5 août 2018

L'impact émotionnel du viol de notre habitat

J’ignorais jusqu’à hier, qu’il existait un néologisme, la solastalgie, pour décrire ce désarroi et cette tristesse que je ressens face à la destruction de notre environnement individuel et planétaire, que j’exprimais ainsi récemment : «C’est dur, dur, dur pour les gens de mon âge de voir la terre se salir, s’enlaidir et se déglinguer de telle sorte. Alors en effet, il faut se faire un «cœur de bois», sinon de pierre, pour ne pas pleurer tout l’temps. C’était un monde d’une immense beauté. Et je ne dis pas ça par romantisme nostalgique, c’est un fait.» (La mer qu’on «voyait» danser, publié le 4 juillet 2018)

La solastalgie est un concept développé par le philosophe Glenn Albrecht pour donner plus de sens et de clarté à la détresse provoquée les changements environnementaux. Contrairement à la nostalgie – la mélancolie ou le mal du pays vécu par les individus lorsqu'ils sont séparés de leur lieu d’origine – c’est être privé de l’essence même de son environnement dans la réalité présente, dont s’ensuit un sentiment de ne plus se sentir chez soi sur son propre territoire.

Close-up d’un tableau de Léon Cogniet (1794-1880), Le Massacre des Innocents.  

Souffrez-vous de «solastalgia»?
Isabelle Paré | Le Devoir | 18 avril 2015

Pour la première fois de son histoire, l’humanité fait face à la destruction potentielle de son unique habitat : la planète. Cette menace altère non seulement nos comportements, nos interactions sociales, mais la psyché même des individus, affirme Glenn Albrecht, philosophe de l’environnement et professeur au Département d’études environnementales de l’Université de Murdoch, en Australie. L’instigateur du concept de «solastalgia» nous parle de ce nouveau mal-être, à l’aube des changements climatiques. Entrevue.

Les changements climatiques ont des impacts connus sur la santé mentale et physique des populations. En inventant le concept de «solastalgia», vous avez poussé plus loin cette réflexion, pour décrire l’impact psychologique causé par la détérioration de l’environnement sur la conscience et le bien-être des collectivités et des individus. De quoi s’agit-il?
   Glenn Albrecht : Comme philosophe de l’environnement, mon travail m’a amené à travailler avec des fermiers qui vivaient dans une vallée luxuriante du sud de l’Australie, qui pourrait être décrite comme la Toscane des antipodes. Depuis 20 ans, l’exploitation effrénée de mines de charbon à ciel ouvert dans la vallée de Hunter, dans New South Wales, a transformé leur vie en enfer. Des explosions ponctuent leurs journées, les cours d’eau ont été pollués et d’immenses projecteurs éclairent les sites d’extraction nuit et jour. Ces gens sont venus me voir. Ils étaient en détresse, habités par une sorte de nostalgie permanente. Ils n’étaient pas privés de leur habitat, mais avaient le mal du pays. Or il n’existait pas de mot pour décrire cet état d’impuissance et de détresse profonde causé par le bouleversement d’un écosystème. Pour cette raison, j’ai développé le concept de «solastalgia», qui signifie «être privé de l’essence même de son environnement».

Comment est né ce néologisme, aujourd’hui cité et repris par de nombreux scientifiques et chercheurs concentrés sur l’impact psychologique des changements climatiques?
   Ce sentiment se rapproche de la nostalgie ou de la mélancolie, qui, jusqu’au début du siècle, était considérée comme un trouble médical. Mais je ne suis pas médecin. Je décris plutôt un état, un sentiment profond vécu par des gens qui souffrent du mal du pays, en raison des mutations de leur habitat, même si, paradoxalement, ils sont encore chez eux. Je me suis inspiré du terme anglais «solace», qui renvoie au sentiment de réconfort et de soulagement, pour créer la solastalgia. Cet état décrit la détresse causée par la perte lente mais chronique des paramètres familiers liés à l’environnement d’un individu. Le rapport à l’environnement fait partie des éléments essentiels à l’équilibre mental humain. En ce sens, la perte de notre environnement a un impact direct sur l’état de notre conscience.

