Bien sûr on savait qu’une majorité de
Canadiens-français (Québécois) s’étaient opposés à l’enrôlement obligatoire (conscription)
lors des deux guerres mondiales, et mis à part la propagande haineuse à leur
sujet, l’histoire s’arrêta là.
L’historien
Jean Provencher fut lui-même étonné de découvrir le dossier de 487 pages du
coroner : «Pendant très longtemps, on n'a jamais parlé des émeutes de
Québec [1918]. Jamais. Ni dans les manuels
scolaires ni lorsque le 1er avril arrive. Même moi, j'ai suivi des
cours d'histoire et on n’en parlait pas.»
Commentaire
de Dominique Beaulieu (internaute) : «Cet événement doit être mis de
l'avant dans nos cours d'histoire, comme la pendaison de Louis Riel, la
déportation des Acadiens, la guerre bactériologique de Amherst contre les
autochtones, l'abolition des écoles françaises dans l'Ouest, la Loi des mesures
de guerre, les plans d'invasion du Québec, le "speak white" des West-Islanders, le règlement 17 de l'Ontario,
la complicité canadienne des crimes de guerre dans la guerre des Boers.»
Plus de photos / commentaires :
Il y a 100
ans, Québec secouée par les pires émeutes de son histoire
Un texte d'Alain Rochefort | ICI Radio-Canada |
Le vendredi 30 mars 2018
Printemps
1918. Le monde est plongé dans l'horreur de la Grande Guerre. Réputée pour sa
tranquillité, Québec sombre aussi dans le chaos. Durant la Semaine sainte, cinq
soirées d'émeutes sans précédent frappent la capitale. Des violences provoquées
par des opposants à la conscription qui se soldent par les salves d'une
mitrailleuse de l'armée canadienne dans Saint-Sauveur, le 1er avril.
Les balles ont tué quatre résidents de ce quartier
ouvrier, dont un adolescent de 14 ans et deux jeunes au tournant de la
vingtaine.
«L'utilisation
d'une vraie mitrailleuse [par l’armée], c'était la première et, je l'espère, la
dernière fois que ça se produisait à Québec», raconte l’historien Jean
Provencher, auteur d’un livre sur ces événements méconnus.
Comment une telle escalade de violence a-t-elle pu
se produire dans une ville traditionnellement pacifique qui s’apprêtait
d'ailleurs à célébrer Pâques?
«En mars
1918, ça brasse politiquement. Parce que d'abord, un an avant, le premier
ministre du Canada [Robert Borden], en mai 1917, s’en va à Londres et il se
fait demander d'amener d'autres soldats en Europe. C'est la guerre depuis trois
ans. Une guerre sale, les tranchées, les gaz», explique Jean Provencher.
Une
majorité de Québécois ne souhaitent donc pas «aller mourir en Europe». Le
Québec vote à 83 % contre la conscription qui oblige les hommes célibataires,
sans enfant, de 20 à 35 ans, à se rapporter au front.
Des manifestations violentes éclatent à Montréal,
Shawinigan et Valleyfield, entre autres. Au tournant de 1918, la grogne
s’installe à Québec. Ottawa a engagé des spotters, des agents fédéraux chargés
de mettre la main au collet des hommes appelés à la guerre, mais qui ne se
rapportent pas. (1)
Ils sont
une vingtaine à sévir à Québec et sont détestés.
«Des
familles ont appris que leur gars qui n'était pas rentré coucher avait été
amené à Halifax, embarqué sur un bateau pour s'en aller à la guerre. Lentement,
ça se transmet, ce genre d'informations. On trouve que c'est odieux.» ~ Jean Provencher, historien
Début des
émeutes
La première émeute éclate à Québec le 28 mars
1918, quand Joseph Mercier, 23 ans, est interpellé par trois spotters. Il se
trouvait avec un ami à la salle de quilles du Cercle Frontenac, située au coin
des rues Saint-Vallier et Charest.
