6 juillet 2018

Réponse de Robert Lepage à la polémique SLĀV


Dans un précédent article (Réponse de Leonard Cohen à la polémique SLĀV) je qualifiais le conflit de «guerre de sécession». Un parfait exemple de «l’intolérance des tolérants» qui ont tendance à voir persécution et racisme même quand il n’y en pas. Déclencher une «crise d’appropriation culturelle» (vol et pillage de répertoire), me paraît inapproprié. Comme je le disais dans cet article : dans un spectacle musical, les créateurs devraient avoir plus de liberté (c’est le cas de le dire!); faut-il empêcher un artiste Noir de chanter du folklore blanc, amérindien ou mexicain, ou un artiste Blanc de chanter du folklore afro-américain, amérindien ou mexicain?

Je ne veux surtout pas minimiser les problèmes de fond des communautés noires. Mais, je me demande si nous sommes capables de sortir de la cage de notre propre race – quelle qu’en soit la couleur – au moins le temps d’une représentation artistique. On pourra toujours critiquer après...  

«Quand des représentations ou des aspects de la culture touchent les cultures noires, on a l’audace d’engager des Blancs pour le faire. C’est ça qui est raciste. Ce n’est pas : ‘Est-ce que ces personnes sont bonnes ou mauvaises?’» ~ Émilie Nicolas, cofondatrice de Québec inclusif, doctorante en anthropologie et militante pour les droits de la personne. (Source : ICI Radio-Canada Info)

Selon ce principe, le rôle d’Othello devrait être joué par un chanteur d’origine arabe puisque la plupart des œuvres de Shakespeare sont antérieures à la traite des esclaves noirs transatlantique. En 2015, le Metropolitan Opera abandonnait la pratique de noircir le visage des chanteurs dans les productions d’Othello.


L’une des comédiennes noires a défendu la pièce après l’annonce de l’annulation du spectacle : «Je ne m’excuserai pas d’avoir été sur la scène du TNM et de faire entendre ma voix. Car tout ce que je suis y était représenté : je suis femme, je suis Noire, je suis forte, je suis Haïtienne et, surtout, je suis humaine», a écrit Kattia Thony sur son compte Facebook. Pour celle qui se décrit comme une «descendante d’esclaves», monter sur les planches pour jouer dans SLĀV était non seulement son droit, mais aussi une responsabilité. «Il y a une scène complète qui rend hommage à Haïti, la première nation noire à s’affranchir, et comme tout Haïtien, j’en suis extrêmement fière», a-t-elle poursuivi. «Je ne crois pas à la violence ni à la censure, je crois au respect et au dialogue.»
   «Les discours haineux ne font rien avancer», avait commenté une autre comédienne de la pièce, Élisabeth Sirois, la semaine dernière, quelques jours avant d’apprendre l’annulation de la production. «Je ne me sens pas illégitime [d’être une femme blanche] qui raconte cette histoire par la voix de l’art, je me sens fière de ça.»
(Source : Le Devoir)

Robert Lepage est «sorti de son mutisme» disaient les journalistes ce matin. Est-ce du mutisme que de réfléchir avant de s’exprimer? Parler sans réfléchir est l’une des hideuses caractéristiques des médias – on vise et on appuie sur la gâchette comme des tireurs d’élite.

Le metteur en scène a donc commenté l’annulation du spectacle ce matin, déplorant «l'affligeant discours d'intolérance» :

Le spectacle SLĀV annulé

«Il nous est apparu, à mon équipe et moi, que dans l’atmosphère survoltée que notre spectacle avait provoqué, il serait plus sage de garder le silence puisque toute déclaration de notre part n’aurait fait que jeter de l’huile sur le feu.

Je préfère laisser aux détracteurs et aux défenseurs du projet le soin de débattre et définir ce qu’est l’appropriation culturelle, car il s’agit là d’un problème éminemment complexe que je n’ai pas la prétention de pouvoir résoudre.

Pour moi, la chose la plus navrante que je note, dans la rue comme dans certains médias, c’est l’affligeant discours d’intolérance. Tout ce qui a mené à cette annulation est un coup porté à la liberté d’expression artistique et je considère que mes 40 années d’expérience dans les arts de scène m’autorisent à parler avec légitimité de cet aspect de la question.

Au fil de ma carrière, il m’est souvent arrivé de consacrer des spectacles entiers à la dénonciation d’injustices subies à travers l’histoire par des groupes culturels spécifiques dont aucuns des acteurs n’étaient issus. Ces spectacles ont été joués partout à travers le monde, devant les publics les plus divers, sans jamais que l’on ne m’accuse d’appropriation culturelle et encore moins de racisme. Bien au contraire. Ces réalisations ont toujours été bien accueillies et ont fait d’Ex Machina l’une des compagnies de théâtre les plus respectées au monde.

S’il n’en tenait qu’à moi, le spectacle tiendrait encore l’affiche, car je revendiquerai toujours le droit, au théâtre, de parler de tout et de tous. Sans exception. Aucune.

À partir du moment où il ne nous est plus permis de nous glisser dans la peau de l’autre, où il nous est interdit de nous reconnaître dans l’autre, le théâtre s’en trouve dénaturé, empêché d’accomplir sa fonction première, et perd sa raison d’être.» 

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