La solastalgie est un concept développé par
le philosophe Glenn Albrecht pour donner plus de sens et de clarté à la
détresse provoquée les changements environnementaux. Contrairement à la nostalgie – la mélancolie ou le mal du
pays vécu par les individus lorsqu'ils sont séparés de leur lieu d’origine – c’est être privé de l’essence même de son
environnement dans la réalité présente, dont s’ensuit un sentiment de ne plus
se sentir chez soi sur son propre territoire.
Close-up d’un tableau de Léon Cogniet (1794-1880),
Le Massacre des Innocents.
Souffrez-vous
de «solastalgia»?
Isabelle Paré | Le Devoir | 18
avril 2015
Pour la première fois de son histoire, l’humanité
fait face à la destruction potentielle de son unique habitat : la planète.
Cette menace altère non seulement nos comportements, nos interactions sociales,
mais la psyché même des individus, affirme Glenn Albrecht, philosophe de
l’environnement et professeur au Département d’études environnementales de
l’Université de Murdoch, en Australie. L’instigateur du concept de «solastalgia»
nous parle de ce nouveau mal-être, à l’aube des changements climatiques.
Entrevue.
Les
changements climatiques ont des impacts connus sur la santé mentale et physique
des populations. En inventant le concept de «solastalgia», vous avez poussé
plus loin cette réflexion, pour décrire l’impact psychologique causé par la
détérioration de l’environnement sur la conscience et le bien-être des
collectivités et des individus. De quoi s’agit-il?
Glenn
Albrecht : Comme philosophe de l’environnement, mon travail m’a amené à
travailler avec des fermiers qui vivaient dans une vallée luxuriante du sud de
l’Australie, qui pourrait être décrite comme la Toscane des antipodes. Depuis 20 ans, l’exploitation effrénée de
mines de charbon à ciel ouvert dans la vallée de Hunter, dans New South Wales,
a transformé leur vie en enfer. Des
explosions ponctuent leurs journées, les cours d’eau ont été pollués et
d’immenses projecteurs éclairent les sites d’extraction nuit et jour. Ces
gens sont venus me voir. Ils étaient en détresse, habités par une sorte de
nostalgie permanente. Ils n’étaient pas privés de leur habitat, mais avaient le
mal du pays. Or il n’existait pas de mot pour décrire cet état d’impuissance et
de détresse profonde causé par le bouleversement d’un écosystème. Pour cette
raison, j’ai développé le concept de «solastalgia», qui signifie «être privé de
l’essence même de son environnement».
Comment est
né ce néologisme, aujourd’hui cité et repris par de nombreux scientifiques et
chercheurs concentrés sur l’impact psychologique des changements climatiques?
Ce
sentiment se rapproche de la nostalgie ou de la mélancolie, qui, jusqu’au début
du siècle, était considérée comme un trouble médical. Mais je ne suis pas
médecin. Je décris plutôt un état, un sentiment profond vécu par des gens qui
souffrent du mal du pays, en raison des mutations de leur habitat, même si,
paradoxalement, ils sont encore chez eux. Je me suis inspiré du terme anglais
«solace», qui renvoie au sentiment de réconfort et de soulagement, pour créer
la solastalgia. Cet état décrit la détresse causée par la perte lente mais
chronique des paramètres familiers liés à l’environnement d’un individu. Le
rapport à l’environnement fait partie des éléments essentiels à l’équilibre
mental humain. En ce sens, la perte de notre environnement a un impact direct
sur l’état de notre conscience.
S’agit-il
d’un état ou d’un trouble psychologique, pouvant aller jusqu’à affecter la
santé mentale?
Je suis
un philosophe, un existentialiste, j’analyse le rapport de l’humain à la Terre
et ne prétends pas contribuer à la science médicale. L’humain est un animal qui
peut être rationnel et scientifique, mais aussi un animal émotif. J’ai voyagé à
d’autres endroits dans le monde où l’on observe des populations affectées par
cet état de solastalgia, cette détresse liée au bouleversement de leur
environnement. Ces conditions, que j’appelle «psychoterratiques», renvoient à
toutes les émotions et tous les sentiments découlant du lien entre la psyché et
la Terre. Les concepts d’écoanxiété et d’écoparalysie ont aussi été décrits
dans la littérature, mais ces termes ne font pas référence à des pathologies
médicales qui peuvent être guéries par la médecine. Ce sont des états, des
émotions.
Si les gens
souffrent émotivement de l’impact des changements climatiques, comment
expliquer l’absence d’actions et de réactions de la majorité des gens, et
surtout des dirigeants, face à la menace causée par le réchauffement climatique?
Certaines
personnes vivent directement l’impact des changements climatiques. Parlez-en
aux habitants de La Nouvelle-Orléans qui ont vécu l’ouragan Katrina. Le taux de
détresse psychologique y a bondi, notamment chez les plus démunis. Le problème est que la majorité des gens en
Occident ne sont pas encore touchés par les impacts du réchauffement
climatique. Ce danger est encore perçu comme une menace lointaine. En plus de
l’ignorance, la surabondance d’information et la désinformation sur les
changements climatiques finissent par entraîner chez le commun des mortels
aussi une sorte d’écoparalysie. On
parle même d’écoconfusion, un sentiment qui survient quand les gens se sentent
impuissants et incertains face à une menace réelle, surtout quand leurs propres
dirigeants, notamment le vôtre au Canada, répondent par le déni ou tout
simplement par la stupidité.
