L’heure approche où le Sommet du G7 défigurera Charlevoix,
l’un de nos joyaux encore préservé pour le moment.
Il est difficile de savoir ce qu’il en coûtera :
au début on parlait de 224 millions de dollars, puis de 500 M$, et maintenant de
604 M$. Pour un mini sommet de deux jours entre des dirigeants qui représentent
non pas nos intérêts mais ceux du Sommet d’affaires B7, pour Business Summit –
sommet organisé par la Chambre de commerce canadienne à Québec et qui se
termine demain.
«Quand l’argent précède, toutes les portes
s’ouvrent.» ~ William
Shakespeare (Les Joyeuses commères de
Windsor)
Parc national des Hautes Gorges de la
Rivière-Malbaie (Charlevoix). Dernier sommet à la fin de la randonnée : vue
panoramique à 360 degrés sur tout le massif et les lacs surélevés. Photo :
Des airs de ville assiégée...
Clôture de sécurité autour du Manoir Richelieu et
du Casino de Charlevoix. Photo : Radio-Canada/Peter Tardif
Une clôture de 3,8 millions $ a déjà été
partiellement installée autour du Manoir Richelieu. L'espace aérien y sera
hautement contrôlé. Même la circulation maritime sur le fleuve devra être
modifiée. Au moins deux sites devront également être sécurisés : Québec où sera
situé le centre des médias, et Bagotville où atterriront les chefs d'État et de
gouvernement, dont le président américain Donald Trump. (Journal de Montréal,
le 15 février 2018)
«Le vulgaire imbécile est toujours avide de grands
événements, quels qu’ils puissent être, sans prévoir s’ils lui seront utiles ou
préjudiciables : il n’est ému que par sa propre curiosité.» ~ L’Arioste,
1474-1533 (Roland furieux)
Le premier ministre a profité de sa visite pour
vanter les charmes de la région de Charlevoix. Il est persuadé que ses
collègues du G7 «succomberont eux aussi à sa beauté naturelle».
«Nos
invités pourront admirer des paysages à couper le souffle au Manoir Richelieu
et de profiter de l’hospitalité légendaire du Québec», a-t-il vanté.
Justin
Trudeau a également insisté sur les «nombreuses retombées» qu’amènera
l’événement. (ICI Radio-Canada / Québec, le 8 juin 2017)
Et M.
Trudeau a sorti son vieux «motivational podcast» : Dans un bref discours,
jeudi matin, devant des personnalités du monde des affaires, Justin Trudeau a
aussi tenu à rappeler les priorités canadiennes au cœur des cinq grands thèmes
du prochain G7, soit investir dans une croissance économique qui profite à tout
le monde, se préparer aux emplois de l’avenir, promouvoir l’égalité des sexes et
l’autonomisation des femmes, travailler ensemble à l’égard des changements
climatiques, des océans et de l’énergie propre, et construire un monde plus pacifique
et plus sûr. (Xavier Savard-Fournier, ICI Radio-Canada / nouvelles)
Espérons que nos béni-oui-oui refuseront de
transformer Charlevoix en Davos sous la pression des crocodiles financiers
étrangers.
Le vrai
changement, dont tous les politiciens nous rabâchent les oreilles à chaque
élection, se produira lorsque les élus cesseront de lécher les chaussures
des lobbyistes – des chaussures de marque telles que Stefano Bemer (crapaud et dromadaire
à 2000 $), ou Louis Vuitton (alligator ou python à 10 000 $), ou Tistoni (alligator
à 38 000 $).
Vu sur
une enseigne en Louisiane : un alligator avec l'inscription ‘We love
tourists. We eat them.’ Certains apprécient la chair d’alligator – ça doit être
bizarre d’en manger un qui vient de bouffer un humain!
«Ne parle pas d’argent; je n’adore pas un dieu qui
se donne si vite au derniers des drôles.» ~ Euripide
OPINION 06/12/2015 La Presse+
PEUT-ON
VIVRE SANS RAISON D’ÊTRE?
Pierre Desjardins, philosophe (1)
Notre situation dans l’univers est hallucinante!
Pensons-y donc un instant : nous vivons sur une sphère gigantesque suspendue
dans l’espace, une sphère de 12 756 kilomètres de diamètre qui, en 24 heures,
tourne complètement sur elle-même et qui, de plus, se déplace autour du Soleil
à la vitesse vertigineuse de 107 208 km/heure.
