14 mars 2019

En lambeaux, mais vivant pour raconter

«Il regarde ce malaise [mal de vivre, spleen] en pleine face, contemple le gouffre et il en fait de la poésie.» ~ Thomas Hellman (à propos de Baudelaire)
Plus on est de fous, plus on lit!, le 13 mars 2019    

Baudelaire a double corrélation avec mon billet sur le livre de Philippe Lançon, «Le lambeau». D’abord ce poème qui en quelque sorte colle à l’ambiance psycho-émotionnelle de l’ouvrage. Ensuite, le bon vieux débat «morale contre liberté d’expression» aussitôt ravivé après l’attentat à Charlie Hebdo. Pour mémoire : le recueil Les Fleurs du Mal fit l’objet d’une poursuite pour «offense à la morale religieuse» et «outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs» – de l’époque. Est-ce si différent aujourd’hui (1).   


LXXVI – SPLEEN
Charles Baudelaire

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
– Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher
Hument le vieux parfum d’un flacon débouché.

Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
– Désormais tu n’es plus, ô matière vivante,
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux,
– Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.

SPLEEN ET IDÉAL
Les Fleurs du mal (1857), Poulet-Malassis et de Broise, 1857 (p. 140-141).

Si «Le lambeau» était une fiction, on le classerait dans la catégorie «roman noir». Influencée par la critique élogieuse, je l’ai lu, un peu à reculons – je suis allergique aux descriptions de scènes de crime sanglant  et de souffrances dues à l’acharnement médical/chirurgical.
   Des fois j’ai l’impression que les chirurgiens et les dentistes sont d’anciens bourreaux réincarnés dont la profession leur permet maintenant de faire souffrir et torturer, mais sous le couvert du serment d’Hippocrate et de sa bienveillante mission. Quand nous souffrons, nous sommes prêts à tolérer n’importe quel supplice contre promesse de soulagement ou guérison, pas vrai?
   «Chloé m’avait dit : ‘De toute façon, si ça ne marche pas, on recommencera plus tard de l’autre côté.’ Je l’avais regardé, accablé. Deux anesthésies générales de plus, et de nouveaux mois d’incommodité permanente, sans même parler du goitre artificiel et des soins : jamais je n’en n’aurais le courage. Mais je n’ai rien dit. Les chirurgiens vivent dans un monde où tout ce qui est techniquement possible finit par être tenté. » Les dieux gardent leurs distances, les chirurgiens aussi. Les premiers ont créé l’homme de la glaise, dit-on. Il y a toujours un moment où vous redevenez pour les seconds un tas de viande et d’os à refaçonner.» (p. 230)
   L’état du rescapé était si lamentable que je me demandais pourquoi il n’avait pas réclamé l’aide à mourir. Au sujet du patient Ludo qui avait loupé son suicide, il écrit : «Un jour Linda [aide-soignante], voyant que je le regarde, me dit : ‘Ah! Monsieur Lançon. Si on veut se tuer, il ne faut surtout pas se tirer une balle dans la tête ou se défenestrer. Car si on se rate... Non, le mieux, c’est encore un bon gros gâteau au poison!’ Elle le dit d’un air onctueux, presque gourmand, comme une cuisinière prête à délivrer sa recette de crème pâtissière. Je me suis demandé de quelle couleur serait le gâteau et j’ai pensé : encore faut-il avoir les ingrédients. Le soir même, j’ai écrit à mon frère que je voulais m’inscrire à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Moi aussi, me dit-il. Nous ne l’avons pas fait.» (p. 181)
   Ha. On dit que l’instinct de mort et de survie se chamaillent constamment dans notre esprit. Qu’est-ce qui fait que l’un prend le dessus sur l’autre? L’espoir, le défi, la peur? Autant de réponses que d’individus.
   Parallèlement au trouble d’hyper vigilance, Philippe Lançon expérimente une intense distanciation par rapport à lui-même et son entourage, sans doute à cause du choc traumatique : «Je suis heureux de les voir : leur présence me rappelle que j’ai vécu. Mais les nerfs entre le souvenir et le cœur, entre le cœur et le corps, semblent coupés. Tout flotte et s’éteint, pour moi, dans une bienveillance partagée. [...] L’attentat fend l’arbre à l’intérieur duquel les gens vivent, aiment, se séparent, se retrouvent, se souviennent, vieillissent. Il crève le tourbillon de la vie. [...] Je me demande s’il faut avoir vécu ça pour obtenir du monde cette espèce de grâce, débarrassée de tout passif, de tout actif, simplement liée à quelques mouvements, quelques regards, à peine quelques mots.» (p. 302)
   Hum, l’extrême simplification des rapports humains éliminerait peut-être un tas de rituels superficiels et hypocrites. Mais, serait-il possible de vivre en société sans hypocrisie?

