Formé en
science politique et en histoire, il a été professeur et éditeur. À titre de
chroniqueur, il est lauréat du prix Jules-Fournier du Conseil supérieur de la
langue française. En marge de travaux en histoire, il a publié plusieurs
livres, dont Le Devoir, un siècle
québécois (2010) ainsi que des recueils de chroniques, Un peu de sang avant la guerre (2013) et Les radicaux libres (2016).
Chroniques récentes : https://www.ledevoir.com/auteur/jean-francois-nadeau
Chroniques récentes : https://www.ledevoir.com/auteur/jean-francois-nadeau
[Les passages
en bold sont de mon
initiative...]
L'ordre ambiant
Jean-François
Nadeau
Le
Devoir 15 octobre 2019
À la fin de
septembre 1850, lorsqu’Henry David Thoreau visite la mystérieuse «Province of
Quebec», son trajet en train depuis Boston jusqu’à Montréal lui coûte,
aller-retour, sept dollars. Cet automne-là, jusqu’au 4 octobre, il visite le
pays à la hâte et consigne ses observations. Le train, en matière de temps et
d’argent, le lui permet. Pour vous rendre à Boston aujourd’hui, essayez seulement
de prendre le train... Cette ville formidable, à portée de main, semble
désormais hors d’atteinte raisonnable par ce moyen. À l’heure pressante de la
nécessité de transports collectifs efficaces, le train est devenu, chez nous,
une caricature.
Photo : Farrell Grehan / National Geographic / Getty
Images
À Walden, à
quelques kilomètres au nord de Boston, des milliers de personnes convergent
chaque année en voiture pour venir fouler du pied le sanctuaire qu’habita
Thoreau. Au bord du lac, sur les hauteurs de la route sinueuse qui le
surplombe, on a aménagé pour les accueillir de grands stationnements et, à la
gloire du philosophe, un centre d’interprétation sanctifié par toutes les
nouvelles onctions officielles de la consommation verte.
Une fois les
frais d’entrée payés, vous devez vous armer de patience et cheminer, à la file
indienne, par un étroit sentier avant d’arriver à un lieu, signalé par des
bornes de pierre, où l’on suppose que Thoreau vécut quelques mois dans une
cabane, au milieu d’un bois auquel son ami Emerson, un autre philosophe, lui
donnait libre accès. La légende a retenu que Thoreau vivait là seul, loin, en
retrait de tout, laissant macérer en lui une morale écologique qu’il finira,
quelques années plus tard, par coucher sur papier. Thoreau se trouvait en fait
à faible distance du village. Il s’y rendait volontiers chez sa mère, qui
s’occupait de son lavage et de son ordinaire. De cet aspect domestique de sa
vie, il ne tirera aucune leçon morale nouvelle.
Thoreau est
largement crédité pour être l’un de ceux qui ont le mieux réfléchi à l’idée de
désobéissance civile. Sur cette question, il est toujours question d’Hannah
Arendt et de lui. Les perturbateurs du pont Jacques-Cartier et du centre-ville
de Montréal, le groupe mondialisé Extinction Rebellion, se réclament
précisément de cette notion de désobéissance civile.
Agir comme
tout le monde a quelque chose de rassurant et, tout à la fois, d’inquiétant. Au
tout début du film Les temps modernes,
un des chefs-d'oeuvre de Chaplin, l’ambiguïté que soulève le respect de l’ordre
ambiant est exprimé en deux plans troublants : les moutons qui se suivent, les
uns derrière les autres, en direction de l’abattoir; puis des ouvriers qui font
de même pour se rendre à leur travail. Nulle théorie sur le refus d’obéir n’est
élaborée ici, mais le spectateur ressent immédiatement à la vue de ces images
quelque chose d’outrageant, où l’on comprend d’instinct que le conformisme peut
être irresponsable. Autrement dit, quand ne rien faire, c’est laisser faire le
pire, la responsabilité d’agir est plus importante que celle d’obéir.
La désobéissance civile fait,
paradoxalement, partie de l’expérience d’un État de droit. Elle incarne un
principe éthique supérieur qui affirme une volonté de réformer le juridique.
Elle rappelle que la loi, qui s’établit d’ordinaire au nom des plus forts, doit
rester subordonnée, malgré cela, à un intérêt général supérieur.
