Albert
Camus
J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été
fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la
misère intolérable.
Depuis, j'attends.
J'attends les navires du retour, la maison des
eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces.
On me voit passer dans de belles rues savantes,
j'admire les paysages, j'applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce
n'est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m'offense, je m'étonne
à peine.
Puis j'oublie et souris à qui m'outrage, ou je
salue trop courtoisement celui que j'aime. Que faire si je n'ai de mémoire que
pour une seule image?
On me somme enfin de dire qui je suis. «Rien
encore, rien encore...»
Photo : Tiago Ribeiro de Carvalho
Mendiant
Fernando
Pessoa
Mendiant de ce qu’il ne sait pas,
Sur la route sans lieu de mon être
Parmi des débris fait son aube…
Il chemine seul sans chercher…
Photo : Tiago Ribeiro de Carvalho
Source : Carnets de poésie de Guess Who
Collection de photos
https://www.flickr.com/photos/tiagordc/
Nous sommes l’unique personne avec qui nous passerons
notre vie entière. Toutes les autres – enfants, partenaires, amis, collègues
(j’inclus les animaux de compagnie!) – peuvent mourir avant nous ou quitter
notre cercle à tout moment. Et quel que soit le degré d’intimité que nous aurons
eu avec elles, nous sommes la personne avec qui nous aurons la relation
la plus intime jusqu’à notre mort.
Pourtant
nous avons l’impression de vivre dans un corps étranger, que d’ailleurs nous
n’aimons pas beaucoup. C’est sans doute pourquoi nous recherchons l’acceptation
et l’amour inconditionnels des autres.
Le phénomène «Like» illustre bien ce symptôme. Il est vrai aussi que notre
grand juge intérieur (l’ego) ne rate pas une occasion de nous dénigrer. Et ses
critiques s’appuient généralement sur des modèles, des valeurs, des attentes et
des exigences extérieures – des fabulations – qui n’ont rien à voir avec ce que
nous sommes, mais que nous adoptons comme étant les nôtres... Plus nous sommes
capables de nous regarder courageusement en face, plus vite nous cessons de
nous mentir et de vivre comme des robots téléguidés.
«En
réalité nous devrions mieux nous connaître que n’importe qui d’autre. La seule
personne que nous retrouverons à la fin du voyage, c’est nous», disait Ella
Maillart; et à propos de la mort : «vous cessez simplement de respirer; qu’y
-a-t-il de si effrayant là-dedans?»
Ella Maillart (1903-1997) compte parmi les grandes
écrivaines-voyageuses du 20e siècle. Comme Alexandra David-Néel, elle
a exploré le monde dans des conditions périlleuses que peu de gens trouveraient
enviables, et dans des endroits où les femmes autonomes et indépendantes n’étaient
pas les bienvenues. Peu avant sa mort à 94 ans, elle venait de faire renouveler
son passeport... histoire de se rendre au bout de son voyage.
Si vous ne
la connaissez pas, voici quelques liens d’intérêt
Biographie http://www.ellamaillart.ch/bio_fr.php
1989 - 1997
Le Musée de l'Élysée à Lausanne, auquel Ella Maillart a confié ses négatifs,
organise une première exposition rétrospective de ses photographies.
L'exposition sera montrée dans de nombreuses villes en Europe. Un nouveau
livre, La Vie immédiate (1991),
réunit quelque 200 photographies qui témoignent souvent d'un monde disparu et
apportent, tout comme ses récits et ses films, une contribution non négligeable
à la connaissance de l'histoire de notre temps. Les dernières décennies de sa
vie seront marquées par sa préoccupation face aux nombreux enjeux écologiques
et à l'avenir de cette planète qu'elle admirait si profondément. Ella Maillart
s'est éteinte à Chandolin le 27 mars 1997.
Les yeux
d’Ella (documentaire en français, 1990)
Ella Maillart, entame une quête spirituelle dans le
sud de l’Inde avec un petit chat qui l’accompagnera partout où elle ira.