Cela dit, j’ai aimé ce récit bouleversant, d’autant plus que l’auteur ne s’apitoie jamais sur son sort et qu’il a même glissé humour et autodérision à travers ce parcours du combattant.

Interview accordée à l’émission Médium large (Radio-Canada Première, le 7 janvier 2019) :  

– C’est un livre violent et doux. Ce qu’il décrit est d’une grande brutalité, notamment la violence de l’attentat et tout le processus de rééducation qui est rempli d’inconfort et de douleurs extrêmes. Mais, comme il le fait sans hargne, sans esprit de revanche, sans colère, et avec un regard minutieux, patient et bienveillant sur lui-même, son livre dégage une impression de douceur. ~ Noémi Mercier
– C’est une leçon d’humanisme. Si vous trouvez que le monde est déshumanisé, allez lire ce livre. ~ Thomas Leblanc
Plus on est de fous, plus on lit, le 23 mai 2018 :

Excellent résumé/critique :

«Le lambeau»: l’homme qui a vu l’ours
Christian Desmeules | Le Devoir / Critique | le 5 mai 2018

Photo : Catherine Hélie Gallimard. De la veille de l’attentat de «Charlie Hebdo» jusqu’à ceux du Bataclan la même année, Philippe Lançon raconte son «petit Golgotha hospitalier», faisant le récit de sa vie avant, pendant et après l’événement.

Lorsque le silence fait surface après la tornade, le matin du 7 janvier 2015, Philippe Lançon reprend ses esprits couché dans un bain de sang, comme un enfant jouant à l’Indien mort. Ses collègues gisent décimés autour de lui, rappelés à l’ordre, effacés.
   Comment vivre et comment écrire après l’impensable, la perte et la douleur? Pourquoi avoir survécu et quel sens donner à cette seconde chance?
   La veille, le journaliste de 51 ans avait livré au quotidien Libération une critique de Soumission, le dernier roman de Michel Houellebecq – où il est question d’une France islamisée. Quelques minutes après son arrivée à la réunion hebdomadaire de la rédaction du magazine, deux hommes cagoulés font irruption et vengent leur prophète avec méthode en scandant «Allah Akbar!» au rythme des rafales de leurs fusils d’assaut. Douze morts et onze blessés.
   «Le silence fabriquait le temps et, parmi les blessés et les morts, les premières formes de la survie», écrit-il dans Le lambeau, le récit magnifique et bouleversant qu’il consacre aujourd’hui à cette expérience.
   Journaliste depuis 1994 à Libération, où il était devenu l’un des critiques culturels qui comptent, écrivain (Les îles, L’élan), Philippe Lançon était aussi depuis quelque temps chroniqueur à l’hebdomadaire satiriste Charlie Hebdo, «ce petit journal qui ne faisait de mal à personne».

