5 avril 2018

Charlevoix : survivre au G7

L’heure approche où le Sommet du G7 défigurera Charlevoix, l’un de nos joyaux encore préservé pour le moment.

Il est difficile de savoir ce qu’il en coûtera : au début on parlait de 224 millions de dollars, puis de 500 M$, et maintenant de 604 M$. Pour un mini sommet de deux jours entre des dirigeants qui représentent non pas nos intérêts mais ceux du Sommet d’affaires B7, pour Business Summit – sommet organisé par la Chambre de commerce canadienne à Québec et qui se termine demain.

«Quand l’argent précède, toutes les portes s’ouvrent.» ~ William Shakespeare (Les Joyeuses commères de Windsor)

Parc national des Hautes Gorges de la Rivière-Malbaie (Charlevoix). Dernier sommet à la fin de la randonnée : vue panoramique à 360 degrés sur tout le massif et les lacs surélevés. Photo :  

Des airs de ville assiégée...

Clôture de sécurité autour du Manoir Richelieu et du Casino de Charlevoix. Photo : Radio-Canada/Peter Tardif

Une clôture de 3,8 millions $ a déjà été partiellement installée autour du Manoir Richelieu. L'espace aérien y sera hautement contrôlé. Même la circulation maritime sur le fleuve devra être modifiée. Au moins deux sites devront également être sécurisés : Québec où sera situé le centre des médias, et Bagotville où atterriront les chefs d'État et de gouvernement, dont le président américain Donald Trump. (Journal de Montréal, le 15 février 2018)

«Le vulgaire imbécile est toujours avide de grands événements, quels qu’ils puissent être, sans prévoir s’ils lui seront utiles ou préjudiciables : il n’est ému que par sa propre curiosité.» ~ L’Arioste, 1474-1533 (Roland furieux)

Le premier ministre a profité de sa visite pour vanter les charmes de la région de Charlevoix. Il est persuadé que ses collègues du G7 «succomberont eux aussi à sa beauté naturelle».
   «Nos invités pourront admirer des paysages à couper le souffle au Manoir Richelieu et de profiter de l’hospitalité légendaire du Québec», a-t-il vanté.
   Justin Trudeau a également insisté sur les «nombreuses retombées» qu’amènera l’événement. (ICI Radio-Canada / Québec, le 8 juin 2017)
   Et M. Trudeau a sorti son vieux «motivational podcast» : Dans un bref discours, jeudi matin, devant des personnalités du monde des affaires, Justin Trudeau a aussi tenu à rappeler les priorités canadiennes au cœur des cinq grands thèmes du prochain G7, soit investir dans une croissance économique qui profite à tout le monde, se préparer aux emplois de l’avenir, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, travailler ensemble à l’égard des changements climatiques, des océans et de l’énergie propre, et construire un monde plus pacifique et plus sûr. (Xavier Savard-Fournier, ICI Radio-Canada / nouvelles)

Espérons que nos béni-oui-oui refuseront de transformer Charlevoix en Davos sous la pression des crocodiles financiers étrangers.
   Le vrai changement, dont tous les politiciens nous rabâchent les oreilles à chaque élection, se produira lorsque les élus cesseront de lécher les chaussures des lobbyistes – des chaussures de marque telles que Stefano Bemer (crapaud et dromadaire à 2000 $), ou Louis Vuitton (alligator ou python à 10 000 $), ou Tistoni (alligator à 38 000 $). 
   Vu sur une enseigne en Louisiane : un alligator avec l'inscription ‘We love tourists. We eat them.’ Certains apprécient la chair d’alligator – ça doit être bizarre d’en manger un qui vient de bouffer un humain!

«Ne parle pas d’argent; je n’adore pas un dieu qui se donne si vite au derniers des drôles.» ~ Euripide    

OPINION 06/12/2015 La Presse+

PEUT-ON VIVRE SANS RAISON D’ÊTRE?

Pierre Desjardins, philosophe (1)

Notre situation dans l’univers est hallucinante! Pensons-y donc un instant : nous vivons sur une sphère gigantesque suspendue dans l’espace, une sphère de 12 756 kilomètres de diamètre qui, en 24 heures, tourne complètement sur elle-même et qui, de plus, se déplace autour du Soleil à la vitesse vertigineuse de 107 208 km/heure.