Source de la photo : RTS
Ti-Puss (ou l'Inde avec ma chatte)
Elle Maillart; Rennes, Éditions La Tramontane, 1951,
1979
«J'éprouve profondément qu'un pacte nous lie à
l'animal que nous adoptons. Ne pense-t-il pas, très vraisemblablement, que nous
sommes tout-puissants et responsables du bien et du mal qui lui arrivent? Et si
nous faisons notre devoir envers lui, il nous communiquera sa beauté, ses
peines et ses joies. Dans le cas contraire, la possibilité d'échanges sera
perdue, nous n'aurons pas accès à son univers fait pour enrichir le nôtre. Mais
pour éviter que ce pacte ne se transforme en désir de possession – désir qui
m'enchaînerait – je décide de considérer la chatte comme un don toujours
renouvelé, don à accueillir avec reconnaissance.»
«Somme toute, j'étais parvenue à comprendre
clairement que pour la plupart des Occidentaux, l'équilibre, l'amour du
prochain, la sagesse seront inaccessibles aussi longtemps que la plus
importante partie de nous-mêmes restera ignorée ou encore étouffée par nos vies
profanes, axées uniquement sur l'obtention d'une sécurité qui ne peut pas
exister sur le plan matériel.
Pour la
première fois je pus accepter sans révolte, parce que je commençais à la
comprendre, l'absurdité de notre monde et l'absurdité des efforts que jusqu'ici
j'avais tentés en aveugle pour gagner une harmonie profonde.»
Interview (vidéo)
:
Mais qui est donc cette mystérieuse Ti-Puss qui,
dans les années 1940, accompagne l'une des voyageuses les plus étonnantes du 20e
siècle dans un long périple à travers l'Inde, auprès des grands maîtres de sagesse,
parmi les pauvres et les humiliés? Ti-Puss, décrite par Ella Maillart comme son
miroir et son modèle parce qu'elle incarne «la plénitude de l'instant présent»,
n'est autre... qu'une chatte tigrée, initiatrice inattendue des mystères de
l'Inde.
Forbidden Journey (Oasis interdites), published in 1937, became a bestseller.
In comparison to her companion (Peter
Fleming), she is also the more empathetic narrator, having heartfelt compassion
for man, woman, child and beast – particularly for her sick horse Slalom, which
she has to leave behind at some point.
Ella Maillart also ponders the ecologic
impact that even a small (relatively) modern expedition creates in the nomadic
and semi-nomadic cultures they encounter on their trail:
“Others
are keen to see if natives other than us live better than we do, without heat
in pipes, ice in boxes, sunshine in bulbs, music on disks, or images gliding
over a pale screen. In many places we travelled through in China and in Kashmir
in 1935, we were the first polluters. We were the ones who stirred the locals’
desire for matches, for a primus cooker which I used to prepare our meals, or
for a camera – all of them things they had not seen before.”
CONCLUSION
Bien sûr, nous ne rêvons pas tous d’une vie d’explorateur
ou d’aventurier hors du commun. Mais à la mesure de notre potentiel nous
pouvons réaliser des choses qui nous tiennent à cœur si nous mettons de côté
les attentes de l’entourage – famille, relations, propagande médiatique, etc. Malheureusement aujourd’hui, c’est la poursuite
de la richesse extérieure vitement acquise par n’importe quel moyen qui prime,
souvent au détriment de la richesse intérieure et de la satisfaction d’aspirations
profondes.
Un grand détour donc, comme dans la vie, pour
revenir au point de départ. Ella Maillart a fréquenté l’ashram de Ramana
Maharshi*. À tous ceux qui l’approchaient, le Sage conseillait la recherche
inlassable de leur propre vérité, en ramenant tous les problèmes et toutes les
alternatives à la question fondamentale : «Qui suis-je?».
* Il ne s'agit pas du gourou des Beatles, Maharishi.
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