23 mai 2018

Un juge à hauteur de femme. Enfin!

T’aurais mieux fait d’rester amibe,
l’Homo Sapiens!


[...]

Mais que n’es-tu resté macaque
jusqu’à jamais!

Narcisse à relents de cloaque,
par ton nombril, hypnotisé,
mais que n’es-tu resté macaque!
Ou bien crapaud! Poisson! Amibe!
Qu’ainsi n’y eût ni faits ni scribes
et nulle Histoire à raconter!

Esther Granek, «De la pensée aux mots» 1997


Je me réjouis que le juge de la Cour supérieure du Québec, Donald Bisson, ouvre la porte au recours collectif des Courageuses contre Gilbert Rozon.


François Messier | ICI Radio-Canada nouvelles | Le 22 mai 2018 – Dans une décision d’une quarantaine de pages rendue mardi, le magistrat rejette les nombreux arguments qu’avait avancés le fondateur et ex-grand patron du Groupe Juste pour rire pour rejeter l’action collective.
   Le juge Bisson n'a par exemple pas retenu l'argument de M. Rozon selon lequel «le fait de charmer en utilisant son pouvoir n'est pas une faute».
   Le cas de Mme Tulasne, écrit-il, «ne correspond aucunement à la banalisation grossière et déformée que présente M. Rozon» et mérite donc d'être jugé sur le fond.
   Le recours autorisé par le juge Bisson couvrira «toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon».
   «Dans le passé, le véhicule procédural de l’action collective a démontré son efficacité dans les dossiers d’agressions sexuelles, puisqu’il a permis à des centaines de victimes d’avoir accès à la justice au Québec», conclut-il.
   Selon Rémi Bourget, la décision du juge Bisson, et particulièrement ses propos «très durs» sur la «banalisation grossière et déformée que présente M. Rozon», montre que les tribunaux ne sont pas insensibles aux critiques qui lui ont été faites dans des dossiers d'agressions sexuelles. «On sent tout au long du jugement que les tribunaux sont rendus conscients aujourd'hui de la grande difficulté [pour] les victimes de violences sexuelles d’aller porter des accusations contre leur agresseur, que ce soit au civil ou au criminel. On sent que c’est une réflexion que la cour a faite lorsqu'est venu le temps d’autoriser ce recours.»
   Le juge mentionne par exemple que plusieurs victimes alléguées de M. Rozon ont pu être découragées par le fait qu'il a eu droit à une absolution inconditionnelle après avoir été condamné pour agression sexuelle il y a 20 ans.
   Me Bourget rappelle enfin que le fardeau de la preuve dans le cas des actions collectives est moindre que celui qui est requis dans des procès au criminel. «Devant une cour de droit civil, on doit prouver par prépondérance des probabilités, pas hors de tout doute raisonnable», résume-t-il.

Article intégral et vidéos :


Weinstein s’est tiré d’affaire en monnayant des accords de confidentialité dont on ne connaîtra sans doute jamais le nombre exact. Un pauvre type répugnant (le mot n’est pas assez fort). À voir si vous avez accès à la zone (en français) :
L’affaire Weinstein nous fait découvrir comment le magnat d’Hollywood, Harvey Weinstein, aurait harcelé et agressé sexuellement des dizaines de femmes durant plus de quatre décennies. Le documentaire met en lumière les méthodes élaborées que lui et son entourage ont utilisées pour tenter de réduire au silence ses accusatrices.

Production 2018 par BBC Current Affairs, Royaume Uni; Réalisateur(s) : Jane McMullen, Leo Telling  https://ici.tou.tv/l-affaire-weinstein

La manosphère en calvaire
Josée Blanchette | Le Devoir | 4 mai 2018

[Extraits]

[...] Voici la définition que donne le Wiktionnaire de la manosphère : «Manosphère / féminin (Internet) (Néologisme) Communauté de sites Internet et de réseaux sociaux dédiés aux hommes.  La manosphère est un réseau de sites Web et de forums en ligne. Une constellation de la misogynie. Protégés par l’anonymat, les hommes échangent des tuyaux, discutent stratégies de conquête, publient commentaires sexistes […].»