Une lente reconstruction
Il aura tout le bas du visage arraché par une balle : menton, dents, lèvres. On imagine sans peine le travail minutieux de reconstruction, d’abord à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où on lui fera une greffe de péroné pour lui fabriquer une mâchoire, puis à l’hôpital des Invalides, où il va passer sept mois en rééducation.
   Au cours du long huis clos hospitalier qui va s’amorcer, d’un bout à l’autre du couloir des gueules cassées, de chambre en chambre vont le suivre quelques indéfectibles compagnons de route : la musique de Bach, des lettres de Kafka à Milena, le début de La montagne magique de Thomas Mann et la scène de la mort de la grand-mère imaginée par Proust dans le troisième tome d’À la recherche du temps perdu – passage lu et relu sans relâche, à la fois bouée, parachute et bouclier.
   «La musique de Bach, comme la morphine, me soulageait. Elle faisait plus que me soulager : elle liquidait toute tentation de plainte, tout sentiment d’injustice, toute étrangeté du corps», écrit-il. La douleur et le sentiment d’impuissance vont vite se mêler à l’angoisse d’être achevé par un commando terroriste, malgré les deux policiers qui lui étaient assignés en permanence.
   De la veille de l’attentat de Charlie Hebdo jusqu’à ceux du Bataclan le 13 novembre de la même année, Philippe Lançon nous raconte ainsi son «petit Golgotha hospitalier», faisant le récit de sa vie avant, pendant et après l’attentat. Les visites des parents et des amis, le ballet du personnel soignant, les passages nuageux de sa vie amoureuse, la culpabilité.
   Dix-sept opérations plus tard, le visage refait et «un os de jambe à la place du menton», il se reconstruit avec un livre ultrasensible, à l’écriture pudique et précise, souvent somptueuse, dont on voudrait citer des passages par dizaines.

Le temps retrouvé
On ne trouvera pas d’amalgames et encore moins de colère dans Le lambeau – si l’auteur en éprouve, rien ne transparaît le long des cinq cents pages de son récit. «Tout homme qui tue est résumé par son acte et par les morts qui restent étendus autour de moi. Mon expérience, sur ce point, déborde ma pensée.» Difficile de penser face à la terreur, à la mort, face à quelque chose comme le mal. «C’était un génie qui sortait d’une lampe noire, et peu importe la main qui l’avait frottée. L’abjection vivait sans limites et d’être sans limites.»
   Le lambeau est aussi le drame d’un homme transformé d’un coup de baguette magique en survivant, en symbole, en ce qu’il n’a jamais souhaité être. «J’ai toujours l’impression d’écrire à côté de moi-même, quand j’écris pour ceux qui n’ont pas connu la chambre et le silence qui l’enveloppait. La chambre est l’endroit où les mots crèvent, s’éteignent. Je n’en suis pas sorti. J’ai toujours l’impression que ce que j’écris est de trop.»
   Et il est facile, sans doute, de se sentir de trop lorsqu’on se retrouve dépossédé de son existence, parmi les fils et les tuyaux, couvert de «plaies organisées» et de pansements. Pourvu d’un visage nouveau auquel lui-même et ceux qui l’entourent devront désormais s’habituer.
   «J’étais non seulement leur ami et l’homme qui avait vu l’ours, mais celui qui en avait éprouvé le poids et la griffe – celui dont la simple présence leur rappelait, malgré lui, malgré eux, sans discours, combien nos vies sont incertaines, et combien il est audacieux ou inconscient de l’oublier.»
   Avec ce récit calme et puissant, Lançon effectue surtout une plongée dans le temps à la recherche de sa mémoire lointaine. Témoignage et exorcisme, il lui faut trouver un sens à cette expérience du terrible, apprendre à vivre avec cet instant sans fin, mesurer les pertes, dompter les visions et les sensations au fil d’une patiente reconstruction du réel.
   C’est une tâche que seule la littérature semble capable de rendre avec pareil mélange de force et de nuance.

Extrait de «Le lambeau»
«Quand je parle, j’ai l’impression qu’une bouillie de mots sort de la bouche, mâchée par les dents que je n’ai plus. Je ne comprends pas pourquoi les gens semblent me comprendre et je me demande parfois s’ils ne le feignent pas. Je ne sais pas davantage si ma bouche, pas encore reconstituée, est ma bouche : cette étrange lèvre inférieure fendue, asymétrique et pendante qui rabat lentement et difficilement vers l’intérieur édenté le peu d’aliments liquides qu’on lui donne, cette lèvre me dégoûte et je la mets à distance en l’appelant la membrane. La greffe sur le mollet est devenue inflammatoire et ressemble à un steak haché de mauvaise qualité, suant sa graisse.»

