24 août 2018

On ne sait pas l’heure

«La vie est précieuse et la vie peut être courte. Si vous aimez quelqu’un, si vous appréciez quelqu’un, prenez le temps de lui dire ce qu’il signifie pour vous. Plusieurs fois par jour, si c’est nécessaire.» Teresa (Mathai)

Photographe : John Phillips

Mis à part les personnes en phase terminale, ou qui bénéficient de l’aide médicale à mourir, ou qui choisissent de se suicider, peu de gens connaissent leur date d’expiration. On peut être victime d’un accident de la route, avoir une crise cardiaque, s’endormir le soir et ne pas se réveiller le matin.

Personne ne soupçonnait que les tours du WWC allaient s’écrouler le 11 septembre 2001. Oui, c’était un événement terrifiant et tragique. Mais, au Moyen-Orient, les populations civiles sont toujours sur le qui-vive car elles savent que des drones peuvent frapper à tout moment. Ce qui faisait dire à un civil syrien : «Recevoir des bombes fait partie de la vie quotidienne, c’est comme se faire frapper par une voiture.» Il ne voulait surtout pas banaliser, mais plutôt rendre compte de la fréquence des bombardements.

Lettre de Teresa à son conjoint Joseph Mathai décédé lors de l'attentat

Date inconnue

Mon cher Joseph,

En ce mardi matin fatidique, je revenais à la maison après avoir déposé les enfants à l’école. La radio nous a informés qu’un avion s’était écrasé sur le World Trade Center. J’étais inquiète pour toi, je savais que tu étais à une conférence à New York : tout allait être plus chaotique encore. Je voulais t’appeler pour te prévenir, mais je ne voulais pas te déranger au milieu de ta conférence. Quand je suis arrivée à la maison et que j’ai allumé la télévision, j’ai décidé de t’appeler malgré tout et j’ai réussi à te joindre sur ton portable à 9h11 précises. Mon appel est le seul auquel tu as pu répondre ce matin-là.

Tu m’as dit que ta conférence se déroulait chez «Windows on the World» au 107ème étage de la tour Nord et qu’un avion venait de s’écraser sur le bâtiment. Je ne voulais pas t’inquiéter en te disant qu’un deuxième avion avait frappé la tour Sud, juste après le premier. En silence, nous avons tous les deux réalisé qu’il s’agissait de quelque chose de bien plus grave qu’un malheureux accident d’avion. Tu m’as dit qu’il y avait de la fumée blanche partout, que ça devenait difficile de respirer, et qu’on annonçait des plans d’évacuation via les haut-parleurs. Je t’ai dit d’appeler ton bureau pour leur dire que tu étais en sécurité et qu’on se reparlerait ensuite. À ce moment-là, il y a eu une lourde pause dans la conversation. Je me suis rendue compte que tu voulais me dire que tu m’aimais mais tu hésitais. Tu as toujours été l’homme fort de la famille. Tu ne voulais pas que je pense que tu avais peur de mourir, que tu n’étais pas sûr de t’en sortir; tu ne voulais pas m’inquiéter.

Je t’ai dit que je prierais pour ta sécurité. Je voulais te dire que je t’aimais, mais je me suis mordu les lèvres. Je ne voulais pas que tu penses que c’était la dernière fois qu’on se parlait, que c’était notre dernière chance de se dire au revoir, que c’étaient nos derniers mots.

Dès que j’ai posé le téléphone, j’ai changé d’avis. J’ai essayé de te rappeler mais le réseau était saturé. J’ai essayé encore et encore... Mais je tombais toujours sur ta messagerie. Je n’arrêtais pas d’appuyer sur bis... Puis, paralysée par l’horreur, j’ai regardé la tour Nord exploser et s’effondrer comme quelque chose d’irréel sorti d’un film catastrophe.

Ce jour-là, je n’ai pas eu la chance de te dire que je t’aimais. Nous t’aimons tous! Nous n’avons pas eu la chance de te dire au revoir. Des années plus tard, tu nous manques toujours, nous t’aimerons toujours, même si ces mots n’ont pas été exprimés en ce jour funeste.

Depuis j’ai évoqué ce moment avec les enfants, qui sont maintenant de jeunes adultes. Je leur ai dit : «La vie est précieuse et la vie peut être courte. Si vous aimez quelqu’un, si vous appréciez quelqu’un, prenez le temps de lui dire ce qu’il signifie pour vous. Plusieurs fois par jour, si c’est nécessaire.» Et c’est ce que nous faisons encore aujourd’hui.

Avec tout notre amour... Jusqu’à ce qu’on se rencontre à nouveau... De l’autre côté de l’arc-en-ciel.

À toi,

Teresa.

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