lui demandant : «Pouvez-vous me citer une seule loi dans ce pays qui donne au
gouvernement le pouvoir de prendre des décisions concernant le corps d’un
homme?» Et vlan dans les dents! Cette percutante question mérite d’être
posée aux adeptes d’appropriation utérine qui abondent encore malheureusement
sur la planète.
(1)
Documentaires d’appoint.
MONTRÉAL XXX : la métropole
première dans l’industrie porno sur le web
Sans
faire de bruit, Montréal est devenue, ces dernières années, la plaque tournante
mondiale de la porno sur le web. Une petite armée de maniaques de
l’informatique y gère dans la plus grande discrétion certains des sites pornos
les plus populaires de la planète, comme YouPorn et PornHub. Dans le
documentaire Montréal XXX, le journaliste Maxime Bergeron nous entraîne dans
les coulisses de cette industrie méconnue et controversée, où les dirigeants
ont pignon sur rue à Montréal et génèrent des revenus annuels estimés à 1
milliard de dollars.
L’industrie de la porno est un véritable
moteur économique pour la métropole. Elle a une longueur d’avance en matière
d’investissement technologique et elle attire ainsi les cerveaux les plus
doués. Les entreprises de celle-ci se battent aujourd’hui avec les géants du
jeu vidéo, comme Ubisoft, dans l’espoir d’attirer les meilleurs talents. Le
meneur mondial dans ce secteur, MindGeek, compte à lui seul environ 1000
employés.
Comment la ville de Montréal est-elle
devenue un tel centre névralgique de la porno, attirant les cerveaux les plus
doués? Surtout, comment cette croissance phénoménale a-t-elle pu passer à ce
point sous le radar? Montréal XXX rassemble une série de témoignages inédits,
nous faisant découvrir au passage les innovations qui guideront le sexe dans le
monde numérique de demain.
Over
18
Jared Brock, Michelle Brock | 2018 1:14:46
Over 18: The Question is Not Enough is
a broad examination of modern pornography. For just a generation ago, porn was
on the fringe in glossy magazines. Today, porn is mainstream and even
celebrated. But as softcore imagery migrated into popular culture through
advertising and became normalised, today’s mainstream porn is hardcore and
explicit in order to distinguish itself. Now too, with the pervasiveness of the
Internet, graphic video is also increasingly exposed to young people. Over 18 tells the story of Joseph, a
13-year-old boy who is recovering from a porn addiction that he fell into when
he was just 9 years old – a case that is not unexceptional. By exploring what
today’s mainstream porn is and how it captures people through candid interviews
with porn producers and ex-porn stars themselves, Over 18 also provides
research from academics, and life experience from recovering addicts, to take
aim at the content of modern pornography and its existence as an industry.
[Over 18: The Question is Not Enough constitue
un vaste examen de la pornographie moderne. Il y a à peine une génération, la
porno était en marge dans des magazines sur papier glacé. Aujourd'hui, la porno
est un phénomène courant et même célébré. Mais à mesure que l'imagerie softcore
a migré dans la culture populaire par la publicité et s'est normalisée, la
porno grand public d'aujourd'hui est devenue hardcore et explicite afin de se
distinguer. Maintenant aussi, avec l'omniprésence d'Internet, la vidéo
graphique est de plus en plus exposée aux jeunes. Plus de 18 ans raconte l'histoire de Joseph, un garçon de 13 ans qui
se remet d'une dépendance à la porno dans laquelle il est tombé quand il
n'avait que 9 ans – son cas n'est pas une exception. En explorant ce qu'est la
porno grand public d'aujourd'hui et comment elle capte les gens par le biais
d'entrevues franches avec des producteurs de porno et d'anciennes stars du
porno elles-mêmes, Plus de 18 ans
fournit également des recherches universitaires et l'expérience de vie de
dépendants en rétablissement, pour se pencher sur le contenu de la pornographie
moderne et son existence en tant qu’industrie.]
The
Bystander Moment
Jeremy Earp 2018 49:38
The ‘MeToo’ movement has brought the pervasiveness of
sexual abuse and harassment in this culture to the mainstream, creating an
unprecedented demand for sexual violence prevention models that actually work. The Bystander Moment tells the story of
one of the most prominent and proven of these models developed by activist and
writer Jackson Katz and his colleagues. Illustrated through archival footage
and clips from news, sports, and entertainment media, Katz explores the role of
bystanders – especially friends, teammates, classmates, and co-workers – in
perpetuating sexual harassment and sexual assault. Katz also gives attention to
peer culture dynamics – in particular the male peer culture dynamics across
race and ethnicity – that help normalise sexism and misogyny while silencing
other men in the face of abuse. The
Bystander Moment qualifies the crucial importance of appealing to people
not as potential perpetrators or passive spectators, but as active bystanders
and allies who have a positive role to play in challenging and changing sexist
cultural norms, to stopping abuse and violence.
L’on
revient inévitablement à l’éducation (on n’y échappe pas) tant pour les
personnes de sexe féminin que masculin : la meilleure «tactique» de prévention.