LE LAMBEAU
Philippe Lançon
Gallimard, Paris, 2018, 512 pages

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(1) Aujourd’hui il est de bon ton de pourfendre des auteurs et des ouvrages considérés haineux ou racistes, à tort ou à raison. Faudrait-il indexer les livres d’histoire truffés de violence? Bannir Henry Miller ou Céline des bibliothèques? Si oui, pour être cohérents, il faudrait bannir la Bible et ses nombreux dérivés remplis de discours haineux qui encouragent définitivement les assassinats :
   «On peut dire que, de toutes les œuvres de fiction, le Dieu de la Bible est le personnage le plus déplaisant : jaloux, et fier de l'être, il est impitoyable, injuste et tracassier dans son obsession de tout régenter; adepte du nettoyage ethnique, c'est un revanchard assoiffé de sang; tyran lunatique et malveillant, ce misogyne homophobe, raciste, pestilentiel, mégalomane et sadomasochiste pratique l'infanticide, le génocide et le «fillicide». (p.38) La religion est une étiquette marquant l'hostilité et la vendetta entre groupe intérieur et groupe extérieur; elle n'est pas nécessairement pire que d'autres étiquettes comme la couleur de la peau, la langue ou l'équipe favorite de football, mais elle est souvent là quand les autres font défaut.» (p.269)
~ Richard Dawkins (Pour en finir avec Dieu, trad. Marie-France Desjeux-Lefort, Robert Laffont, 2008)

Thomas Paine (1737-1809) disait sensiblement la même chose : “It is from the Bible that man learned cruelty, rape and murder. For the belief in a cruel God makes a cruel man. And the Bible is a history of wickedness that has served to corrupt and brutalize mankind. It is not a God, just and good, but a devil, under the name of God, that the Bible describes.”

«Au cours de l'histoire, les fanatiques, essayant d'imposer leur religion, leur système politique et leurs croyances morales aux autres, ont infligé plus de tourments et de souffrances que n’importe quel autre domaine. Plus de gens ont été tués lors des guerres de religions et de l'Inquisition qu’en d’autres conflits (à l'exception des batailles autour de la télécommande...). Ceux qui prétendent que Dieu est seulement de leur côté sont en effet seuls. La plus haute valeur morale est l’intégrité personnelle – soit, vivre en accord avec son propre système de valeurs.» ~ Alan Cohen

Étrange coïncidence, la veille de l'attentat, Philippe Lançon était au théâtre pour voir «La nuit des rois» de Shakespeare. Le personnage machiavélique et puritain Malvolio «qui veut punir les hommes de leurs plaisirs et de leurs sentiments au nom du bien qu'il croit porter, au nom d'un dieu, se croit autorisé à faire tout le mal possible pour y parvenir».

La «mission» de Charlie Hebdo, décrite sans ambiguïté par Lançon :
«’Ce petit journal qui ne faisait de mal à personne.’ C’est de Charlie que je parlais – avec une naïveté un peu criarde, une naïveté d’enfant désemparé, mais pas seulement. [...] Moi, quoique étant dans les limbes et si peu écrivain, j’écrivais maintenant mes «premières phrases». Et, comme je suis volontiers pompeux et sentimental, celle-ci, «Ce petit journal...», penchait naturellement de ce côté-là. [...] Ce «petit journal» avait une grande histoire et son humour avait, bienheureusement, fait du mal à un nombre incalculable d’imbéciles, de bigots, de bourgeois, de notables, de gens qui prenaient leurs ridicules au sérieux. Depuis quelques années il était moribond; depuis la veille il n’existait plus. Mais il existait déjà autrement. Les tueurs lui avaient donné sur-le-champ un statut symbolique et international dont nous, ses fabricants, aurions préféré nous passer. Nous ne voulions pas de cette gloire-là, de ces gens-là [...], mais on ne nous avait pas laissé le choix, et il faudrait désormais en profiter, certes, mais aussi le supporter. Nous étions devenus un grand journal qui faisait du mal à plein de monde.» (p. 122)

Je ne peux commenter le contenu rédactionnel du journal Charlie Hebdo puisque je ne le lisais pas. Je ne connais que certaines couvertures abrasives qui ont circulé sur le web.

