10 août 2018

Quand on meurt par le feu

À chaque fois que des incendies font rage, je suis infiniment bouleversée et peinée pour les victimes qui perdent des êtres chers et se retrouvent parfois les mains vides. Le pire c’est que la plupart du temps, ces incendies sont dus à la négligence humaine – au Québec, en 2012, l’humain était derrière 80 % des incendies de forêt. 2018 sera probablement une année record en incendies et sinistres de tous genres.

Mais, je suis aussi profondément peinée quand je songe à tous les animaux qui périssent dans ces incendies. Je ne peux imaginer pire supplice que de brûler vif tandis qu’on est encore conscient. Je ne veux pas être sadique, mais je pense qu’il est important de comprendre ce qui se passe dans le corps d’un être vivant – humain et animal : 
   Si le brasier est énorme et très dense, on peut mourir empoisonné au monoxyde de carbone avant que les flammes ne carbonisent le corps – ce qui est une bénédiction puisqu’on ne sentira plus rien. Cependant, si le brasier est de moindre intensité, si les flammes carbonisent le corps graduellement, alors on peut mourir d'hypovolémie (le corps se vide de ses fluides, notamment du plasma sanguin cherchant à «traiter» les brûlures), ou bien simplement d'une «décomposition thermique» durant laquelle la chaleur provoque la rupture des molécules. Ce qui rejoint la description d’une femme qui a vu quelqu’un brûler sans pouvoir intervenir : «Je ne savais pas qu’on saignait quand on meurt par le feu. Je pensais que le sang s’asséchait tout d’un coup dans cette effroyable chaleur. Il s’est mis à saigner abondamment; le sang se répandait à flots en sifflant dans les flammes. Le pire était les yeux. Il essayait de fermer les paupières, mais il ne pouvait pas. Alors les flammes ont commencé à lui arracher les yeux... Je n’ai rien vu de plus terrifiant de ma vie.»

Et puis, la cruauté humaine n’a aucune limite : la tauromachie a été abolie en Espagne, et c'est heureux, mais certains villageois pratiquent encore une coutume qui consiste à incendier des taureaux vivants et à les laisser brûler jusqu’à ce qu’ils expirent...

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La poète Élyane Rejony sur les oubliés des catastrophes


Incendies en Catalogne en juillet 2012
Samedi, 4 août 2012 

Photo : AFP / Lluis Gene. Troupeaux décimés en Catalogne.  

[...] Je pense beaucoup à ces gens morts, poursuivis par les flammes, sans issue. Je pense à ces gens qui ont vu brûler leur maison. A ceux qui ont eu très peur, qui s'en sont sortis, qui ont abandonné leur véhicule pour fuir. La douleur humaine se partage «naturellement», surtout lorsqu'elle est servie en spectacle sur un plateau au moment de l'apéritif.
   Je crois que l'empathie réelle ne doit pas se contenter de notre anthropocentrisme culturel. Mes pensées empathiques se tournent aussi vers les êtres les plus humbles, les plus oubliés. Les animaux souffrent autant que nous en brûlant. Je pense à leur détresse et à leur douleur : comme nous ils ont peur, ils essaient de fuir mais parfois ils sont attachés ou enfermés. Et ils ont mal, et ils hurlent, comme les humains qui se consument.
   On nous parlera peut-être, en passant, des milliers de «bêtes» qui rapportent de l'argent (et encore), et je comprends bien l'intérêt légitime des hommes.
   Dans notre monde où la sensiblerie est bien plus vilipendée que le cynisme ou la cruauté, il ne me paraîtrait pas superflu d'évoquer, en passant, le fait que de nombreux êtres vivants sont morts dans les incendies. Juste pour rappeler que les êtres humains ne sont pas les seuls êtres vivants de la planète. Mais que vaut un être vivant s'il n'est pas un humain? Rien du tout. Notre société se moque déjà de la vie humaine, alors pensez, les animaux…
   On nous répète en boucle que la prise de conscience écologique avance, que l'humain comprend enfin l'importance du reste de la nature en dehors de lui. L'environnement, les biotopes, la faune, la flore... Tu parles!
   Mon avis de poète paraîtra peut-être étrange à ceux qui oublient que les animaux ont un cerveau, un système nerveux, et qu'ils souffrent, qu'ils ont peur, comme nous. Dans le regard éperdu d'un chien ou d'un chat recueilli, on peut lire la reconnaissance et l'affection, que l'on ne voit d'ailleurs pas briller dans les yeux de tous les humains. Alors?
Les poètes sont là pour faire penser à ce qui s'oublie facilement. Je n'aime ni le racisme, ni le sexisme, ni l'espécisme.

J'ai écrit, il y a des années, ce petit texte, pour ne pas oublier les détails «inutiles».

Flammes

Dans le grand incendie des collines, dévoreur de sève et de sang,
Sous les hurlements sauvages du feu
personne n'entend
crépiter les souris, les musaraignes au fin minois,
brûler vivants les petits lézards, les orvets et les salamandres,
les biches, les marcassins, les blaireaux, les furets,
s'étouffer les oisillons au nid,
craquer les tortues calcinées, les fourmis consumées,
les coccinelles carbonisées,
Suffoquer les petits lapins épouvantés dans leur abri,
personne n'entend
Milliers de victimes minuscules,
vivantes, muettes
Humbles vies palpitantes d'espoir
comme nous,
effacées du monde sans ménagement
effacées de la vie
et du monde vivant
sans empathie
oubliées des journalistes et des bilans
niées
effacées
ignorées des braves gens.
Braves gens.


D'après les premières enquêtes, le feu serait parti d'un mégot... Un mégot. Un humain serait donc responsable du désastre. Mas il a droit, lui, par sa seule nature d'humain, à l'empathie humaine. Pourtant les animaux, que nous méprisons officiellement, puisqu'ils n'ont juridiquement que le statut d'objet, ne jettent jamais de mégot. 

 

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