S’agit-il d’un état ou d’un trouble psychologique, pouvant aller jusqu’à affecter la santé mentale?
   Je suis un philosophe, un existentialiste, j’analyse le rapport de l’humain à la Terre et ne prétends pas contribuer à la science médicale. L’humain est un animal qui peut être rationnel et scientifique, mais aussi un animal émotif. J’ai voyagé à d’autres endroits dans le monde où l’on observe des populations affectées par cet état de solastalgia, cette détresse liée au bouleversement de leur environnement. Ces conditions, que j’appelle «psychoterratiques», renvoient à toutes les émotions et tous les sentiments découlant du lien entre la psyché et la Terre. Les concepts d’écoanxiété et d’écoparalysie ont aussi été décrits dans la littérature, mais ces termes ne font pas référence à des pathologies médicales qui peuvent être guéries par la médecine. Ce sont des états, des émotions.

Si les gens souffrent émotivement de l’impact des changements climatiques, comment expliquer l’absence d’actions et de réactions de la majorité des gens, et surtout des dirigeants, face à la menace causée par le réchauffement climatique?
   Certaines personnes vivent directement l’impact des changements climatiques. Parlez-en aux habitants de La Nouvelle-Orléans qui ont vécu l’ouragan Katrina. Le taux de détresse psychologique y a bondi, notamment chez les plus démunis. Le problème est que la majorité des gens en Occident ne sont pas encore touchés par les impacts du réchauffement climatique. Ce danger est encore perçu comme une menace lointaine. En plus de l’ignorance, la surabondance d’information et la désinformation sur les changements climatiques finissent par entraîner chez le commun des mortels aussi une sorte d’écoparalysie. On parle même d’écoconfusion, un sentiment qui survient quand les gens se sentent impuissants et incertains face à une menace réelle, surtout quand leurs propres dirigeants, notamment le vôtre au Canada, répondent par le déni ou tout simplement par la stupidité.

Photographe : Serge Horta, Shanghaï Fog. https://www.saatchiart.com/sergehorta

L’instinct de survie propre à l’homme, observé lors de cataclysmes naturels ou d’autres catastrophes causées par l’homme comme les guerres, ne finira-t-il pas par prendre le pas sur toutes ces autres émotions qui expliquent l’immobilisme actuel?
   La question des changements climatiques est un enjeu global. Or, comme espèce, l’humain a évolué dans des habitats dont l’échelle est d’abord régionale. La mondialisation de la culture a aussi éloigné les hommes de la réalité de ces écosystèmes régionaux et des cycles naturels de la nature. Dans ses travaux, Peter Louv parle de nature-deficit disorder pour décrire certains enfants de la dernière génération, constamment branchés à leur téléphone et à leur ordinateur, qui grandissent sans développer aucune conscience ni lien avec leur habitat naturel. Comment peut-on espérer que, à l’âge adulte, ces enfants éprouvent la moindre empathie avec la nature si leur vie est concentrée sur un monde virtuel?

Pourtant, ce sont des adultes comme vous et moi qui n’ont pas grandi dans cette culture mondialisée et dopée par Internet qui prennent les décisions qui seront décisives pour l’avenir de l’humanité.
   Les adultes souffrent aussi de ce que je surnomme à la blague le nature out overdose disorder. Nous sommes comme les naïfs du Na’vi dans Avatar. L’omniprésence de la technologie nous distrait des vrais problèmes. Le monde est inondé d’informations triviales qui expliquent cette indifférence généralisée. C’est tellement plus facile d’être distrait par les fesses de Kim Kardashian et les vidéos de chats que de se concentrer sur les enjeux cruciaux. Cela est pathétique.

