Comme
tout le monde, j’ai eu tout un choc en voyant Notre-Dame de Paris en flammes, sidérée
par cette photo aérienne montrant l’ampleur du sinistre.
On
s’attend à retrouver les choses telles quelles, d’un jour à l’autre. Et soudain,
le côté éphémère des choses nous rattrape; même les roches s’effritent pour finalement
devenir du sable.
Image :
Bado (Le Soleil, Québec, 16 avril 2019)
En
2013, on a célébré le 850e anniversaire de sa construction. Elle survécu à bien
des drames politiques, à des guerres civiles et à des ennemis extérieurs, elle
a été témoin de grandioses célébrations religieuses et monarchiques. Si
seulement elle pouvait parler... Je dis ça, mais Victor Hugo l’a fait parler.
J’ai pensé à tous les gens, célèbres et inconnus,
qui avaient foulé ses dalles noir et blanc, plongé les mains dans ses
bénitiers, prié, médité ou rêvassé, allumé des cierges en faisant des vœux... Elle
représente une synthèse de petites anecdotes et de grands événements.
Et bien sûr j’ai pensé aux bâtisseurs,
artisans, sculpteurs et peintres qui au fil des siècles en ont fait une œuvre
d’art incommensurable. Je me suis rappelé la trilogie historique Kingsbridge de
Ken Follet – Les Piliers de la Terre
(1989), Un monde sans fin (2007) et Une colonne de feu (2017). Le premier tome
nous plongeait au cœur de la construction d’une cathédrale gothique avec Tom le
bâtisseur. L’histoire se déroule en Angleterre, mais l’on peut transposer.
Et puis, j’ai eu des frissons en songeant aux
impressionnants concerts d’orgue que j’y ai entendus. On a annoncé que le grand
orgue n’avait pas été touché par les flammes mais...
Imaginons ce que comporte un travail de
restauration : depuis 2014, après de multiples ajouts et restaurations, le
grand orgue compte 115 jeux réels et
on dénombre près de huit mille tuyaux.
La transmission est devenue numérique pour les cinq claviers de 56 notes chacun ainsi que le tirage des 115 jeux
réels.
De l’espoir pour l’orgue de Notre-Dame
Christophe
Huss
Le Devoir, 16 avril 2019
Le grand
orgue de Notre-Dame a pu être sauvé des flammes et de la fusion par les
pompiers. Photo: Stéphane de Sakutin / Agence France-Presse
Contrairement
aux informations contradictoires ayant circulé lundi soir selon lesquelles ses
tuyaux auraient fondu, le grand orgue de Notre-Dame de Paris aura tenu bon
devant les flammes et la fusion. Laurent Prades, le régisseur général de
Notre-Dame de Paris, chargé de l’inventaire des objets d’art de la cathédrale,
a affirmé mardi à la radio Europe 1 que le plus grand orgue de France était
«inutilisable, mais préservé».
Encore mardi matin, le ministre de la
Culture, Franck Riester, affirmait pourtant au micro de France Inter que
l’orgue avait «l’air d’avoir été assez atteint». Or, il appert qu’aucun de ses
8000 tuyaux n’a fondu et, information importante et étonnante, «il n’a pas pris
une seule goutte d’eau», selon M. Prades.
Pour Michael Adda, directeur de La Dolce
Volta, l’éditeur du plus récent disque de l’orgue, Bach to the Future, par
l’organiste Olivier Latry, un des trois titulaires l’orgue, la prudence reste
de mise : «Pour l’heure, il s’agit d’informations visuelles et de structure.
L’orgue est couvert de suie et de poussière, il est injouable parce que
l’alimentation est évidemment hors d’usage et aura besoin d’un accord général,
mais l’important est que les tuyaux, dont certains du XVe siècle, sont intacts».
L’orgue de choeur qui se trouvait sous le
brasier est aussi debout. Par contre, il a été abondamment arrosé afin de préserver
les stalles du XVIIIe siècle qui le jouxtaient.
