Dans un précédent article (Réponse de Leonard Cohen à la polémique SLĀV) je qualifiais le
conflit de «guerre de sécession». Un parfait exemple de «l’intolérance des
tolérants» qui ont tendance à voir persécution et racisme même quand
il n’y en pas. Déclencher une «crise d’appropriation culturelle» (vol et
pillage de répertoire), me paraît inapproprié.
Comme je le disais dans cet article : dans
un spectacle musical, les créateurs devraient avoir plus de liberté (c’est le
cas de le dire!); faut-il empêcher un artiste Noir de chanter du
folklore blanc, amérindien ou mexicain, ou
un artiste Blanc de chanter du folklore afro-américain, amérindien ou mexicain?
Je ne veux surtout pas minimiser les problèmes de
fond des communautés noires. Mais, je me demande si nous sommes capables de
sortir de la cage de notre propre race – quelle qu’en soit la couleur – au
moins le temps d’une représentation artistique. On pourra toujours critiquer après...
«Quand des
représentations ou des aspects de la culture touchent les cultures noires, on a
l’audace d’engager des Blancs pour le faire. C’est ça qui est raciste. Ce n’est
pas : ‘Est-ce que ces personnes sont bonnes ou mauvaises?’» ~ Émilie Nicolas, cofondatrice de
Québec inclusif, doctorante en anthropologie et militante pour les droits de la
personne. (Source : ICI Radio-Canada Info)
Selon ce principe, le rôle d’Othello devrait être joué
par un chanteur d’origine arabe puisque
la plupart des œuvres de Shakespeare sont antérieures à la traite des esclaves noirs
transatlantique. En 2015, le Metropolitan
Opera abandonnait la pratique de noircir le visage des chanteurs dans les
productions d’Othello.
L’une des comédiennes noires a défendu la pièce après
l’annonce de l’annulation du spectacle : «Je ne m’excuserai pas d’avoir été sur la scène du TNM et de faire
entendre ma voix. Car tout ce que je suis y était représenté : je suis femme,
je suis Noire, je suis forte, je suis Haïtienne et, surtout, je suis humaine»,
a écrit Kattia Thony sur son compte Facebook. Pour celle qui se décrit comme
une «descendante d’esclaves», monter sur les planches pour jouer dans SLĀV
était non seulement son droit, mais aussi une responsabilité. «Il y a une scène complète qui rend hommage
à Haïti, la première nation noire à s’affranchir, et comme tout Haïtien, j’en
suis extrêmement fière», a-t-elle poursuivi. «Je ne crois pas à la violence ni à la censure, je crois au respect et
au dialogue.»
«Les discours haineux ne font rien avancer»,
avait commenté une autre comédienne de la pièce, Élisabeth Sirois, la semaine
dernière, quelques jours avant d’apprendre l’annulation de la production. «Je ne me sens pas illégitime [d’être une
femme blanche] qui raconte cette histoire par la voix de l’art, je me sens
fière de ça.»
(Source : Le Devoir)
Robert Lepage est «sorti de son mutisme» disaient les journalistes ce
matin. Est-ce du mutisme que de réfléchir avant de s’exprimer? Parler sans
réfléchir est l’une des hideuses caractéristiques des médias – on vise et on appuie
sur la gâchette comme des tireurs d’élite.
Le metteur en scène a donc commenté l’annulation
du spectacle ce matin, déplorant «l'affligeant
discours d'intolérance» :
Le
spectacle SLĀV annulé
«Il nous est apparu, à mon équipe et moi, que dans
l’atmosphère survoltée que notre spectacle avait provoqué, il serait plus sage
de garder le silence puisque toute déclaration de notre part n’aurait fait que
jeter de l’huile sur le feu.
Je préfère laisser aux détracteurs et aux
défenseurs du projet le soin de débattre et définir ce qu’est l’appropriation
culturelle, car il s’agit là d’un problème éminemment complexe que je n’ai pas
la prétention de pouvoir résoudre.
Pour moi, la chose la plus navrante que je note,
dans la rue comme dans certains médias, c’est l’affligeant discours
d’intolérance. Tout ce qui a mené à cette annulation est un coup porté à la
liberté d’expression artistique et je considère que mes 40 années d’expérience
dans les arts de scène m’autorisent à parler avec légitimité de cet aspect de
la question.
Au fil de ma carrière, il m’est souvent arrivé de
consacrer des spectacles entiers à la dénonciation d’injustices subies à
travers l’histoire par des groupes culturels spécifiques dont aucuns des
acteurs n’étaient issus. Ces spectacles ont été joués partout à travers le
monde, devant les publics les plus divers, sans jamais que l’on ne m’accuse
d’appropriation culturelle et encore moins de racisme. Bien au contraire. Ces
réalisations ont toujours été bien accueillies et ont fait d’Ex Machina l’une
des compagnies de théâtre les plus respectées au monde.
S’il n’en tenait qu’à moi, le spectacle tiendrait
encore l’affiche, car je revendiquerai toujours le droit, au théâtre, de parler
de tout et de tous. Sans exception. Aucune.
À partir du moment où il ne nous est plus permis
de nous glisser dans la peau de l’autre, où il nous est interdit de nous
reconnaître dans l’autre, le théâtre s’en trouve dénaturé, empêché d’accomplir
sa fonction première, et perd sa raison d’être.»
Aucun commentaire:
Publier un commentaire