25 juillet 2017

La toute-puissante économie

C’est quasiment pathétique d’entendre le maire de Montréal se dépatouiller avec «sa» course de formule E. Ses arguments ne tiennent pas la route. À vrai dire, c’est insupportable, et insultant pour les gens qui voient au-delà de la mascarade.

«Le vulgaire imbécile est toujours avide de grands événements, quels qu’ils puissent être, sans prévoir s’ils lui seront utiles ou préjudiciables : il n’est ému que par sa propre curiosité.» ~ L’Arioste, 1474-1533 (Roland furieux)

Montréal avait déjà l’air d’une ville en état de siège ou post-séisme. Impossible de circuler dans le labyrinthe des chantiers, interdictions et détours.  

Photo : Radio-Canada/Simon-Marc Charron. Les travaux en vue de la course de la formule E perturbent la circulation au centre-ville.

Carte : Montréal Métro. Un millier de personnes enclavées; avec le débordement périphérique, ce sera assez infernal. Comme pour toute course qui se respecte, les Barbies hôtesses seront au rendez-vous, tel que promis par les organisateurs...

L’événement soulève donc la grogne pour d’excellents motifs. À lire :
La Formule E : nous n’avions pas besoin de ça
Les quatre raisons pour lesquelles Montréal aurait dû passer son tour
Par Philippe Mercure, éditorialiste (La Presse)   

Le monde se portera beaucoup mieux quand les élus cesseront de baiser les pieds des lobbyistes (c'est une véritable pandémie).

«Quand l’argent précède, toutes les portes s’ouvrent.»
~ William Shakespeare (Les Joyeuses commères de Windsor

M. Coderre voulait "remettre les pendules à l'heure" aujourd'hui. 
Voici une manière différente de voir la chose...

Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles
Par Bernard Maris
Le Seuil, 2003 


L’économie est un anesthésique du même tabac que le latin à l’église, et sans doute l’économie a t’elle beaucoup gagné là où la religion a beaucoup perdu. Il y a un côté transique dans la prière commune, que l’on retrouve dans l’incantation économique à la Confiance chantée en canon dans toutes les réunions, du G7 ou d’ailleurs.

N’importe quel esprit un peu ouvert comprenait que le communisme était une «perversion de la rédemption des humbles», une hérésie religieuse, mais une religion tout de même. Point n’est besoin d’être grand clerc pour voir dans l’économie orthodoxe, la loi de l’offre et de la demande et le libéralisme idéalisé une utopie, comme le communisme, et comme lui une religion avec ses fidèles, ses papes, ses inquisiteurs, ses sectes, son rituel, son latin (les maths), ses défroqués, et peut être un jour, rêvons, son Pascal et son Chateaubriand.

La «main invisible», ruse hégélienne de la raison, raison dominant la raison des hommes, est un avatar du Saint -Esprit. Idem le marché (son autre nom) omnipotent, omniprésent et ubiquitaire, être de raison supérieure, substance immanente et principe des êtres – «vous n’êtes qu’un raisonnement coût-bénéfices» cause transcendante créant le monde, et qui a tous les attributs de la divinité, y compris le destin : personne ne peut échapper au marché. Il existait avant vous et existera après. Dès lors il est impossible de penser l’après-économie. Voilà pourquoi la fin de l’histoire, la new economics (la fin des cycles, vieille resucée libéralisée des croyances en la croissance optimale en vigueur dans l’après-guerre) sont indissociables du libéralisme. La fin de l’histoire arrange bigrement ceux qui ont le pouvoir. La fin de l’histoire, c’est bien si je suis en haut. L’éternité du marché, qui justifie la domination de quelques dizaines de milliardaires dont la fortune équivaut au PIB cumulé des cinquante pays les plus pauvres, ressortit au principe du droit divin. Le droit du marché est le droit du plus fort. Les dictateurs ont toujours cherché à justifier démocratiquement, par 98% de oui, leur place.

Si l’économie est une religion, ce que pensent, finalement, beaucoup d’économistes ayant pignon sur colloque ou place dans les conseils du Prince («L’économie politique est la religion de notre temps», Serge Latouche : «L’économie politique est la religion du capitalisme», Michel Aglietta et André Orléan), indiscutablement le marché, sa divinité, a une certaine allure : la Raison, le Progrès, le Bonheur, la Démocratie et autres candidats fort acceptables à l’essence éternelle sont tous contenus en lui.

Les problèmes des religions c’est qu’elles engendrent les fanatismes, les sectes (on disait, à juste titre, dans les salons de Louis XV, la «secte des physiocrates», personnages qui se signalaient par leur arrogance et la complexité de leurs discours), les hétérodoxies, les papes, les gourous, l’École de Chicago est une secte, bornée à bouffer du foin, mais dangereuse et convaincante comme toutes les sectes. Les libertariens sont une secte, à peine plus sectaire que la précédente. Les chartistes sont une secte. La société du Mont-Pèlerin est une secte avec ses rites et ses cravates ornées du visage d’un douanier. Les micro-économistes sont une secte. Les théoriciens de l’économie industrielle sont une secte, dont l’obscurantisme et le fanatisme donnent froid dans le dos. Il n’est pas difficile de repérer le taliban sous l’expert, et le fou de Dieu sous le fou de l’incitation.

Il y a aussi une manière rigoriste ou désinvolte de pratiquer, en trompant son monde et allant à la confesse. Il y a les prêcheurs et les convertis. Les libéraux les plus fanatiques viennent souvent du marxisme, c’est-à-dire ont changé simplement de religion. On voit des abbés de cour, des Trissotin, des pères Duval ou des abbés Dubois, des Talleyrand qui clopinent et des chanteurs en grégorien, des beautés et bontés du marché. Mais le problème de la religion est qu’il est extrêmement difficile, lorsqu’on en a été nourri, de penser hors d’elle. [...]

Au fait, les économistes… De quoi parlez-vous? Savez-vous que lorsqu’on a compris que la «science» économique était une religion, l’économie devient passionnante? On peut l’aborder sous l’angle de la mathématique pure rien n’est plus respectable que le plaisir pur du chercheur, détaché des contingences mercantiles, qui produit ses théorèmes de mathématique, mais qu’il ne les baptise lois économiques, par pitié ! Sous l’angle de l’histoire des faits, de la pensée, de la philosophie économique, de la comptabilité, de la statistique descriptive... De la rhétorique comme il est amusant, alors, d’observer les travaux de couture des uns et des autres pour emmailloter plus ou moins habilement dans de la «science» leur idéologie!

La Révolution avait coupé le cordon religieux. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre, avec la coupure du cordon de la religion économique.

Alors, les économistes… De quoi parlez-vous? Du Saint-Esprit ou de la valeur?

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(1) Bernard Maris (23/9/46 – 7/1/2015), l’économiste en chef de Charlie Hebdo, à l’humour digne de cette joyeuse maison, prof d’économie rêvé, fait partie des tristes victimes des attentats du 7 janvier. Ses compétences, ses responsabilités dans la vie civile (membre du conseil scientifique d’Attac et membre du conseil général de la Banque de France), n’avaient d’égales que la singularité absolue de ses positions dans le monde uniforme et puissant des économistes : partisan de l’instauration d’un revenu d’existence universel, il militait pour la sortie de l’euro et l’effacement d’une partie de la dette privée et publique. Journaliste, professeur, esprit curieux et ouvert, Bernard Maris était une personnalité à part, un style en soi, brillant et mordant.

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«Ne parle pas d’argent; je n’adore pas un dieu qui se donne si vite au derniers des drôles.» ~ Euripide

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