Toutefois, malgré cette situation à la fois
extraordinaire et, disons-le, quelque peu précaire, nous nous arrêtons très peu
au sens que tout cela peut avoir. Nous penchons plutôt du côté de la beauté
gratuite de la Terre et préférons tout simplement en jouir sans trop nous poser
de questions.
Pourtant, nous aussi sommes faits de matière
terrestre, de la même matière qui peuple champs et forêts et qui, bien au-delà
de la Terre, peuple également l’univers tout entier. Qu’avons-nous donc en
commun avec cet univers étrange et pourquoi tenons-nous tant à y vivre, nous
qui, sans le vouloir, nous retrouvons confinés dans ce lieu dont l’existence
est, d’un point de vue rationnel, tout à fait absurde?
Car, logiquement, nous n’avons pas plus de raisons
d’exister que l’univers en a. Logiquement, nous devrions refuser cette vie
truquée d’avance, comme disait si bien Albert Camus. Mais, visiblement, nous ne
sommes pas très rationnels et préférons, sans trop savoir pourquoi, profiter
aveuglément des plaisirs que nous offre la vie. Sentir le vent, voir le ciel,
toucher son enfant, œuvrer avec passion, c’est cela, vivre, dira-t-on! Après
tout, pourquoi devrions-nous nous passer des magnifiques plaisirs que la vie
nous offre sur un plateau d’argent?
Aussi, ce qui pourrait passer aux yeux de certains
philosophes pour de l’insouciance ou de l’indifférence n’en est pas; bien au
contraire, pareille attitude s’explique : en optant pour l’irrationnel,
l’humain évite quelque chose qu’il ne peut endurer et supporter, soit le
déplaisir de l’angoisse existentielle.
Au non-sens du monde, l’humain refuse de céder ou
de se replier sur lui-même et rétorque en vivant passionnément.
C’est ainsi qu’à travers la jouissance du monde
fabuleux qui nous entoure, ce que nous voyons ou entendons prend forme. La
fleur qui se tourne vers le soleil devient le magnifique témoin de la richesse
du soleil, de l’eau et de la terre qui la nourrit. L’oiseau qui virevolte dans
l’air, le poisson qui s’ébat dans l’eau ou l’ours qui vagabonde sur la banquise
en font tout autant. La Terre, à travers l’incroyable diversité chimique de ses
composants, est à la fois le gage et le resplendissant écrin de toutes ces
merveilles.
Toutefois, on ne peut représenter avec fierté
quelque chose que l’on sait condamné d’avance. Que dirait-on, par exemple, d’un
avocat qui accepterait de défendre un accusé dont la sentence de mort aurait
déjà été prononcée? Or, n’est-ce pas exactement la situation dans laquelle l’humain
se retrouve aujourd’hui?
En
cannibalisant la nature, nous sommes en train de détruire le fruit de 3,8
milliards d’années de vie sur Terre, fruit dont il ne restera bientôt plus
grand-chose. Et bien que la Terre n’ait aucunement besoin du vivant pour
exister (c’est elle qui a permis sa constitution et non l’inverse), sa présence
active lui donne l’occasion de déployer sa prolifique somptuosité.
Survivre à
une nature ravagée replacerait l’humain sur une voie qu’il avait pourtant
choisi d’éviter dès le départ : celle de se retrouver isolé, aux prises avec le
déplaisir de l’angoisse existentielle dans un monde sans aucune autre vie que
la sienne. Est-ce cela que nous voulons?
Mutiler la
Terre, c’est donc beaucoup plus que mettre en péril l’existence de l’humanité.
C’est d’abord nier le sens ultime de notre existence comme témoin privilégié
d’un environnement prodigieux. Vivre sans tenir compte de ce rôle, ce n’est
déjà plus vivre, c’est tenter bêtement de survivre sans aucune raison d’être.
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(1) Pierre Desjardins est professeur de
philosophie et de philosophie de l’art depuis plusieurs années au collège
Montmorency.
Reconnu pour son sens critique redoutable et ses
analyses réalistes, Desjardins dérange. Néolibéralisme économique, scientisme,
machisme, racisme, populisme politique, conservatisme religieux ou artistique,
peu de choses échappent à la vigilance de ce penseur.
Véritable «chien de garde» de la philosophie, il
contribue par sa présence dans les médias québécois à donner une visibilité
nouvelle à cette discipline.