Panier
Tu devrais t’en aller
de place en place
recouvrer les poèmes
écrits pour toi,
et que tu peux signer de ton nom.
Ne discute de ces choses
avec personne.
Recouvre. Recouvre.
Quand le panier sera plein
quelqu’un paraîtra
à qui tu pourras le présenter.
Elle va étendre sa grande jupe
et elle va s’asseoir
sur une pierre noire
et ton panier va rebondir
comme un fétu dans le soleil
sur l’immense paysage
de son giron.
~ Leonard Cohen
Traduction : Michel Garneau
Livre du
constant désir
Éditions de l’Hexagone, 2007; p. 59
Dans une interview accordée en 1992, Leonard Cohen
révélait sa façon de concevoir l’inspiration et le travail qui en découle : «il
ne faut pas abandonner avant de savoir ce que vous abandonnez».
Un formidable témoignage sur sa vocation, son
processus créatif et ses motivations profondes qui ont toujours prévalu sur la reconnaissance
et le mercantilisme. Ce qui ne l’a pas empêché de réussir et d'obtenir une fabuleuse quantité de prix!
2011 Prince of Asturias Award
http://leonardcohenhallsoffame.blogspot.ca/
La chanson
«Il y aura toujours quelqu'un pour donner un sens
à une chanson. Les gens se courtisent, les gens trouvent leurs conjoints, les
gens font des bébés, les gens lavent leur vaisselle, les gens passent à travers
leur journée avec des chansons que nous pouvons juger insignifiantes. Mais pour
d'autres, elles ont une signification. Il y aura toujours quelqu'un pour affirmer
l'importance d’une chanson qui l’a incité à prendre une femme dans ses bras ou l’a
aidé à passer la nuit. Voilà ce qui ennoblie la chanson. Les chansons n’ennoblissent
pas l’activité humaine. L’activité humaine ennoblie la chanson.»
Inspiration
et dur labeur
«J'écris tout le temps. Et quand les chansons
commencent à se combiner, je ne fais rien d’autre qu’écrire. J'aimerais bien être
de ceux qui écrivent des chansons rapidement. Mais ce n’est pas pour moi. Donc,
ça me prend beaucoup de temps pour découvrir ce que sera cette chanson. Alors,
je travaille presque tout le temps. [...]
Pour
trouver une chanson que je peux chanter, je dois y mettre toute mon attention, dépasser
mon ennui intérieur et mon indifférence vis-à-vis de mes propres opinions, et traverser
ces obstacles; la chanson doit me parler, avoir une certaine importance. Découvrir
cette chanson qui peut m’intéresser nécessite de nombreuses versions et beaucoup
de déblayage...
Ma façon
de penser est bureaucratique et pareille à un embouteillage. Mon état d'esprit ordinaire
ressemble à la salle d’attente d’une urgence. … Alors, pour pénétrer cette broussaille
et le débat inutile qui occupe presque toute mon attention, je dois trouver
quelque chose qui parle vraiment de mes intérêts profonds. Autrement, je me perds dans
un sens ou un autre. Alors, trouver cette chanson qui a du
sens, exige beaucoup de versions, beaucoup de travail et beaucoup de sueur.
Mais
pourquoi mon travail ne devrait-il pas être ardu? Presque tout le monde travaille
dur. On se laisse distraire par cette notion qu'il existe une chose comme l’inspiration
qui vient rapidement et facilement. Et certaines personnes sont dotées de
cette aptitude. Pas moi. Je dois donc travailler aussi dur que n’importe quel ouvrier
pour fournir ma charge utile.»
«Liberté et restriction sont des termes luxueux pour
celui qui est enfermé dans le donjon de la tour à chansons. Ces sont simplement
des ... idées. Je n’éprouve pas de sentiments de restriction ou de liberté. J'ai
simplement le sens du travail. J'ai le sens du travail ardu.»
Travailler
dur peut-il être agréable?
«Il y a un certain réconfort. Le mental physique
est musclulaire. Cela vous donne une certaine allure quand vous marchez dans le
sombre paysage de vos pensées. Vous avez un certain type de tonalité dans votre
activité. Mais la plupart du temps, ça n'aide pas. Ce qui compte c’est le travail
ardu. Je pense que le chômage est le plus grand malheur de l'homme. Même les
personnes qui ont un emploi sont en chômage. En fait, la plupart des gens qui
ont un emploi sont en chômage. Je peux dire avec plaisir et gratitude que je
suis un employé à plein temps. Peut-être que tout travail ardu signifie plein-emploi.»
D’où
viennent les bonnes idées?
«Si je savais d’où viennent les bonnes chansons,
j'irais là plus souvent. C'est un état mystérieux. C'est un peu comme la vie
d'une religieuse catholique. Vous êtes marié à un mystère.»
Le processus
créatif
«Avant d’abandonner, nous devons avoir investi
tout ce que nous avions pour que l'image complète se révèle d’elle-même et
justifie l'abandon, ce qui s'applique également à tout, du travail à l'amour.
Avant
de rejeter un verset, je dois l'écrire ... Je ne peux pas jeter un verset avant
qu'il ne soit écrit parce que c'est l'écriture du verset qui produit un
quelconque délice ou un intérêt, ou des facettes qui vont accrocher la lumière.
La taille d’une pierre précieuse est incomplète tant qu’on ne la voit pas briller.»
Après un
demi-siècle : le travail, un impératif existentiel
«Il y a d’abord l’impératif économique. Je n'ai jamais
gagné assez d'argent pour me dire : ‘Oh, je pense que maintenant je vais vivre
sur un yacht et faire de la plongée sous-marine’. Je n'ai jamais eu les fonds nécessaires
pour prendre des décisions radicales par rapport à ce que
pourrais faire dans la vie.
Ensuite,
j'ai été formé à ce qui deviendrait plus tard Montreal School of Poetry. Avant les
prix, avant les subventions, avant même que les filles s’intéressent à ce que
je faisais. Nous nous rencontrions, un groupe vaguement définissable de personnes. Il
n'y avait pas de récompenses, comme je l'ai dit, aucune récompense autre que le
travail lui-même. Nous lisions nos poèmes. Nous étions passionnément impliqués dans
la poésie et notre vie tournait autour de cette occupation.
Nous avions
comme modèles des poètes qui avaient travaillé toute leur vie. Nous ne pensions
pas à envahir le marché, ou qu’il fallait faire un hit et le sortir. Ce genre
de sensibilité n’a pris racine dans mon esprit que récemment... J'ai donc
toujours eu le sentiment d'être là-dedans pour y rester; si vous êtes en santé,
et si vous êtes assez chanceux pour avoir la longévité qui vous permettra de continuer.
Je n'ai jamais eu l’impression qu’il y aurait une fin. Qu'il y aurait une
retraite ou qu'il y aurait un jackpot.»
Ces citations sont tirées d’une compilation
d’entretiens avec des chanteurs-compositeurs publiée par Paul Zollo : Songwriters on Songwriting.
Article complet : http://www.brainpickings.org/
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Citation du
jour :
Rares sont ceux qui vivent leur vie si
intégralement que la mort ne représente aucune menace. La plupart des gens
combattent la mort comme ils ont combattu la vie.
~ S.
Levine