[Le
mouvement «MeToo» a permis d’attirer l’attention de la majorité sur
l'omniprésence des abus et du harcèlement sexuels dans notre culture, créant
une demande sans précédent de modèles de prévention de la violence sexuelle qui
fonctionnent. The Bystander Moment
raconte l'histoire de l'un des modèles les plus célèbres et les plus éprouvés
développés par l'activiste et écrivain Jackson Katz et ses collègues. Illustré
par des séquences d'archives et des extraits de nouvelles, de sports et de
médias de divertissement, Katz explore le rôle des témoins – en particulier les
amis, les coéquipiers, les camarades de classe et les collègues – dans la
perpétuation du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles. Katz
s'intéresse également à la dynamique de la culture des pairs – en particulier
la dynamique de la culture masculine à travers la race et l'ethnicité – qui
aide à normaliser le sexisme et la misogynie tout en réduisant les autres
hommes au silence face à la violence. The
Bystander Moment insiste sur l'importance cruciale de faire appel aux gens
non pas en tant que prédateurs potentiels ou spectateurs passifs, mais en tant
que spectateurs et alliés actifs qui ont un rôle positif à jouer dans la remise
en question et le changement des normes culturelles sexistes, pour mettre fin
aux abus et à la violence.]
~~~
Parler
de la prostitution, ce n’est jamais qu’évoquer la partie visible de l’iceberg –
un iceberg fait de traite d’êtres humains, de trafic de drogues, de violence,
de pornographie, de connexion avec le crime organisé, tout cela à l’échelle
planétaire. C’est parler d’exploiteurs et de profiteurs, de proxénètes et de
clients. C’est aussi et avant tout parler de victimes, de femmes socialement
démunies, fragiles, sans défense, souvent autochtones, immigrantes ou
introduites illégalement dans le pays et donc sans recours aucun – toutes
femmes exposées à la brutalité, livrées à la servitude au nom de dettes pour la
plupart grossies ou inventées. Bref, prostitution veut dire marchandisation
d’êtres humains, et donc atteinte à leur intégrité physique et psychologique.
À Montréal, plaque tournante de cette
industrie, on estime que le nombre de femmes prostituées se situe entre 5 000
et 10 000; elles sont, pour l’ensemble du Québec, concentrées essentiellement
dans les salons de massage (56,3 %), les bars de danseuses (20,7 %), les bars
et hôtels, et les agences d’escortes (Concertation des luttes contre
l’exploitation sexuelle, 2014). L’Organisation internationale du travail évalue
aujourd’hui à 99 milliards par année, dont 26 milliards dans les pays riches,
les bénéfices de ce travail forcé qui rapporte un gain annuel de 80 000 dollars
par victime dans les pays riches. On comprend que d’importants intérêts
financiers sont en jeu.
La prostituée n’est pas, comme on le dit
couramment, une «travailleuse du sexe». Si pratiquer la prostitution, c’est
faire un métier comme un autre, pourquoi ne pas l’enseigner dans les cégeps ou
l’offrir comme débouché aux chômeuses ? En réalité, la prostituée est exposée à
toutes les formes possibles d’outrance et de rabaissement. De plus, la
prostitution est souvent associée à la traite, car le besoin de chair fraîche
est insatiable. Les statistiques indiquent que les plus jeunes des prostituées
sont tout juste pubères. Il est par conséquent clair que, lorsque nous parlons
de prostituées, il faut souvent entendre enfants mineures.
On dit que la sexualité des hommes est
irrépressible, que c’est un besoin. La faim, la soif sont, elles, véritablement
des besoins, on ne peut faire autrement que les combler sauf à périr; mais on
n’a jamais vu un homme mourir de ne pouvoir satisfaire sa libido. On dit aussi
la prostituée heureuse, entrée volontairement et librement dans un «métier» :
la plupart du temps, le piège finit par se refermer sur elle. Ou encore que la
prostitution est un «mal nécessaire» – nécessaire pour qui, si ce n’est pour
les personnes qui en sont les véritables bénéficiaires, soit les clients et les
proxénètes?
Il faut aussi réintroduire les cours
d’éducation sexuelle dans les écoles, désamorcer les stéréotypes sexuels qui
légitiment l’achat de sexe tarifé et mettre en place les mesures sociales
capables d’aider les femmes engagées dans la prostitution ou désireuses d’en
sortir. L’octroi de 20 millions qui est annoncé par le gouvernement est un pas
dans la bonne direction.
Ce qui se passe dans le domaine de la
prostitution est tout à fait comparable à ce qui se passe dans celui de
l’esclavage : la chosification d’êtres humains, leur ravalement au rang
d’objets jetables et consommables à loisir, juste bons à satisfaire les
«maîtres». C’est finalement la question de la dignité humaine, celle des
femmes, qui est en jeu.
Michèle
Sirois Andrée Yanacopoulo
Le
Devoir 16 juin 2014
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