19 juillet 2016

Droit de satire

Le problème de la «liberté de parole», notamment dans la presse satirique, est loin d’être résolu, et il y a des humoristes qui ont payé de leur vie...

Voici un exemple, de moindre gravité bien sûr, mais ça démontre le pouvoir des propriétaires de grands médias : 

Média QMI, entreprise propriétaire du Journal de Montréal, a intenté dans les dernières semaines une poursuite contre son pendant satirique du Journal de Mourréal, pointant le risque de confusion entre les deux médias pour «le consommateur ordinaire plutôt pressé». 
     Le gestionnaire du site Internet satirique Le Journal de Mourréal a annoncé sur sa page Facebook, dimanche, qu'il cessera toutes ses activités, incapable financièrement de faire face à la poursuite du Journal de Montréal. (Source : La Presse)

Quebecor croit que les lecteurs ordinaires sont incapables de discernement... Si le nom et le visuel de la «copie» portaient effectivement à équivoque, ses titres et son contenu étaient suffisamment hétéroclites pour éliminer toute méprise. Ou peut-être pas finalement...!

Il y a plus de 20 ans, Bill Hicks écrivait cette lettre à un clergyman britannique scandalisé par ses propos qu’il jugeait antichrétiens. Hicks aurait pu écrire ce mot hier.

La liberté de parole
Bill Hicks à un prêtre – 8 juin 1993

Comédien de stand-up au verbe haut, l’Américain Bill Hicks n’hésite pas à exprimer des opinions tranchées sur les sujets les plus clivants, et sa bien trop brève carrière est marquée par de nombreuses polémiques. En mai 1993, moins d’un an avant que Hicks ne décède d’un cancer du pancréas à l’âge de trente-deux ans, son spectacle «Révélations» est diffusé en direct à la télévision britannique. Peu de temps après, un prêtre profondément choqué par le contenu «blasphématoire» du spectacle écrit à Channel 4 pour s’en plaindre. Hicks, n’étant pas homme à fuir le débat, décide de répondre directement à son censeur.



