29 décembre 2016

La glu sociale la plus résistante

L’autre jour j’ai vu un documentaire sur le commérage dont la perspective générale est assez décapante. Certains intervenants en font l’éloge, arguant que sans potinage il n’y aurait pas de liens entre les humains (!). Ils affirment que ceux qui s’en abstiennent risquent le rejet. Pas faux. Oscar Wilde le disait : «n’écoute pas les ragots et n’en colporte pas, et tu ne seras jamais invité à aucune fête». Il paraît même que les objecteurs de potinage limitent leur chance d’avancement au travail. Ah. 

Colporter fait circuler de l’information (des nouvelles) positive ou négative, vraie ou fausse. L’information peut être utile pour se forger une opinion sur des individus comme Donald Trump par exemple, dont les propres tweets et vidéos ont révélé la personnalité hyper narcissique et dangereuse. Ce qui ne l’a pas empêché de se faire élire malheureusement.

Le commérage peut remuer de la boue au point de ruiner des vies. Les rumeurs, les diffamations, les calomnies et les préjugés favorisent la discrimination et le racisme, à petite et grande échelle. Sans livrer une seule once de vérité, les scoops médiatiques satisfont notre curiosité et nous en sommes très friands. Quand un compétiteur tombe, on crie hourra! Quand une star tombe de son piédestal en raison de ses inconduites, on est à la fois juge et bourreau pour blâmer le «vilain». Nous préférons l’information négative parce qu’on croit qu’elle  permet de détecter des ennemis potentiels. Or nous fier à ce que les autres disent, à leur interprétation ou perception de la réalité sans avoir été témoin de quoi que ce soit peut nous jouer de mauvais tours.

Tableau : Crispin et Scapin par Honoré Daumier

«La calomnie, monsieur! vous ne savez guère ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien : et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et, rinforzando de bouche en bouche, il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait?»
~ Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (Le Barbier de Séville [1775]; Acte II scène viii

Extraits de la présentation du documentaire THE REAL DIRT ON GOSSIP

Chaque semaine des dizaines de millions de nord-américains lisent des magazines à potins, des sites web de célébrités et suivent les flux Twitter qui diffusent en continu des rumeurs – et des vérités. Au bureau, les ragots de cafétéria permettent de savoir qui a obtenu une augmentation, qui travaille le moins et qui sera embauché ou congédié. 
     Soyons honnêtes, nous aimons tous les potins. Nous les recherchons, nous les répandons. Et maintenant, la recherche scientifique sur l'évolution du langage révèle que le commérage a toujours existé et qu’il ne disparaîtra jamais. Mais, est-ce une si mauvaise chose? [...]  

Saviez-vous
que le menu de nos conversations quotidiennes est constitué de 66 % de commérage  
que l’analyse de 22 000 conversations a révélé que le sujet de discussion le plus courant était ce que font les autres [une fois qu’on a parlé de soi, on parle des autres]
que les hommes commèrent autant que les femmes [le commérage n'est pas l'apanage des femmes; le vestiaire, le club réservé aux hommes et les organisations politiques et corporatives essentiellement masculines sont des foyers de commérages qui ont béni ou détruit des destins]
que les gens ont plus tendance à commérer sur des individus du même âge et du même statut social  
que les bons bavards ont tendance à gagner plus d'argent au travail  
– que les renseignements obtenus grâce au commérage peuvent donner de l’ascendant et même du pouvoir sur ceux qui n'y ont pas accès  

Que le party commence... 

[...] Le commérage n’est pas toujours négatif. En réalité il le serait dans une proportion de 10 %; les reste est soit neutre ou positif. Cependant, le commérage négatif colle à la peau plus longtemps que le commérage positif. Une fois la réputation d’une personnalité publique salie, même si les allégations s’avèrent fausses, la tache ne disparaît pas de la mémoire collective; le doute subsiste. De toute façon, dans un procès pour diffamation, s’il n’y a pas de témoins, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre, alors...

Une intrigante chirurgie exploratoire de cette compulsion inhérente à la nature humaine.
Si vous avez accès à la zone : http://www.cbc.ca/doczone/episodes/the-real-dirt-on-gossip

Citations du jour 

Commentaire d’un internaute à propos de Facebook :
«Une chose que je ne pouvais pas supporter, c’est le fait que chaque statut ou action est jugée par tout le monde. Tout le monde a toujours un avis sur tout : vos contacts vont ainsi commenter et critiquer (ouvertement ou derrière votre dos) tout ce que vous faites ou écrivez.» ~ Daniel Roch

«Nous sommes nés pour faire des erreurs, et non pour simuler la perfection.» 

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À lire avant les réceptions du Nouvel An, et avant de publier des commentaires sur Facebook, Instagram et autres...

LE MOT
Victor Hugo (1802-1885)

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil! Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas...

Écoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de coeur, ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu;
Ce mot que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre!
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle!
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et caetera,
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l'individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face,
Dit : Me voilà ! je sors de la bouche d'un tel.

Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.

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