Plusieurs questions demeurent. Faut-il tuer ou mourir pour des croyances? Est-il indispensable d’user de vulgarité, grossièreté, mépris et méchanceté pour livrer un message humoristique efficace? Y a-t-il une ligne rouge à ne pas franchir?

Voici ce qu’en pensaient deux internautes au lendemain de l’attentat :
   1. «Quino, le créateur de Mafalda, un humoriste politique raffiné, n’a jamais eu à recourir à la vulgarité sensationnaliste, ni au ‘tout est permis’, ni à la moquerie des exclus, pour générer une réflexion et une pensée critique. Une pensée critique de plus en plus difficile dans le monde du ‘hashtag’ et des messages transnationaux de deux lignes en ‘temps réel’
   2. «Je suis solidaire de tous ceux qui souffrent à cause de la bêtise et de la cupidité humaine. Je suis horrifiée quand j’apprends que des gamins ont reçu des jets de pierres de la part d’autres enfants. Quels discours de haine entendent-ils à la maison?
   Ce que je vois encore, c’est que pendant que l’«unité nationale» se fait autour de la liberté d’expression et de la défense de la «démocratie» on ne parle pas des vrais problèmes de la France. C’est bien... On trouve toujours un bouc émissaire pour détourner les esprits. J’aimerais bien voir un jour une unité nationale contre les lobbys, une unité nationale pour réclamer que le peuple soit écouté et entendu, pour ne plus subir des choix de société qui nous rendent malades, qui exploitent les ressources naturelles et d’autres peuples...
   Je me pose aussi des questions sur la liberté d’expression. On dit que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Qu’en est-il de la liberté d’expression? Pour moi, liberté va de paire avec respect. Je ne suis pas catholique, je ne suis pas musulmane. Et je trouve que sous le couvert de la liberté d’expression on laisse passer trop de messages irrespectueux, méprisants. Ça relève de la provocation pour un humour d’un niveau douteux. Il y a des fêlés partout. Et d’autres fêlés qui n’attendent qu’une occasion pour se lâcher. Posons-nous les bonnes questions : à qui profite le crime? Et ne nous trompons pas d’ennemi...» ~ Gaëlle Allard, 8 janvier 2015

Quoiqu’il en soit c’est une histoire infiniment triste. Et nous savons que même si l’on traque les humains à la grandeur de la planète, rien n’empêchera des fanatiques religieux ou idéologiques, des frustrés, des jaloux ou des psychopathes de commettre des actes terroristes. Le propre des fanatiques et des attentats est d’être imprévisible...  

Mise à jour, 15 mars 2019 – attentat en Nouvelle-Zélande

Le Lambeau s'achève le 13 novembre, jour de l'attaque de plusieurs restaurants et de la salle de concerts du Bataclan à Paris. Philippe Lançon est à New York : «J’étais dans la rue, et j’ai pensé qu’il n’y avait pas de bonne façon d’apprendre une chose pareille, ce hoquet sanglant de l’Histoire et de ma propre vie. [...] À cet instant, l’air gris sombre aux odeurs de poudre est descendu des gratte-ciel, comme un nuage lourd empli de plomb froid. Il m’a enveloppé, décollé par l’effroi de tout ce qui m’environnait et qu’on appelle la vie. C'était de nouveau, comme au réveil après l'attentat, un décollement de conscience, et j'ai senti que tout recommençait, ou plus exactement continuait, en moi et autour de moi, parallèlement à tout ce qui défilait sous mes yeux. Dans ce nuage il y avait les cris dans l’entrée de Charlie, le geste trop lent de Franck, les corps de mes amis morts, la cervelle de Bernard, les regards de Sigolène et de Coco, et par-dessus tout le souffle et la présence des tueurs aux jambes noires qui ressurgissaient comme par une faille dans l’espace-temps. [...] New York, un endroit où je me sentais à l’abri du rayonnement maléfique, ne me protégeait de rien.» (p. 509) [Entre janvier 2015 et mars 2018 les attentats djihadistes ont fait 244 morts en France.]