Si on résume : des mâles alpha ou béta adhèrent à des groupes sexistes (souvent racistes aussi, et même néonazis) et adoptent un lexique très précis propre à leur secte, qui se revendique de l’homme des cavernes à peu de chose près. Visiter ces forums sème l’effroi ; les idées véhiculées y sont d’une violence i-nou-ïe. Francine Pelletier avait bien raison de souligner mercredi dans ces pages qu’il faut de toute urgence aller scruter de près ce qui se trame dans ces réseaux souterrains. Ces voûtes nauséabondes du Web servent de caisse de résonance à des idées meurtrières où les «martyrs» de la trempe de Lépine ou de Minassian sont élevés au rang de héros.

Débarquer de la croix

Les agresseurs se perçoivent donc comme des victimes de la misandrie ambiante, un peu comme Trump hurle FAKE NEWS sur Twitter. Deux «faux faits» parmi d’autres : 88 % des milliardaires sont des hommes et 70 % des richesses mondiales leur appartiennent. Ces statistiques proviennent du récent essai La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace dont je me suis régalée, un panorama historique, sociologique, et un survol international sur cette question qui fait couler du sang. Lorsque je mentionne à son auteur, le professeur de science politique Francis Dupuis-Déri, cette phrase de la célèbre Dre Shirlee (Dolly Parton), «Get down off the cross, honey, somebody needs the wood», il s’esclaffe.  

Très au fait des délires paranoïdes de la manosphère, Francis Dupuis-Déry a codirigé deux ouvrages collectifs, l’un sur le mouvement masculiniste au Québec et l’autre sur les antiféministes. Cet hétéro-anarcho-féministe constate qu’un tango de la mort est engagé depuis les mouvements #AgressionNonDénoncée et #MeToo. Il définit ces mâles misogynes et hargneux sous le terme de «suprémacistes mâles».

[...] «La logique des suprémacistes mâles est une logique de mépris, de caste supérieure, une logique aristocratique dans le sens où ils réclament leur dû, ce qu’on appelle entitlement. Comment peuvent-ils se croire?»

Qu’un homme comme lui qui ne s’émeut pas d’être traité de gai ou de «pisse-assis» le dise ajoute un peu de poids à l’énoncé.

«Comment ne pas être découragé, en effet, par une propagande qui laisse entendre que mon potentiel humain physique, psychologique et moral est déterminé par mes ancêtres qui chassaient le mammouth ou par un organe qui pend entre mes jambes?» demande encore Dupuis-Déri dans son ouvrage. Il ajoute que les hommes ne sont pas «en crise», mais qu’ils «font des crises», «au point de tuer des femmes».

Article intégral :


La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace
Francis Dupuis-Déri
Les Éditions du remue-ménage, 2018  

Résumé de l’éditeur :

Une crise de la masculinité, dit-on, sévit dans nos sociétés trop féminisées. Les hommes souffriraient parce que les femmes et les féministes prennent trop de place. Parmi les symptômes de cette crise, on évoque les difficultés scolaires des garçons, l’incapacité des hommes à draguer, le refus des tribunaux d’accorder la garde des enfants au père en cas de séparation, sans oublier les suicides. Pourtant, l’histoire révèle que la crise de la masculinité aurait commencé dès l’antiquité romaine et qu’elle toucherait aujourd’hui des pays aussi différents que le Canada, les États-Unis et la France, mais aussi l’Inde, Israël, le Japon et la Russie. L’homme serait-il toujours et partout en crise?

Dans ce livre, Francis Dupuis-Déri propose une étonnante enquête sur ce discours de la «crise de la masculinité», dont il retrace l’histoire longue et ses expressions particulières selon le contexte et les catégories d’hommes en cause, notamment les «hommes blancs en colère» ainsi que les Africains-Américains et les «jeunes Arabes». Il analyse l’émergence du «Mouvement des hommes» dans les années 1970 et du «Mouvement des droits des pères» dans les années 1990 et leurs échos dans les réseaux chrétiens et néonazis. Il se demande finalement quelle est la signification politique de cette rhétorique, qui a pour effet de susciter la pitié envers les hommes, de justifier les violences masculines contre les femmes et de discréditer le projet de l’égalité entre les sexes.


Interview à « Plus on est de fous, plus on lit », Radio-Canada Première 11 avril 2018 :

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