La désobéissance civile se trouve
ainsi à l’exact opposé de la corruption. On ne veut pas, en désobéissant, échapper à la loi,
comme c’est le cas dans une multitude d’affaires de malversations qui
éclaboussent, au Québec, des administrations municipales. Au contraire de ces
affaires où des individus malintentionnés tentent d’échapper à la loi en s’en
jouant, les acteurs d’une désobéissance civile agissent au grand jour,
d’ordinaire après avoir fait valoir leurs positions d’une multitude d’autres
façons. Ils affirment clairement désobéir, en accusant la loi de ne pas servir
convenablement l’idée de la justice qui la fonde. Ainsi n’entendent-ils pas
tromper la loi, mais s’en faire remarquer pour contribuer avec assurance à la réformer.
La désobéissance civile peut-elle être
invoquée en toutes circonstances? Est-elle invocable par quiconque, quand bon
lui semble? Certainement pas. Elle ne conserve son sens que dans le cadre d’une
contestation éthique profonde d’un projet politique qui touche le plus grand
nombre.
Est-il
possible de changer le monde en bloquant des ponts? On peut se poser la
question. Les manifestants du pont Jacques-Cartier constituent en tout cas
l’expression forte d’un temps de désenchantement
engendré par des gouvernants dont l’irresponsabilité écologique semble sans
borne.
La dépendance
aux déclarations douteuses en matière d’environnement apparaît désormais la
norme. À écouter, par exemple, les
déclarations du gouvernement de François Legault, tout ou presque est bon pour
l’environnement. Cela donne, au cours des derniers jours seulement, l’affirmation loufoque que la construction
d’un pont-tunnel à Québec «est bonne pour l’environnement», même si aucune
étude ne saurait le confirmer. C’est
entendre par ailleurs le sublime successeur de MarieChantal Chassé au poste de
ministre de l’Environnement affirmer qu’il faut accélérer les coupes dans les
forêts au nom de l’écologie, sous prétexte que les vieilles forêts – comme si
elles étaient si nombreuses chez nous – libèrent des gaz à effet de serre. C’est
entendre, en prime, le premier ministre avancer, contre toutes les études
sérieuses sur ces questions, qu’Uber «est bon pour l’environnement». Et quoi
encore?
À entendre ces gens-là, je vous le
dis, tout est bon pour l’environnement. Sauf les écologistes.
Commentaire
Je suis
allergique au discours urticant des
analphabètes environnementaux de la Coalition avenir Québec, notamment du
ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, du ministre des Forêts, de la
Faune et des Parcs, Pierre Dufour, et du ministre des Finances, Éric Girard. Seconde
après seconde, illusion après illusion, mensonge après mensonge, l’on voit une
enfilade de mises en scène pour dissimuler les carences et les bourdes du cabinet, et blanchir la réputation de ministres incompétents. On nage dans
l’ignorance crasse, dans la négation des changements climatiques pour ne pas
nuire au patronat et à la croissance économique.
Pourquoi héritons-nous de tels
dirigeants? «L’une des raisons est la manière dont les multinationales
squattent depuis des décennies le système éducatif canadien. Les universités
forment les cerveaux dont l’économie capitaliste a besoin. Comment espérer voir
surgir des dirigeants pleins de sagesse dans un pays où les écoles enseignent
ce que le pouvoir politique leur enjoint d’enseigner?» (Nancy Huston; BRUT, Lux
Éditeur, 2015)
Idée-cadeau : un jeu où l’on fait autre chose que se taper sur la gueule et s’entretuer. Même si c'est en anglais américain (contrairement à la description en british dans la vidéo ci-après), je suis persuadée qu'il y a des jeunes assez futés et expérimentés pour jouer quand même...
Walden: a Game, une expérience documentaire à la
première personne
Une retraite
spirituelle interactive sur les traces du philosophe du 19e siècle
Henry David Thoreau.
Développé par Tracy Fullerton, directrice du
Game Innovation Lab de la School of Cinematic Arts de l’université USC, Walden: A Game est une simulation de
l’expérience de survie menée par le philosophe nord-américain Henry David
Thoreau à Walden Pond, Massachussetts, en 1845 (qu’il documenta dans Walden, or Life in the Woods, un classique de la littérature nord-américaine).
Walden
est un jeu de survie naturaliste. Immergé dans les bois autour de l’étang de
Walden, le joueur a pour mission de s’adonner à un certain nombre d’activités
nécessaires à sa survie : construire une cabane, trouver de quoi se nourrir, se
chauffer et consolider son abri, sur une période couvrant huit saisons. Au-delà
de la simple survie, le joueur est également invité à trouver un sens à sa
quête, en prenant le temps de se confronter à la solitude et l’isolement pour
méditer sur son rapport à la nature. (Source : imm3rsive)
Walden, a game — A Philosophical Tale of Exploration
& Survival