30 juillet 2014

Lettres – 3

La lettre implique la distance, l’absence, la projection dans l’imaginaire
… Combien de lettres soigneusement cachetées sont-elles restées dans des secrétaires, entre des piles de draps, dans les sacs à main, avant d’être découvertes deux ou trois générations plus tard délicatement enrubannées mais à jamais illisibles tant l’humidité les a rongées?

Écrit-on à un(e) autre? Pas si sûr…
La lettre peut être le geste d’abandon de soi-même, l’apprentissage de la construction de son identité, la réassurance de soi. Journal intime et correspondance possèdent des frontières poreuses : évasion hors de la prison mentale, physique où les autres vous encagent, méditation sur ses possibilités intellectuelles, rêveries existentielles. (…)

Pas touche à mes lettres
.... On écrit pour être lu[e] mais pas seulement. On le fait aussi pour tromper sa solitude, se réassurer, s’inventer des vies. Quelquefois même on réécrit ses lettres pour enjoliver sa vie et tenter de laisser une image de soi plus conforme aux mœurs en vigueur (…).

~ Laure Adler (Préface, p.9)
Les plus belles lettres de femmes
Laure Adler & Stefan Bollmann
Flammarion; 2012 (Adaptation de l’ouvrage en langue allemande publiée en 2008 : Briefe liebe ich, für Briefe lebe ich

Dans Lettres d’amitié :

Indira Gandhi & Dorothy Norman
Des amitiés profondes (p. 89)

En 1949, lors d’un voyage officiel de son père le Pandit Nehru aux États-Unis, Indira Gandhi fait la connaissance de la photographe américaine Dorothy Norman. Quoique tout semble les séparer, une amitié naît immédiatement entre les deux femmes, portée notamment par leurs préoccupations communes. Elle se poursuit des années durant par voie postale. Dans ses lettres, Indira Gandhi laisse voir une personnalité beaucoup plus complexe et sensible que la femme d’État dictatoriale que l’on connut par les médias.

The Residency
Bangalore, 12 juin 1951

Si quelqu’un me demande à la fin de la semaine ce que j’ai fait, je ne serai pas vraiment en mesure de répondre, mis à part que les tâches de tous les instants paraissent toujours capitales et urgentes. Globalement, c’est une vie frustrante (…) Néanmoins il faut encore que je fasse quelque chose d’autre. Écrire? Mais sur quoi écrirais-je donc? J’ai des idées précises sur tout, mais elles sont toutes jetées en vrac. 
    Peut-être l’écriture y mettrait-elle un certain ordre et libérerait-elle la voie à des pensées futures et au travail. La seule chose que je pourrais faire ou vers laquelle je me sente attirée (mais n’est-ce pas une seule et même chose?) est une sorte de recherche littéraire ou historique. 
   Ce qui m’étonne c’est l’art et la manière dont je peux t’écrire en parlant de moi, je n’ai pas encore jamais pu faire ça avec personne,

Love,
Indira


Woods Hole, Mass.
1er août 1951

Tu dis qu’il te faut faire quelque chose, pour exploiter ta veine créatrice et productive. Mais tu ne pourras pas y arriver si tu continues de réprimer les autres côtés. Et comme tu as tout sous un contrôle si parfait : c’est ce que j’associe à toi quand je pense à toi. Je suis soulagée de savoir que tu te sens libre quand tu parles avec moi, voilà au moins quelque chose qui va sans retenue. Et tout un chacun a le désir de pouvoir être toujours ouvert et honnête. Seule la sincérité et le sentiment de pouvoir être sincère vis-à-vis de quelqu’un d’autre apporte une véritable satisfaction. J’ai souvent pensé combien tu devais être aimée, et comme tu devais épuiser ta pleine capacité d’amour. Pour être sincère et franche sur les sujets les plus extrêmement sensibles. Il y a en toi une telle artiste – dans ta quête des formes, des lignes et des couleurs, dans la façon dont tu t’habilles et te sers des fleurs – dans tout. Et aussi dans l’art et la manière dont tu vois les choses (…) je suis heureuse que tu existes.

Love,
Dorothy

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Superbe témoignage de confiance et d’appréciation mutuelle.

Aujourd’hui sur Internet, la correspondance des usagers est engrangée et «scrutée», entre autres, pour se garer d’éventuelles conspirations… Le service postal est-il plus sécuritaire en matière de confidentialité? Hum, j’en doute. L’espionnage de la correspondance a toujours existé.
   Élisabeth Charlotte d’Orléans, princesse palatine du Rhin à la cour de Louis XIV écrivait : «Ce que l’on se doit de taire dans la vie, on peut en parler dans les lettres.» Cependant, elle utilisait parfois sa langue maternelle pour détromper les services de censure du roi : «Là-dessus, il y aurait beaucoup à dire, mais on ne peut pas le confier à la plume; car toutes les lettres sont lues et scellées à nouveau.» (La princesse palatine à ses proches en Allemagne, p. 65-67)

Rien ne change sauf les outils techniques…

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