Des visages heureux, tristes, soucieux, fermés,
ouverts, expressifs ou impassibles nous entouraient... Mais, qu’est-ce qu’un
visage – un organe, un bout de peau, une présence? Réponse d'une philosophe (1).
Le webdoc Correspondances
est plus que fascinant, en particulier à cause de ses «tranches de vie» que
certains usagers ont accepté de livrer en toute simplicité.
TV5 Monde :
«Correspondances» propose au spectateur la
possibilité de se placer dans la position d’un passager qui, au beau milieu
d’une foule de voyageurs s’arrête sur un visage, une attitude, un détail
vestimentaire – intrigué, curieux.
«Qui est
ce voyageur? D’où vient-il? Où va-t-il? Qu’est ce qui l’anime? Qu’avons-nous en
commun? À quoi pense-t-il?».
Alors
qu’habituellement le voyageur fait rarement
le pas de briser la
glace, ici, il a la possibilité d’entrer en communication avec le
passager de son choix, pour écouter une histoire personnelle, le récit d’un
rêve, une pensée obsédante, révélant par touches des aspects du monde qui se
trouvent en surface.
– 13 métros: Paris, Bruxelles, Lausanne, Madrid,
Vienne, Stockholm, Berlin, Montréal, Los Angeles, Santiago, Hong Kong, Shenzen
et Tokyo.
– 39 histoires (39 passagers)
– 9 langues : français, néerlandais, espagnol,
allemand, suédois, anglais, chinois traditionnel, chinois simplifié, japonais.
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Allez-y, c’est formidable : https://correspondances.tv5monde.com/map
Quand les
métros du monde inspirent les artistes
Stéphane Baillargeon
Le Devoir |
Arts visuels | 14 avril 2018
Photo : «Correspondances. Life Underground». C’est
le hasard qui a fait office d’agent de «casting» dans le webdoc du réalisateur
Hervé Cohen. Les personnes interrogées sont simplement celles qui ont attiré
l’attention de l’équipe.
Walker Evans a photographié à la volée les
passagers du métro de New York entre 1938 et 1941. Chris Marker a décliné le
modèle à Paris entre 2008 et 2010. Le Danois Peter Funch a passé neuf ans
(2007-2016) à croquer le portrait d’inconnus devant le grand Central Terminal
de New York. Et le cinéaste Hervé Cohen continue de filmer des voyageurs des
métros du monde, de Tokyo à Santiago en passant par Montréal.
Le documentariste français Hervé Cohen signe ce
magnifique et très riche webdoc baptisé Correspondances. Docteur en droit de
l’audiovisuel, cinéaste reconnu, il a tourné sur l’histoire de sa famille (Une
autre vie) comme sur les rites initiatiques en Casamance (Sikambano, les
enfants de la forêt sacrée) ou le travail de projectionnistes itinérants en
Chine (Electric Shadows).
«À force de prendre le métro à Paris ou ailleurs
dans le monde, d’observer les gens, d’être intrigué par une apparence ou une
attitude, après avoir eu assez souvent envie de leur parler, j’ai imaginé cette
série de portraits dans les métros du monde, explique le créateur joint en
France. La caméra est devenue un outil pour assouvir en partie cette curiosité
et ce désir de rencontrer l’autre.»
Un site Web interactif organise la présentation.
L’internaute peut s’y promener d’un métro à l’autre sur une carte mondiale ou
choisir des présentations par personnage ou par thème (l’amour, la vieillesse,
le travail…).
Ce Web de Babel compte moins que l’impression de
grande unité qui finit par lier toutes les propositions, pour ainsi dire en
correspondance d’humanité. Les usagers fréquents peuvent bien penser qu’il n’y
a pas beaucoup de meilleur endroit pour haïr son prochain qu’un métro bondé. La
websérie prouve le contraire, prouve en tout cas qu’au fond de nous nous sommes
tous les mêmes avec nos peurs et nos joies, nos désirs et nos espérances.
«Je crois que le projet véhicule un sentiment
d’humanité, dit son créateur. Il expose cette idée que nous sommes tous
pareils.»
Article intégral :
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(1) «...Le visage n’est pas un organe comme un
autre. À peine d’ailleurs pouvons-nous le qualifier d’organe. Étymologiquement,
l’«organe» est un «outil» déterminé par sa fonction. ... De là, l’organe se
définit comme une partie d’un tout organique auquel il appartient et participe
en en réglant partiellement et nécessairement le fonctionnement : organe
de la circulation, de la respiration, de la reproduction, de la digestion.
Cœur, poumons, organes génitaux, foie, estomac, et tous les autres, petits et
grands. En cela le visage n’est pas un organe bien que faisant partie du corps.
Le visage est plus qu’une tête. Plus que le cerveau dans sa boîte crânienne.
Quel est ce plus? Quel est cet excès du visage? Matière certes, matière animale
et vivante mais qui semble exsuder autre chose (et «chose» nous embête déjà)
qu’elle-même : le visage est une matière qui témoigne. Elle témoigne en
effet de la présence de quelqu’un comme personne et comme personne
irréductiblement singulière. Elle témoigne d’une vie subjective qu’elle exprime
indéfiniment, y compris quand le visage se referme dans le mutisme, croit-il,
de la neutralité. Le visage est ce mouvement venu de soi qui ne cesse d’être
soi. Sauf à mourir. Il est le sujet en mouvement, incarnation particulière de
l’humanité que nous sommes. Le visage n’est pas qu’un bout de peau. Il n’est
pas seulement ce qui recouvre. Au contraire, il exprime ma présence au
monde : que je sois et ce que je suis, même à mentir, même à cacher.
Mouvement volontaire, involontaire : le visage est tout entier langage.
Mais cette matière que l’on pourrait croire et voudrait maîtriser échappe par
sa puissance de manifestation, par l’être qu’il impose. Cette manifestation est
profonde. C’est elle qui remonte à la surface du visage. Nous l’avons. Nous le
sommes. Et nous le sommes sans réserve. Emmanuel Lévinas fait ainsi du visage
non pas simplement l’expression d’une singularité physique mais bien plus
l’émanation éthique d’une responsabilité : le visage m’invite et m’oblige.
Le visage d’autrui est ce qui m’interdit de tuer. Droit dans les yeux. Le
meurtre dès lors, toujours possible, se définit comme défiguration. Souvent
celle-ci précède : le visage n’est plus le lieu de l’humanité. Sous-homme
sans visage, bestiole à exterminer. Nul regard ne fait face. Aucun nom ne peut
plus juger ni témoigner. L’«altruicide» peut commencer.»
~
Marie-Noëlle Agniau, philosophe et écrivaine
Les mains d’Orlac
Les mains d’Orlac
Méditations du temps présent La philosophie à
l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan 2008
L’Harmattan 2008
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