Clavier bien tempéré
Il se
pourrait cependant qu’un excès d’optimisme contrebalance le catastrophisme
ambiant de la veille. C’est une prudence à laquelle invitait au micro de
l’Agence France Presse l’un des organistes de Notre-Dame, Philippe Lefèbvre, en
poste depuis 35 ans. Il considère l’orgue comme «sauvé, mais en danger». À ses
yeux, la structure de l’instrument, qui «date du début du XVe siècle», serait
recouverte «par des gravats, de la poussière et de l’eau».
Philippe Lefèbvre, qui n’est pas sur place,
mais à Montréal, un village du sud-ouest de la France où il réside, craint que
«dans les mois qui viennent, tout cela va sécher et risque de provoquer des
problèmes de structure», tout en espérant que «cela va rester stable».
Le Devoir a eu le rare privilège de pouvoir
s’entretenir mardi matin avec Olivier Latry, sorti du mutisme dans lequel il
s’était enfermé depuis la tragédie. Dans un bus l’amenant de Vienne à Dresde
avec les cuivres du Philharmonique de Vienne, l’organiste avoue n’avoir pas
vraiment dormi la nuit dernière. En apprenant le «miracle», au matin, il n’a
«pas sauté de joie», mais a été «un peu rassuré».
Olivier Latry confirme les dires de son
collègue : «Effectivement, l’orgue est sauvé, mais en danger. Il n’est pas
utilisable – il n’y a plus d’électricité de toute façon – mais il y a un double
problème : l’eau sur la terrasse au-dessus de l’orgue et aussi un pignon qui
menace de s’effondrer. Trois possibilités : ou ce pignon ne tombe pas; ou il
tombe côté parvis; ou il tombe côté cathédrale, perce la voûte et chute du côté
de l’orgue. La cathédrale va être fragilisée pendant des mois.»
Advenant une stabilisation favorable des
structures, le processus de restauration ne peut être planifié à ce stade. «On
ne peut pas monter à la tribune, car c’est beaucoup trop dangereux, il faut
sonder et on ne peut donc pas connaître l’étendue réelle des dégâts. Il est
possible qu’il faille démonter l’ensemble de l’instrument, comme il se peut
qu’on ait à dépoussiérer les tuyaux.»
Un brin d’histoire
Site
de Notre-Dame de Paris
Le grand orgue
Il
y eut sans doute des orgues à Notre-Dame de Paris dès sa construction au XIIe
siècle mais Léonin, compositeur d’organa, fondateur de l’École Notre-Dame et
qualifié d’optimus organista, puis Pérotin le Grand (1160-1220), ne connurent
sans doute que de petits instruments dans le chœur. Pour autant un «grand orgue»
est sans doute construit à Notre-Dame au cours du XIIIe siècle. En 1330 les
comptes de la cathédrale mentionnent le versement de cachets à un organiste.
Quelques années plus tard apparaît le nom de
Jean de Bruges, organiste et peut-être aussi facteur d’orgues. L’instrument est
alors suspendu en «nid d’hirondelle» sous une fenêtre haute de la nef : il
s’agit d’un orgue encore modeste de 6 pieds en montre comprenant un seul
clavier avec 4 à 6 tuyaux par note. En 1401 on décide de construire un nouvel
orgue sur la tribune de pierre au-dessus du grand portail ouest. Depuis cette
date, 50 organistes se sont succédé aux claviers du grand orgue suspendu sous
la rosace du couchant.
L’un des premiers, en 1450, fut le célèbre
auteur du Vrai mystère de la Passion, Arnoul Gréban. De siècle en siècle, le
grand orgue s’agrandit et fait l’objet de multiples restaurations et
reconstructions jusqu’à prendre, au XVIIIe siècle, les proportions qu’il a
encore actuellement. À chaque époque l’orgue de Notre-Dame fait l’objet des
soins les plus attentifs et se trouve doté de jeux nouveaux et d’améliorations
techniques ; les facteurs d’orgues s’attachent toutefois à conserver le
meilleur des strates antérieures et c’est pourquoi il existe encore aujourd’hui
quelques tuyaux de l’époque médiévale.
