13 mars 2018

À quoi tient notre identité?

La mer au plus près
Albert Camus

J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable.

Depuis, j'attends.

J'attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces.

On me voit passer dans de belles rues savantes, j'admire les paysages, j'applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n'est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m'offense, je m'étonne à peine.

Puis j'oublie et souris à qui m'outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j'aime. Que faire si je n'ai de mémoire que pour une seule image?

On me somme enfin de dire qui je suis. «Rien encore, rien encore...»

Photo : Tiago Ribeiro de Carvalho

Mendiant
Fernando Pessoa

Mendiant de ce qu’il ne sait pas,
Sur la route sans lieu de mon être
Parmi des débris fait son aube…
Il chemine seul sans chercher…

Photo : Tiago Ribeiro de Carvalho

Source : Carnets de poésie de Guess Who

Collection de photos
https://www.flickr.com/photos/tiagordc/

Nous sommes l’unique personne avec qui nous passerons notre vie entière. Toutes les autres – enfants, partenaires, amis, collègues (j’inclus les animaux de compagnie!) – peuvent mourir avant nous ou quitter notre cercle à tout moment. Et quel que soit le degré d’intimité que nous aurons eu avec elles, nous sommes la personne avec qui nous aurons la relation la plus intime jusqu’à notre mort.
   Pourtant nous avons l’impression de vivre dans un corps étranger, que d’ailleurs nous n’aimons pas beaucoup. C’est sans doute pourquoi nous recherchons l’acceptation et l’amour inconditionnels des autres. Le phénomène «Like» illustre bien ce symptôme. Il est vrai aussi que notre grand juge intérieur (l’ego) ne rate pas une occasion de nous dénigrer. Et ses critiques s’appuient généralement sur des modèles, des valeurs, des attentes et des exigences extérieures – des fabulations – qui n’ont rien à voir avec ce que nous sommes, mais que nous adoptons comme étant les nôtres... Plus nous sommes capables de nous regarder courageusement en face, plus vite nous cessons de nous mentir et de vivre comme des robots téléguidés.
   «En réalité nous devrions mieux nous connaître que n’importe qui d’autre. La seule personne que nous retrouverons à la fin du voyage, c’est nous», disait Ella Maillart; et à propos de la mort : «vous cessez simplement de respirer; qu’y -a-t-il de si effrayant là-dedans?»

Ella Maillart (1903-1997) compte parmi les grandes écrivaines-voyageuses du 20e siècle. Comme Alexandra David-Néel, elle a exploré le monde dans des conditions périlleuses que peu de gens trouveraient enviables, et dans des endroits où les femmes autonomes et indépendantes n’étaient pas les bienvenues. Peu avant sa mort à 94 ans, elle venait de faire renouveler son passeport... histoire de se rendre au bout de son voyage.

Si vous ne la connaissez pas, voici quelques liens d’intérêt


1989 - 1997 Le Musée de l'Élysée à Lausanne, auquel Ella Maillart a confié ses négatifs, organise une première exposition rétrospective de ses photographies. L'exposition sera montrée dans de nombreuses villes en Europe. Un nouveau livre, La Vie immédiate (1991), réunit quelque 200 photographies qui témoignent souvent d'un monde disparu et apportent, tout comme ses récits et ses films, une contribution non négligeable à la connaissance de l'histoire de notre temps. Les dernières décennies de sa vie seront marquées par sa préoccupation face aux nombreux enjeux écologiques et à l'avenir de cette planète qu'elle admirait si profondément. Ella Maillart s'est éteinte à Chandolin le 27 mars 1997.

Les yeux d’Ella (documentaire en français, 1990)

Ella Maillart, entame une quête spirituelle dans le sud de l’Inde avec un petit chat qui l’accompagnera partout où elle ira.

Source de la photo : RTS 

Ti-Puss (ou l'Inde avec ma chatte) 
Elle Maillart; Rennes, Éditions La Tramontane, 1951, 1979

«J'éprouve profondément qu'un pacte nous lie à l'animal que nous adoptons. Ne pense-t-il pas, très vraisemblablement, que nous sommes tout-puissants et responsables du bien et du mal qui lui arrivent? Et si nous faisons notre devoir envers lui, il nous communiquera sa beauté, ses peines et ses joies. Dans le cas contraire, la possibilité d'échanges sera perdue, nous n'aurons pas accès à son univers fait pour enrichir le nôtre. Mais pour éviter que ce pacte ne se transforme en désir de possession – désir qui m'enchaînerait – je décide de considérer la chatte comme un don toujours renouvelé, don à accueillir avec reconnaissance.»

«Somme toute, j'étais parvenue à comprendre clairement que pour la plupart des Occidentaux, l'équilibre, l'amour du prochain, la sagesse seront inaccessibles aussi longtemps que la plus importante partie de nous-mêmes restera ignorée ou encore étouffée par nos vies profanes, axées uniquement sur l'obtention d'une sécurité qui ne peut pas exister sur le plan  matériel.
   Pour la première fois je pus accepter sans révolte, parce que je commençais à la comprendre, l'absurdité de notre monde et l'absurdité des efforts que jusqu'ici j'avais tentés en aveugle pour gagner une harmonie profonde.»

Interview (vidéo) :  

Mais qui est donc cette mystérieuse Ti-Puss qui, dans les années 1940, accompagne l'une des voyageuses les plus étonnantes du 20e siècle dans un long périple à travers l'Inde, auprès des grands maîtres de sagesse, parmi les pauvres et les humiliés? Ti-Puss, décrite par Ella Maillart comme son miroir et son modèle parce qu'elle incarne «la plénitude de l'instant présent», n'est autre... qu'une chatte tigrée, initiatrice inattendue des mystères de l'Inde.


Forbidden Journey (Oasis interdites), published in 1937, became a bestseller.

In comparison to her companion (Peter Fleming), she is also the more empathetic narrator, having heartfelt compassion for man, woman, child and beast – particularly for her sick horse Slalom, which she has to leave behind at some point.
   Ella Maillart also ponders the ecologic impact that even a small (relatively) modern expedition creates in the nomadic and semi-nomadic cultures they encounter on their trail:
   “Others are keen to see if natives other than us live better than we do, without heat in pipes, ice in boxes, sunshine in bulbs, music on disks, or images gliding over a pale screen. In many places we travelled through in China and in Kashmir in 1935, we were the first polluters. We were the ones who stirred the locals’ desire for matches, for a primus cooker which I used to prepare our meals, or for a camera – all of them things they had not seen before.”


CONCLUSION

Bien sûr, nous ne rêvons pas tous d’une vie d’explorateur ou d’aventurier hors du commun. Mais à la mesure de notre potentiel nous pouvons réaliser des choses qui nous tiennent à cœur si nous mettons de côté les attentes de l’entourage – famille, relations, propagande médiatique, etc.  Malheureusement aujourd’hui, c’est la poursuite de la richesse extérieure vitement acquise par n’importe quel moyen qui prime, souvent au détriment de la richesse intérieure et de la satisfaction d’aspirations profondes.

Un grand détour donc, comme dans la vie, pour revenir au point de départ. Ella Maillart a fréquenté l’ashram de Ramana Maharshi*. À tous ceux qui l’approchaient, le Sage conseillait la recherche inlassable de leur propre vérité, en ramenant tous les problèmes et toutes les alternatives à la question fondamentale : «Qui suis-je?».

* Il ne s'agit pas du gourou des Beatles, Maharishi.

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