La querelle entre Sartre et Camus
Aujourd’hui l’histoire, ICI Radio-Canada Première, 17 mars 2017
Être Sartre ou Camus? Telle deviendra la question des intellectuels français de gauche à l’époque.
L'amitié entre les auteurs Jean-Paul Sartre et Albert Camus a tourné au vinaigre en raison de leurs différentes conceptions de la révolte. Le point de rupture est survenu à la suite de la publication de L'homme révolté par Camus, en 1951. Pour lui, cette dispute a été une blessure profonde qu'il a portée jusqu'à sa mort.
La naissance d’une amitié
Sartre et Camus se connaissent d’abord par leurs œuvres avant de se rencontrer à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1943, Camus s’installe dans la capitale française au moment où il connaît un grand succès avec son roman L’étranger. Il se présente à l’auteur de La nausée lors de la première de la pièce de théâtre Les mouches. Dès le départ, une amitié se développe entre les deux hommes, qui passent de nombreuses soirées dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés.
Pour Albert Camus, dont la notoriété est toute récente, c’est une forme de reconnaissance que d’être accepté dans le cercle d’amis du couple formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Celle-ci éprouve à la fois méfiance et enthousiasme envers Camus. D’un point de vue idéologique, elle sent chez cet auteur une liberté par rapport à l’orthodoxie existentialiste de Jean-Paul Sartre.
Première divergence
Une première mésentente entre Sartre et Camus apparaît vers 1947 quant à l’attitude à adopter envers le régime bolchevik. Camus croit qu’on doit condamner les goulags comme ont été dénoncés les camps nazis. De son côté, Sartre prend plutôt le parti de l’Union soviétique, afin de ne pas nuire à la gauche française.
L’opposition philosophique à l’origine de la rupture
Une critique portant sur l’idéalisme de L’homme révolté, écrite par Francis Jeanson dans Les temps modernes, la revue de Jean-Paul Sartre, pousse Albert Camus à écrire à son ami. Dans une lettre de 20 pages, il dit, entre autres, qu’il est las de se faire donner des leçons d’efficacité par des censeurs. L’auteur n’a pas envie de se faire dire quoi écrire par des intellectuels qui défendent certaines idées révolutionnaires tout en vivant dans le velours. Selon lui, lorsqu’il y a des injustices, il faut se révolter, même si on le fait dans l’incertitude.
Sartre donne une réponse assassine à la lettre de Camus, où il critique le fait que les objections au sujet de L’homme révolté sont interprétées comme un sacrilège. En plus de mettre en doute ses compétences de philosophe, Sartre lui dit qu’il refuse de faire la distinction entre les oppresseurs et les opprimés, qu’il brime la possibilité de penser la révolution qui permettra la libération des peuples.
Tout l’échange épistolaire entre les deux grandes figures est publié dans Les temps modernes. À court terme, Sartre gagne cette bataille d’idées. Plusieurs Français soupçonnent Camus d’être naïf et de s’être rapproché de la droite. Avec le recul, on réalise toutefois le dogmatisme et l’aveuglement de Sartre et de ses disciples par rapport aux horreurs du stalinisme.
AUDIOFIL : Le professeur de philosophie Jocelyn Maclure raconte les hauts et les bas de la relation entre les deux écrivains :
http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/18643/histo-sartre-camus-ecrivain-dispute-jocelyn-maclure
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Pas trouvé sur le web la lettre de 20 pages que Camus a adressée à Sartre.
Mais voici celle de Sartre à Camus – peut-être sa réponse.
Août 1952
Mon cher Camus,
Notre amitié n’était pas facile mais je la regretterai. Si vous la rompez aujourd’hui, c’est sans doute qu’elle devait se rompre. Beaucoup de choses nous rapprochaient, peu nous séparaient. Mais ce peu était encore trop : l’amitié, elle aussi, tend à devenir totalitaire; il faut l’accord en tout ou la brouille, et les sans-parti eux-mêmes se comportent en militants de partis imaginaires. […]
Un mélange de suffisance sombre et de vulnérabilité a toujours découragé de vous dire des vérités entières. Mais dites-moi, Camus, par quel mystère ne peut-on discuter vos œuvres sans ôter des raisons de vivre à l’humanité? Mon Dieu, Camus, comme vous êtes sérieux, et, pour employer un de vos mots, comme vous êtes frivole! Et si vous vous étiez trompé? Et si votre livre témoignait simplement de votre incompétence philosophique? S’il était fait de connaissances ramassées à la hâte de seconde main? Avez-vous si peur de la contestation? Je n’ose vous conseiller de vous reporter à la lecture de L’Être et le Néant, la lecture vous en paraîtrait inutilement ardue. Vous détestez les difficultés de pensée. […]
Il se peut que vous ayez été pauvre, mais vous ne l’êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi. […] Votre morale s’est d’abord changée en moralisme, aujourd’hui elle n’est plus que littérature, demain elle sera peut-être immoralité.
Source : http://www.deslettres.fr/
Commentaire d’un internaute; Le Devoir, 27 novembre 2014
Leur point commun... Je crois que ces deux-là s'entendaient au moins sur un point : l'amour des femmes! Pour le reste, Sartre a été assez vite oublié, mais Camus demeure toujours actuel. Ce que le temps fait : il élague! ~ Michel Lebel
Les pendules à l’heure : Michel Onfray à propos d'Albert Camus
https://www.youtube.com/watch?v=SeA2RQFPSKs
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(1) Le paradoxe du syndrome de Stockholm – Le syndrome de Stockholm décrit une situation, fondamentalement paradoxale, où les agressés vont développer des sentiments de sympathie, d'affection, voire d'amour, de fraternité, de grande compréhension vis-à-vis de leurs agresseurs. Il y a souvent adhésion à la cause des agresseurs.
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