Vous n’avez pas l’air très optimiste à propos de la capacité de l’être humain de se ressaisir pour changer ce qui semble inéluctable?
   Il y a un réel effet de décalage entre nos actions immédiates et l’impact attendu sur le réchauffement de la planète. Si nous reportons les actions essentielles pour agir sur le climat, notre comportement devra forcément changer pour s’ajuster à la hausse des températures et à la destruction des écosystèmes. À ce stade, il sera trop tard pour stopper la destruction d’une partie de la planète et beaucoup de gens vont en souffrir. Ce que j’appelle aujourd’hui la solastalgia sera un pique-nique, comparativement à l’intensité de la détresse que causeront les pandémies, les conflits causés par la diminution des ressources disponibles et le chaos social causé par l’effondrement de l’agriculture et des pêcheries. Il faut agir maintenant pour empêcher cela d’arriver.

Croyez-vous qu’on peut encore changer le cours des choses?
   Oui, je crois que les choses peuvent changer. Des mouvements sociaux importants s’organisent, comme ceux menés par Bill McKibben (NDLR : leader du groupe 350.org et du mouvement Step It Up, un mouvement national pressant le Congrès américain d’agir pour stopper le réchauffement climatique) ou Naomi Klein (star anticapitaliste, auteur de No Logo, devenue récemment activiste dans la lutte contre les changements climatiques). Mais, pour cela, il faudra passer d’une époque anthropocène (marquée, depuis la fin du XVIIIe siècle, par l’influence prédominante de l’être humain sur la biosphère), à la «simbioscène», une ère où l’homme devra apprendre à vivre en symbiose avec la planète pour assurer sa propre survie.


Have you ever felt “solastalgia”?
Ever feel unease the natural environment around you is changing for the worse?

By Georgina Kenyon
BBC Future | 2 November 2015

Philosopher Glenn Albrecht once coined one such word while working at the University of Newcastle in Australia. 'Solastalgia’ – a portmanteau of the words ‘solace’ and ‘nostalgia’ – is used not just in academia but more widely, in clinical psychology and health policy in Australia, as well as by US researchers looking into the effects of wildfires in California.
   “It describes the feeling of distress associated with environmental change close to your home, solastalgia is when your endemic sense of place is being violated.” – Glenn Albrecht, philosopher
   Meanwhile, Justin Lawson from Melbourne’s Deakin University explains solastalgia in less academic terms, saying The Eagles’ song No More Walks in the Wood can help people understand it, which laments the disappearance of a forest associated with powerful memories. “It really is about redefining our emotional responses to a landscape that has changed within a lifetime.”
   These changes to the landscape can come from natural processes (such as drought and bushfires) or human-induced processes such as climate change and urbanisation.
   Australia is looking into instances of solastalgia that occur in developing countries such as Indonesia, following natural disasters such as volcanic eruptions, finding that the loss of housing, livestock and farmland, and the ongoing danger of living in a disaster-prone area, challenge a person’s sense of place and identity and can lead to depression.
   Yet, despite its meaning, the man who coined solastalgia isn’t despairing. “I am an optimistic person and I do a lot to reverse the push for development that will create more climate change and by implication, more solastalgia,” concludes Albrecht. [...]

Une excellente interprétaiton et mise en scène de la chanson 

Desert Highway Band
A tribute to The Eagles



"No More Walks in the Wood"

No more walks in the wood
The trees have all been cut down
And where once they stood
Not even a wagon rut
Appears along the path
Low brush is taking over

No more walks in the wood
This is the aftermath
Of afternoons in the clover fields
Where we once made love
Then wandered home together
Where the trees arched above
Where we made our own weather
When branches were the sky
Now they are gone for good
And you, for ill, and I
Am only a passer-by

We and the trees and the way
Back from the fields of play
Lasted as long as we could
No more walks in the wood

Eagles Band – writer(s): Don Henley, John Frederick Hollander

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