Les
Esclaves
Au commencement, Dieu créa le chat à son image.
Et, bien entendu, il trouva que c'était bien. Ce qui prouve qu'il avait une
très bonne opinion de lui-même car ce n'était pas si bien que cela.
En effet, le chat ne voulait rien faire. Il était
paresseux, renfermé, taciturne, économe de ses gestes et, de plus, extrêmement
buté. C'est alors que Dieu eut l'idée de créer l'homme. Uniquement dans le but
de servir le chat, de lui servir d'esclave jusqu'à la fin des temps. Au chat,
il avait donné l'indolence et la lucidité; à l'homme, il inocula la névrose de
l'agitation, le don du bricolage et la passion du travail intensif. L'homme
s'en donna à cœur joie. Au cours des siècles, il édifia toute une civilisation fondée
sur l'invention et la production, la concurrence et la consommation.
Civilisation fort tapageuse qui n'avait en réalité qu'un seul but secret :
offrir au chat le confort, le vivre et le couvert.
C'est dire que l'homme inventa des millions
d'objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement
les quelques objets indispensables au bien-être du chat : le radiateur, le
coussin, le bol, le plat de sciure, le filet du pêcheur breton, le couteau à
hacher la viande, la moquette ou le tapis, le panier d'osier et peut-être aussi
la radio puisque les chats aiment bien la musique.
Mais, de tout cela, les hommes ne savent rien. À
leurs souhaits. Bénis soient-ils. Et ils croient l'être. Tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes des chats.
~
Jacques Sternberg (in 188 contes à régler,
Denoël, 1988)
Vénéré ou persécuté : c’est lui le «boss»!
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