Et voilà un massacre de plus, cette fois-ci perpétré par un fanatique d’extrême droite anti-immigration, et non par des islamistes offensés par des caricatures de Mahomet.

RÉSUMÉ

Radio-Canada / nouvelles – Au moins 49 personnes sont mortes et plusieurs autres ont été grièvement blessées dans des fusillades survenues dans deux mosquées de Nouvelle-Zélande remplies de fidèles pendant les prières du vendredi. Le suspect principal, considéré comme le ou l'un des tireurs, est un Australien du nom de Brenton Tarrant.  
   Juste avant les attaques, il a publié un manifeste raciste sur Twitter avant de diffuser en direct sur Facebook Live une vidéo de l'assaut contre la mosquée Al Noor grâce à une caméra GoPro. La police ainsi que la première ministre implorent les gens de ne pas partager ces images.
   Dans son manifeste anti-immigration, Tarrant explique les motivations de l'attaque. Intitulé «le Grand Remplacement», une référence à une thèse de l'écrivain français Renaud Camus connaissant une popularité grandissante dans les milieux d'extrême droite, le document fait 73 pages. Le tireur y raconte qu'il est né en Australie dans une famille aux revenus modestes et qu'il a 28 ans.
   Les moments clés de sa radicalisation, écrit-il, ont été la défaite de la dirigeante d'extrême droite Marine Le Pen à la présidentielle française de 2017 ainsi qu'une attaque au camion, qui a fait cinq morts à Stockholm en avril 2017, dont une fillette de 11 ans. Fait troublant, le tireur avait couvert ses armes de noms d'individus qui ont commis des tueries de masse, dont celui d'Alexandre Bissonnette, le tireur de la mosquée de Québec.

La Presse – Le document publié par le principal suspect détaille deux années de radicalisation et de préparatifs avant le passage à l'acte. L'un des principaux épisodes de tension ces dernières années [en Nouvelle-Zélande] a été provoqué par des caricatures de Mahomet considérées comme blasphématoires par les musulmans, publiées dans la presse danoise, et reprises par des médias locaux en 2006. Ces caricatures ont déclenché de vives réactions dans la communauté musulmane et fait descendre dans la rue des centaines de manifestants. La première ministre d'alors, Helen Clark, avait défendu la liberté de la presse tout en estimant que ces publications étaient malvenues.

Bien sûr, on «envoie des pensées bienveillantes» aux victimes et à leurs familles. Mais ça change quoi? Rien. Alors, je me permets de citer Krishnamurti pour la énième fois :
   Homme contre homme, race contre race, culture contre culture, idéologies contre idéologies, religions contre religions (musulmans, chrétiens, juifs...). Pourquoi toutes ces divisions?
   Le nationalisme, avec son malheureux patriotisme, est réellement une forme de tribalisme glorifié, ennobli. La petite ou la grande tribu suscite un sentiment d’appartenance parce qu’on parle la même langue, qu’on a les mêmes superstitions et le même genre de système politique et religieux. Dès lors, on se sent en sécurité, protégé, heureux, réconforté. Et, au nom de cette sécurité, de ce bien-être, nous voilà prêts à tuer ceux qui ont le même désir de sécurité, de protection et d’appartenance. Ce terrible désir d’identification à un groupe, à un drapeau, à un rituel religieux, etc., nous donne l’impression d’avoir des racines, de ne pas être des vagabonds sans port d’attache.
   L’industrie lourde est peut-être l’une des principales causes de la guerre. Lorsque l’industrie et l’économie marchent main dans la main avec la politique, elles doivent inévitablement semer la division pour préserver leur stature économique. Tous les pays, grands et petits, agissent de la sorte. Les petits pays sont armés par les grandes nations – certains discrètement, clandestinement et d’autres ouvertement.
   Le besoin d’afficher son arrogance ou de se montrer supérieurs aux autres serait-il la cause de toute cette souffrance et de cet énorme gaspillage d’argent en armements?

Texte intégral : onglet «Introduction», blogue Situation planétaire

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