     8 juin 1993 

     Cher Monsieur, 

     Après avoir lu la lettre dans laquelle vous exprimez votre inquiétude au sujet de mon émission spéciale, «Révélations», je me suis senti dans l’obligation de vous répondre moi-même, dans l’espoir de clarifier ma position sur les points que vous soulevez, et peut-être de vous instruire quant à ce que je suis vraiment. 
     Là d’où je viens – l’Amérique – il existe une curieuse notion intitulée «liberté de parole», que de nombreuses personnes considèrent comme le parangon de la réussite pour le développement intellectuel de l’homme. Je suis moi-même un fervent défenseur du «droit à la liberté de parole», ce que seraient d’ailleurs, j’en suis sûr, la plupart des gens s’ils comprenaient parfaitement le concept. La «liberté de parole» signifie que vous soutenez le droit des individus à exprimer précisément les idées avec lesquelles vous êtes en désaccord. (Sinon, vous ne croyez pas en la «liberté de parole», mais plutôt seulement à vos idées dès lors qu’elles sont convenablement exprimées.) Devant la multiplicité des croyances existant de par le monde, et dans la mesure où il est virtuellement impossible que nous soyons tous d’accord avec une seule d’entre elles, vous pourriez commencer à envisager la véritable importance d’une idée telle que la «liberté de parole». Cette idée qui, au fond, se résume à dire : «Même si je ne souscris pas à ce que vous dites ou si cela ne m’intéresse pas, je soutiens votre droit à l’exprimer, car là se trouve la vraie liberté.» 
     Vous dites avoir perçu mes propos comme «offensants» et «blasphématoires». Que vous ayez eu le sentiment que vos croyances aient été dénigrées me paraît intéressant, car je suis prêt à parier que vous n’avez jamais reçu une seule lettre de plainte au sujet de vos croyances, ou remettant en cause leur légitimité. (Si vous en avez reçu une, je vous assure qu’elle n’était pas de moi.) De surcroît, je suppose que l’examen attentif, quoique bref, d’une semaine de lambda de programmes de télévision ferait ressortir de nombreuses autres émissions traitant de religion, en sus des miennes – appelées des «spéciales» en vertu de leur grande rareté à l’antenne. 
     Je ne fais rien d’autre, dans «Révélations», que de donner mon point de vue avec mes mots, en partant de mes expériences – suivant la même méthode que celle des hommes de religion lorsqu’ils conçoivent leurs émissions. Alors que bon nombre des programmes religieux que j’ai pu regarder au cours des années n’étaient ni à mon goût, ni conformes à mes propres croyances, il ne m’est jamais venu à l’esprit d’exercer d’autre censure que de changer de chaîne ou, mieux encore : d’éteindre le poste. 
     Venons-en à la partie de votre lettre qui me semble la plus gênante. 
     Afin de soutenir votre sentiment d’outrage, vous posez un scénario hypothétique quant à l’éventuelle «colère» des musulmans devant un sujet qu’ils pourraient, eux aussi, juger offensant. Je vous pose la question suivante : fermez-vous implicitement les yeux sur le terrorisme violent d’une poignée de brutes à qui l’idée de «liberté de parole» et la tolérance sont peut-être encore plus étrangères que le message du Christ lui-même? Si vous sous-entendez d’une manière ou d’une autre que leur intolérance à des croyances contraires est justifiable, admirable, voire préférable à celle de l’acceptation et du pardon, alors je me demande ce que sont réellement vos convictions. 
     Si vous aviez regardé entièrement mon émission, vous auriez remarqué, dans le résumé de mes croyances, ma fervente prière aux gouvernements du monde pour qu’ils consacrent moins d’argent aux machineries guerrières, et plus à nourrir, habiller et éduquer les pauvres et les nécessiteux de la planète... Un sentiment finalement assez peu antichrétien en la matière! 
     En définitive, le message de mon intervention est un appel à la compréhension plutôt qu’à l’ignorance, à la paix plutôt qu’à la guerre, au pardon plutôt qu’à la condamnation, et à l’amour plutôt qu’à la peur. Il est certes compréhensible que ce message ait échappé à vos oreilles (étant donné ma présentation), mais je vous assure que les milliers de personnes qui l’ont entendu lors de ma tournée dans tout le Royaume-Uni l’ont saisi. 
     J’espère avoir contribué à répondre à certaines de vos questions. Et j’espère également que vous prendrez ceci comme une invitation à maintenir les lignes de communication ouvertes. N’hésitez pas, s’il vous plaît, à me contacter personnellement si vous souhaitez me faire part de commentaires, de pensées, de questions. Sinon, je vous invite à savourer mes deux prochaines émissions spéciales intitulées «Mohammed le crétin» et «Bouddha, espèce de gros cochon» (BLAGUE). 

     Sincèrement, 

     Bill Hicks

Source : Au bonheur des lettres, recueil de courriers historiques, inattendus et farfelus rassemblés par Shaun Usher (Éditions du sous-sol, 2014)

(Traduction de Letters of note, publié par Canongate Books en 2013)  

Site du collectionneur : http://www.lettersofnote.com/

Citations de Bill Hicks :

“On December 16th, 1961 the world turned upside down and inside out, and I was born screaming at America. It was the tail end of the American Dream. Just before we lost our innocence irrevocably when the TV eye brought the horror of our lives into our homes for all to see. I was told when I grew up I could be anything I wanted a fireman, a policeman, a doctor, even president it seemed, and for the first time in the history of mankind something new called an astronaut. 
     But like many kids growing up on a steady diet of westerns I always wanted to be the cowboy hero that lone voice in the wilderness fighting corruption and evil wherever I found it, and standing for freedom, truth, and justice. And in my heart of hearts I still track the remnants of that dream wherever I go in my never ending ride into the setting sun.” (Revelations)

“Go back to bed, America. Your government has figured out how it all transpired. Go back to bed, America. Your government is in control again. Here. Here's American Gladiators. Watch this, shut up. Go back to bed, America. Here is American Gladiators. Here is 56 channels of it! Watch these pituitary retards bang their fucking skulls together and congratulate you on living in the land of freedom. Here you go, America! You are free to do as we tell you! You are free to do what we tell you!” (Revelations)

This needs to be said: there never was a war.
“How can you say that, Bill?” 
     Well, a war is when two armies are fighting. So you can see, right there, there never was a war...
People say to me, “Hey, Bill, the war made us feel better about ourselves.” 
     Really? What kind of people are these with such low self-esteem that they need a war to feel better about themselves? May I suggest, instead of a war to feel better about yourself, perhaps … sit-ups? Maybe a fruit cup? Eight glasses of water a day?