Le grand orgue échappe à la tourmente de la
révolution, grâce sans doute à l’interprétation de musiques patriotiques telles
que celles composées en 1792 par l’organiste Balbastre, auteur de variations
sur La Marseillaise et l’air ça ira. En 1868, après les travaux du facteur d’orgues
Aristide Cavaillé-Coll, initiés par l’architecte Viollet-le-Duc, il trouve sa
plénitude symphonique avec 86 jeux, sur 5 claviers et pédalier.
Louis Vierne, organiste de 1900 à 1937, le
modifie à deux reprises et Pierre Cochereau, organiste de 1955 à 1984,
l’augmente et le modernise de 1963 à 1975. Puis en 1992, il fait l’objet d’une
restauration complète qui permet de restituer les sonorités symphoniques de
l’orgue de Cavaillé-Coll tout en préservant les strates antérieures (XVIIe et
XVIIIe siècles) et en associant les apports indéniables du monde contemporain.
Témoin authentique de plusieurs siècles de
la musique et de la facture d’orgues françaises, le grand orgue de Notre-Dame
de Paris est l’un des rares instruments français qui permettent de servir avec
sincérité et émotion de nombreux répertoires et de susciter la création à
travers la composition musicale et l’improvisation.
On peut l’entendre au cours des offices
dominicaux sous les doigts de l’un des trois organistes titulaires (Vincent
DUBOIS, Olivier LATRY, Philippe LEFEBVRE) et le samedi soir lors d’une audition
donnée par des organistes invités, venus du monde entier pour jouer ce
prestigieux instrument. Ces auditions ont accueilli des milliers d’organistes
des cinq continents. En outre des récitals d’orgue sont organisés en soirée
dans le cadre de la saison de concerts de l’Association Musique Sacrée à
Notre-Dame de Paris.
L’orgue de chœur
L’orgue
de chœur est un instrument de 30 jeux répartis sur deux claviers et un
pédalier. Son histoire commence au début du XIXe siècle, aux lendemains de la
Révolution, moment où la «mode» des orgues de chœur se répand dans les églises
pour palier au manque de musiciens du culte. Instrument du cœur de la liturgie
de la cathédrale, il fait l’objet depuis ses origines de grand soin à l’image
du talent des organistes qui s’y sont succédé.
Prenant une part importante dans le
dispositif musical de Notre-Dame de Paris, l’orgue de chœur remplit plusieurs
fonctions rendues possibles grâce à la richesse et à la diversité de sa palette
sonore. Pour les offices quotidiens de semaine au cours desquels il intervient
seul, il se fait tantôt soliste, tantôt accompagnateur, soutenant le chantre ou
l’assemblée. Le week-end ou lors de cérémonies exceptionnelles, il alterne avec
le grand orgue pour le dialogue entre le chant de la foule et le chant venant du
chœur. On peut dire qu’il est aussi l’instrument des chrétiens de l’île de la
Cité, exprimant leurs joies et leurs peines aux différentes célébrations.
Enfin, il se fait le partenaire privilégié et fidèle de la maîtrise de la
cathédrale, que ce soit pour les nombreux concerts et enregistrements où sa
présence est nécessaire comme pour les offices où le chœur et l’orgue unissent
leurs voix pour chanter la Gloire de Dieu.
D’avril 1989 à décembre 1992, lors de la
restauration du grand orgue, ce fut le seul instrument de Notre-Dame; bien des
organistes de passage à Paris avouèrent alors au titulaire, Yves CASTAGNET,
combien ils auraient souhaité disposer d’un tel instrument… en tribune!
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