Photographe :
Serge Horta, Shanghaï Fog. https://www.saatchiart.com/sergehorta
L’instinct
de survie propre à l’homme, observé lors de cataclysmes naturels ou d’autres
catastrophes causées par l’homme comme les guerres, ne finira-t-il pas par
prendre le pas sur toutes ces autres émotions qui expliquent l’immobilisme
actuel?
La
question des changements climatiques est un enjeu global. Or, comme espèce,
l’humain a évolué dans des habitats dont l’échelle est d’abord régionale. La
mondialisation de la culture a aussi éloigné les hommes de la réalité de ces
écosystèmes régionaux et des cycles naturels de la nature. Dans ses travaux, Peter Louv parle de nature-deficit disorder pour décrire certains enfants de la
dernière génération, constamment branchés à leur téléphone et à leur
ordinateur, qui grandissent sans développer aucune conscience ni lien avec leur
habitat naturel. Comment peut-on espérer que, à l’âge adulte, ces enfants
éprouvent la moindre empathie avec la nature si leur vie est concentrée sur un
monde virtuel?
Pourtant, ce
sont des adultes comme vous et moi – qui n’ont pas grandi dans cette
culture mondialisée et dopée par Internet – qui prennent les
décisions qui seront décisives pour l’avenir de l’humanité.
Les
adultes souffrent aussi de ce que je surnomme à la blague le nature out overdose disorder. Nous
sommes comme les naïfs du Na’vi dans Avatar. L’omniprésence de la technologie nous distrait des vrais problèmes. Le
monde est inondé d’informations triviales qui expliquent cette indifférence
généralisée. C’est tellement plus facile d’être distrait par les fesses de Kim
Kardashian et les vidéos de chats que de se concentrer sur les enjeux cruciaux.
Cela est pathétique.
Vous n’avez
pas l’air très optimiste à propos de la capacité de l’être humain de se
ressaisir pour changer ce qui semble inéluctable?
Il y a un
réel effet de décalage entre nos actions immédiates et l’impact attendu sur le
réchauffement de la planète. Si nous
reportons les actions essentielles pour agir sur le climat, notre comportement
devra forcément changer pour s’ajuster à la hausse des températures et à la
destruction des écosystèmes. À ce stade, il sera trop tard pour stopper la
destruction d’une partie de la planète et beaucoup de gens vont en souffrir.
Ce que j’appelle aujourd’hui la
solastalgia sera un pique-nique, comparativement à l’intensité de la détresse
que causeront les pandémies, les conflits causés par la diminution des
ressources disponibles et le chaos social causé par l’effondrement de l’agriculture
et des pêcheries. Il faut agir maintenant pour empêcher cela d’arriver.
Croyez-vous
qu’on peut encore changer le cours des choses?
Oui, je
crois que les choses peuvent changer. Des mouvements sociaux importants
s’organisent, comme ceux menés par Bill McKibben (NDLR : leader du groupe
350.org et du mouvement Step It Up, un mouvement national pressant le Congrès
américain d’agir pour stopper le réchauffement climatique) ou Naomi Klein (star
anticapitaliste, auteur de No Logo, devenue récemment activiste dans la lutte
contre les changements climatiques). Mais, pour cela, il faudra passer d’une
époque anthropocène (marquée, depuis la fin du XVIIIe siècle, par l’influence
prédominante de l’être humain sur la biosphère), à la «simbioscène», une ère où
l’homme devra apprendre à vivre en symbiose avec la planète pour assurer sa
propre survie.
Have you ever felt “solastalgia”?
Ever feel unease the natural
environment around you is changing for the worse?
By
Georgina Kenyon
BBC
Future | 2 November
2015
Philosopher
Glenn Albrecht once coined one such word while working at the University of
Newcastle in Australia. 'Solastalgia’ – a portmanteau of the words ‘solace’ and
‘nostalgia’ – is used not just in academia but more widely, in clinical
psychology and health policy in Australia, as well as by US researchers looking
into the effects of wildfires in California.
“It
describes the feeling of distress associated with environmental change close to
your home, solastalgia is when your endemic sense of place is being violated.”
– Glenn Albrecht, philosopher
Meanwhile, Justin Lawson from Melbourne’s
Deakin University explains solastalgia in less academic terms, saying The Eagles’ song No More Walks in the Wood can help people understand it, which
laments the disappearance of a forest associated with powerful memories.
“It really is about redefining our emotional responses to a landscape that has
changed within a lifetime.”
These changes to the landscape can come from
natural processes (such as drought and bushfires) or human-induced processes
such as climate change and urbanisation.
Australia is looking into instances of
solastalgia that occur in developing countries such as Indonesia, following
natural disasters such as volcanic eruptions, finding that the loss of housing,
livestock and farmland, and the ongoing danger of living in a disaster-prone
area, challenge a person’s sense of place and identity and can lead to
depression.
Yet, despite its meaning, the man who coined
solastalgia isn’t despairing. “I am an optimistic person and I do a lot to
reverse the push for development that will create more climate change and by
implication, more solastalgia,” concludes Albrecht. [...]
Une excellente interprétaiton et mise en scène de la chanson
Desert Highway Band
A
tribute to The Eagles
"No More Walks in the
Wood"
No
more walks in the wood
The
trees have all been cut down
And
where once they stood
Not
even a wagon rut
Appears
along the path
Low
brush is taking over
No
more walks in the wood
This
is the aftermath
Of
afternoons in the clover fields
Where
we once made love
Then
wandered home together
Where
the trees arched above
Where
we made our own weather
When
branches were the sky
Now
they are gone for good
And
you, for ill, and I
Am
only a passer-by
We
and the trees and the way
Back
from the fields of play
Lasted
as long as we could
No
more walks in the wood
Eagles
Band – writer(s): Don Henley, John Frederick Hollander
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