Joseph
Mercier jure qu’il a des papiers d’exemption. Les spotters ne le croient pas. «Ils
vont le traîner de force jusqu'au poste de police qui se trouve à l'emplacement
actuel de la bibliothèque Gabrielle-Roy. Les gens qui sortent de la messe du
Jeudi saint voient ça, souligne M. Provencher. Ils veulent que le jeune soit
libéré. Ils vont casser les vitres du poste de police. La foule prend en main
l'événement.»
Des
journaux estiment qu’ils sont de 2000 à 3000 émeutiers, la police de Québec
parle de 5000. Joseph Mercier est finalement libéré. Il a effectivement droit à
l’exemption. Trop peu trop tard, la foule veut la tête des spotters.
Le maire
de Québec, Henri-Edgar Lavigueur, calme les ardeurs momentanément. Un spotter
qui tente de s’enfuir dans un tramway est reconnu. Le tramway est renversé par
les manifestants. L’homme est gravement blessé. L’intervention d’un curé lui
sauve possiblement la vie.
«Je pense
que ça aurait été un bon coup du maire Lavigueur de demander le congédiement
immédiat des spotters, les détestables», analyse Jean Provencher 100 ans plus
tard.
Vendredi
saint, le 29 mars
Malgré une journée tranquille, les émeutiers n'en
ont pas fini. Les troubles reprennent le Vendredi saint en soirée. Les
manifestants se rendent cette fois en Haute-Ville et visent les symboles de la
conscription. Certaines sources avancent le chiffre de 15 000 insurgés.
Les
bureaux de deux journaux en faveur de l’enrôlement obligatoire sont notamment
saccagés : L’Événement et le Chronicle. On s’en prend ensuite à l’Auditorium,
le futur Capitole de Québec, où un incendie est allumé.
«On a
réussi à monter à l'étage pour brûler les registres du registraire de l’armée,
celui qui tenait le nom des conscrits sur fichiers.» ~ Jean Provencher, historien
«Tant
qu’à mourir au front, aussi bien mourir à Québec», pensent les hommes,
accompagnés de femmes et enfants. Bouleversé, le maire de Québec ne lit pas
l’acte d’émeute qui permettrait aux soldats dirigés par le général
Joseph-Philippe Landry de faire feu.
Samedi et
Dimanche de Pâques
Le lendemain, le Manège militaire est visé. La
foule est toutefois accueillie par la cavalerie et des fantassins.
L’affrontement fait quelques blessés. Des résidences et commerces sont
vandalisés.
Le
dimanche, 1200 soldats de l’armée canadienne débarquent à la gare du Palais en
soirée à la demande du premier ministre du Canada, Robert Borden. L’armée prend
en charge les opérations, alors que les troubles se poursuivent.
«On a
tassé le général [Philippe-Joseph] Landry, en charge des militaires de la
région de Québec, et on a dépêché François-Louis Lessard, d'Halifax, par train.
Et ils ont amené 1200 soldats du Manitoba et de l'Ontario. Par train. Et le
lundi, ils ont dit : "C’est terminé"», commente Jean Provencher.
Lundi de
Pâques, le 1er avril
Des affiches sont placardées à Québec : « Défense
d’être plus que trois, de protester et défiler ». Le général François-Louis
Lessard est un partisan de la ligne dure.
Un
nouveau rassemblement est observé lundi soir à la place Jacques-Cartier. Un
acte d’émeute est lu en anglais seulement. Le tramway ne circule plus.
Des
soldats à cheval refoulent aussitôt les émeutiers vers le quartier
Saint-Sauveur. Un brouillard se met également de la partie.
«Au
carrefour des rues Saint-Joseph, Saint-Vallier et Bagot, les trois rues se
croisent. Ça brasse. Les gens sont concentrés au même endroit.» ~ Jean Provencher, historien
«On a
entendu des coups de feu qui ne venaient pas des militaires. Mais on ne sait
pas trop d'où ça venait. Les militaires commençaient à être sur les nerfs. Ils
ont installé une mitrailleuse en plein milieu du carrefour. Plusieurs se sont
sauvés dans les trois directions possibles», affirme Jean Provencher.
Puis, les
soldats ont fait feu. Deux salves de mitrailleuse ont été tirées. Une en
direction de la rue Bagot, l'autre en direction de l’intersection Laviolette et
Saint-Vallier, selon l'enquête du coroner. Le sang coule.