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Matière à satire (irrésistible)  

Le clou pour planter Donald Trump vient de nulle autre que sa femme.
Lui qui ne cesse de mépriser les Obama. Des journalistes outreprudents disaient «il semble que Melania ait plagié» Michèle Obama. Voici le mot à mot :
https://www.youtube.com/watch?v=JZMzCXHRx-s

So here we have a perfect couple with GMO popcorn brains.
“Sorry losers and haters, my IQ is one of the highest – and you all know it! Please don’t feel so stupid or insecure; it’s not your fault.” (Donald Trump)
Don't worry, we won't.

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20/07/2016 -- dans la même veine
La guerre au Pokémon Go
 
L'Arabie saoudite ravive une fatwa contre les Pokémons
L'organe religieux le plus important d'Arabie saoudite a de nouveau publié une fatwa datant de 2001 interdisant les jeux Pokémon, sans préciser si la décision était liée au Pokémon Go, jeu de réalité augmentée qui fait un tabac dans le monde depuis début juillet.
     Selon le mufti du royaume, la conception des personnages Pokemon est fondée sur la théorie de l'évolution, rejetée par l'islam.
     La fatwa recommandant l'interdiction des jeux Pokemon avait été prononcée en 2001 par le mufti du royaume qui l'avait notamment assimilé à un jeu d'argent, prohibé par l'islam.


http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201607/20/01-5002870-larabie-saoudite-ravive-une-fatwa-contre-les-pokemon.php

Commentaire : Mais pourquoi les Saoudiens ne créent-ils pas un Pokémon Go où tous les Pokémons seraient d’affreux mécréants à exterminer – une manière de passer de la réalité au virtuel, ce serait déjà un pas vers la paix universelle. Et il y aurait de l’argent à faire avec ça...

La guerre à la satire, affaire Mike Ward  

L'humoriste Mike Ward a été condamné mercredi par le Tribunal des droits de la personne à verser 35 000 $ à Jérémy Gabriel ainsi que 7000 $ à la mère de ce dernier. L'humoriste à l'humour irrévérencieux a porté atteinte au droit à l'égalité du jeune homme en tenant des propos discriminatoires pendant son spectacle entre 2010 et 2013, a tranché le tribunal.
(La Presse)
 
21/07/2016 : Le juge Scott Hughes n'a pas retenu la défense de Mike Ward, basée sur la liberté d'expression et sur le caractère «artistique et humoristique» de ses blagues. Il conclut dans son jugement que les plaisanteries de l'humoriste visant l'«apparence physique caractérisée par [le] handicap» de Jérémy Gabriel sont «discriminatoires» et ont porté atteinte au respect de sa dignité et de sa réputation. (...) Malgré sa large portée, la liberté d'expression n'est pas un «droit absolu», rappelle le juge Hughes, en citant la Cour suprême. Ainsi, le contexte «humoristique» et «artistique» des propos tenus par Mike Ward ne lui permettait pas de tenir ces propos discriminatoires contre Jérémy Gabriel, d'autant plus que ces blagues ne «soulèvent pas une question d'intérêt public». (La Presse)
Le juge a appuyé son jugement sur l'article de la Charte des droits de l'homme concernant «le respect de la dignité d'une personne». Un précédent. Je n'ose imaginer le nombre de poursuites dans le futur... Les avocats ne chômeront pas.
 

Commentaire : Ward avait offert aux auteurs du Journal de Mourréal les recettes de son spectacle à l’automne pour les aider à défrayer les coûts d’avocats, au nom de la «liberté de parole». Hum, pourra-t-il les aider? (Je n’aime pas le style d'humour méchant, grossier et cru de Ward; donc je ne vais pas à ses spectacles, c’est simple.) 

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