Toutefois, malgré cette situation à la fois extraordinaire et, disons-le, quelque peu précaire, nous nous arrêtons très peu au sens que tout cela peut avoir. Nous penchons plutôt du côté de la beauté gratuite de la Terre et préférons tout simplement en jouir sans trop nous poser de questions.

Pourtant, nous aussi sommes faits de matière terrestre, de la même matière qui peuple champs et forêts et qui, bien au-delà de la Terre, peuple également l’univers tout entier. Qu’avons-nous donc en commun avec cet univers étrange et pourquoi tenons-nous tant à y vivre, nous qui, sans le vouloir, nous retrouvons confinés dans ce lieu dont l’existence est, d’un point de vue rationnel, tout à fait absurde?

Car, logiquement, nous n’avons pas plus de raisons d’exister que l’univers en a. Logiquement, nous devrions refuser cette vie truquée d’avance, comme disait si bien Albert Camus. Mais, visiblement, nous ne sommes pas très rationnels et préférons, sans trop savoir pourquoi, profiter aveuglément des plaisirs que nous offre la vie. Sentir le vent, voir le ciel, toucher son enfant, œuvrer avec passion, c’est cela, vivre, dira-t-on! Après tout, pourquoi devrions-nous nous passer des magnifiques plaisirs que la vie nous offre sur un plateau d’argent?

Aussi, ce qui pourrait passer aux yeux de certains philosophes pour de l’insouciance ou de l’indifférence n’en est pas; bien au contraire, pareille attitude s’explique : en optant pour l’irrationnel, l’humain évite quelque chose qu’il ne peut endurer et supporter, soit le déplaisir de l’angoisse existentielle.

Au non-sens du monde, l’humain refuse de céder ou de se replier sur lui-même et rétorque en vivant passionnément.

C’est ainsi qu’à travers la jouissance du monde fabuleux qui nous entoure, ce que nous voyons ou entendons prend forme. La fleur qui se tourne vers le soleil devient le magnifique témoin de la richesse du soleil, de l’eau et de la terre qui la nourrit. L’oiseau qui virevolte dans l’air, le poisson qui s’ébat dans l’eau ou l’ours qui vagabonde sur la banquise en font tout autant. La Terre, à travers l’incroyable diversité chimique de ses composants, est à la fois le gage et le resplendissant écrin de toutes ces merveilles.

Toutefois, on ne peut représenter avec fierté quelque chose que l’on sait condamné d’avance. Que dirait-on, par exemple, d’un avocat qui accepterait de défendre un accusé dont la sentence de mort aurait déjà été prononcée? Or, n’est-ce pas exactement la situation dans laquelle l’humain se retrouve aujourd’hui?

En cannibalisant la nature, nous sommes en train de détruire le fruit de 3,8 milliards d’années de vie sur Terre, fruit dont il ne restera bientôt plus grand-chose. Et bien que la Terre n’ait aucunement besoin du vivant pour exister (c’est elle qui a permis sa constitution et non l’inverse), sa présence active lui donne l’occasion de déployer sa prolifique somptuosité.

Survivre à une nature ravagée replacerait l’humain sur une voie qu’il avait pourtant choisi d’éviter dès le départ : celle de se retrouver isolé, aux prises avec le déplaisir de l’angoisse existentielle dans un monde sans aucune autre vie que la sienne. Est-ce cela que nous voulons?

Mutiler la Terre, c’est donc beaucoup plus que mettre en péril l’existence de l’humanité. C’est d’abord nier le sens ultime de notre existence comme témoin privilégié d’un environnement prodigieux. Vivre sans tenir compte de ce rôle, ce n’est déjà plus vivre, c’est tenter bêtement de survivre sans aucune raison d’être.

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(1) Pierre Desjardins est professeur de philosophie et de philosophie de l’art depuis plusieurs années au collège Montmorency.

Reconnu pour son sens critique redoutable et ses analyses réalistes, Desjardins dérange. Néolibéralisme économique, scientisme, machisme, racisme, populisme politique, conservatisme religieux ou artistique, peu de choses échappent à la vigilance de ce penseur.

Véritable «chien de garde» de la philosophie, il contribue par sa présence dans les médias québécois à donner une visibilité nouvelle à cette discipline.  

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