Le nombre
de blessés est incertain. Des médias parlent d’au moins 70. Le nombre
d’arrestations est aussi sujet à débat. Des journaux énumèrent l’identité de
prisonniers et leur adresse civique.
Pour le
coroner responsable de l’enquête, il est prouvé que les quatre victimes étaient
des curieux qui ne participaient pas à l’émeute. Honoré Bergeron, un menuisier
de 49 ans qui a perdu la vie, rentrait chez lui à 22 h 40. Le jeune Georges
Demeule se trouvait aussi à la mauvaise place au mauvais moment.
«Le petit
gars, il était curieux aussi. Il avait 14 ans. Il avait envie de savoir. Pour
une fois que ça brasse à Québec.» ~
Jean Provencher, historien
Pas
d'indemnisation
Le coroner a demandé en vain une indemnisation
pour les familles des victimes. Au lendemain de la fusillade, le climat est
étrange à Québec. La loi martiale est décrétée.
«Si on te
reconnaît en ville, on peut te faire comparaître. Il y a de la crainte dans
l'air», ajoute l'historien.
Puis, la
guerre prend fin en Europe. L’événement tombe progressivement dans l’oubli. «Pendant
très longtemps, on n'a jamais parlé des émeutes de Québec. Jamais. Ni dans les
manuels scolaires ni lorsque le 1er avril arrive. Même moi, j'ai
suivi des cours d'histoire et on n’en parlait pas. Je suis resté tellement
surpris quand je suis tombé sur l'enquête de 487 pages du coroner», conclut
Jean Provencher.
La recherche visuelle pour cet article a été
réalisée avec l'aimable collaboration de Bibliothèque et Archives nationales du
Québec (BAnQ).
(1) Commentaire de Mario Goyette (internaute)
: «Quand il était jeune, Jean Chrétien accompagnait son père pour débusquer les
déserteurs cachés en forêt.»
Ndlr : L’ex premier ministre libéral Jean Chrétien était
un partisan résolu de l’unité canadienne, et il redoutait les référendums souverainistes au plus haut point. En témoigne le scandale des commandites.
Afin de promouvoir l’image du Canada et du gouvernement fédéral au Québec, un
programme publicitaire ciblé fut mis sur pied – des fonds publics ont servi à
enrichir des agences publicitaires associées aux libéraux, à financer la
campagne du Parti libéral au Québec et à verser des pots-de-vin à certains
membres. L'homme, réputé pour être un batailleur qui voulait toujours gagner, n'hésita donc pas à utiliser des moyens
malhonnêtes.
Citaquote
du jour :
Alliance : En politique
internationale, union de deux voleurs qui ont leurs mains si profondément
enfoncées dans les poches l'un de l'autre qu'il leur est difficile de s'en
prendre séparément à un troisième.
Aborigènes : Personnes de moindre
importance qui encombrent les paysages d'un pays nouvellement découvert. Ils
cessent rapidement d'encombrer; ils fertilisent le sol.
~ Ambrose
Bierce, 1842-1914 (Le dictionnaire du
Diable)
«Je
suppose que vous croyez encore qu’il y a de la dignité dans la vie humaine, et
que l'homme n'est pas une farce – la pire farce jamais conçue -- un poisson
d’avril inventé par un créateur malveillant qui n’avait rien de mieux à faire
que de perdre son temps. ... Pour moi, l'homme n'est pas l’être digne de
respect qu'il était auparavant; et j'ai donc cessé d’être fier de lui, et je ne
peux plus joyeusement écrire sur lui ni faire son éloge. Et je n'ai pas
l'intention d'essayer.»
~ Mark
Twain, lettre à William Dean Howells, 2 avril 1899
«Certains
hommes vénèrent le rang, certains vénèrent les héros, certains vénèrent le
pouvoir, certains vénèrent Dieu, et ils se disputent au sujet de ces idéaux et
n’arrivent pas à s’entendre – mais tous vénèrent l’argent.»
~ Mark
Twain
«La peau
de chaque être humain contient un esclave.»
~ Mark
Twain's Notebook, 1904
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