La Gendarmerie royale du Canada (GRC) reconnaît,
dans un rapport datant de 2014, 1200 cas de femmes et de filles autochtones
disparues et assassinées entre 1980 et 2012. Toutefois, les groupes de femmes
autochtones évoquent plutôt, dans des estimations documentées, un chiffre
supérieur à 4000. Plusieurs facteurs expliquent cette confusion au sujet des
chiffres, notamment un phénomène de sous-déclaration de la violence à l’égard des femmes et des filles
autochtones, l’absence d’une base de données efficace en la matière et
l’incapacité à recenser les cas de ce type en fonction du groupe ethnique
d’origine des victimes.
Beaucoup de gens adhèrent encore, au 21e
siècle, à cette définition (même pas caricaturale) du cynique et lucide Bierce
: «Aborigènes : Personnes de moindre
importance qui encombrent les paysages d'un pays nouvellement découvert. Ils
cessent rapidement d'encombrer; ils fertilisent le sol.» ~ Ambrose Bierce, 1842-1914 (Dictionnaire du Diable)
Quand on ne les tue pas, de vicieux trafiquants d’humains
les vendent à l’encan comme en témoigne une récente vidéo sur CNN.
Le Cri
Laetitia Sioen
Vois-tu ?
Vois-tu ce qui sommeille en moi?
Vois-tu l’eau qui a coulé sous mes pieds?
Vois-tu mes mains qui inspirent?
Vois-tu mes yeux dans les tiens?
Vois-tu ma bouche qui dicte mes mots?
Vois-tu la création dans ma tête?
Vois-tu mon mur d’expression?
Vois-tu les murmures de mes maux?
Vois-tu mes larmes qui coulent en silence?
Vois-tu mon coeur qui bat la mesure de mon âme?
Vois-tu le cri de mon être?
Vois-tu la liberté qui coule dans mes veines?
Vois-tu la femme que je suis?
Source : https://www.poetica.fr/
~~~
Journal d’un
écrivain; Mémoire d’encrier 2013
Dany
Laferrière
199. Le roman de la vie (p. 304/307)
[...] Personne ne peut être certain de
finir ses jours où il est né. Je ne fais pas grand cas de cette notion de terre
qui n’a servi jusqu’à aujourd’hui qu’à provoquer des guerres. Le vertige que
l’on ressent quand le sol se dérobe sous nos pieds devrait remettre en question
pour de bon la notion de terre ferme.
Ce n’est
pas pourtant la seule de nos illusions : la race n’a de sens que si on y
croit. Quand des gens de même couleur (enfin, je dis couleur faute de mieux) se
regroupent massivement sur un même espace, ils finissent par fonder leur
identité sur une fausseté. La notion de race n’existe pas quand on fait face à quelqu’un
d’une autre race. Alors, on échafaude mille théories, les unes plus fumeuses
que les autres, dans l’unique but de faire croire à l’autre qu’on lui est
supérieur (personne n’a jamais cherché à démontrer son infériorité). Mais
profondément, on n’y croit pas soi-même. Et cette haute idée de soi ne suffit
pas toujours à nous rassurer. Il suffit de rejoindre notre tribu pour que
l’argument de la race se dissipe. Les vieilles angoisses reviennent et on
reprend sa place dans la société selon des critères économiques moins flous que
ceux de la race.
Après la
race arrive la question de classe. Quand on observe bien une classe sociale, on
voit qu’elle fonctionne comme une secte. Des gens qui achètent les mêmes choses
aux mêmes endroits, habitent le même espace délimité, partagent les mêmes
loisirs et se nourrissent souvent des mêmes idées politiques. Ils le font pour
se garder au chaud, car ils croient que cette communauté d’intérêts pourra les
apaiser. La quête d’identité est donc une tentative pour répondre à cette
panique enfouie dans notre chair. Si on arrive à planter notre tente, on n’est
pas pour autant exempt de vertige face à ce vaste espace étoilé qui semble
vouloir nous aspirer.
C’est ici
que la religion se propose de faire le lien entre les individus. C’est aussi la
définition du mot religion – de religare, qui veut dire «relier». On
cherche depuis toujours à ne pas rompre ce lien qui nous permet de ne pas
perdre le groupe dans «la forêt obscure». C’est ainsi qu’on nous propose des
prières afin de distiller en nous une angoisse que seule la foi pourra calmer –
c’est connu, on crée le désir du produit qu’on voudrait vendre. Si on reste
ensemble, on aura moins peur, espère-t-on. On comprend aussi qu’il ne doit
exister qu’un seul chemin et qu’une seule foi. Et quand la foi est aveugle, la
route lumineuse se change alors en un fleuve de sang. Le sang, le sang, voilà
le prix de cette interminable nuit. Pourquoi les chemins qui s’offrent
successivement à nous deviennent-ils des fleuves de sang? L’histoire, la
religion, la race ou la classe.
Il ne
reste que ce chemin secret que l’on emprunte déjà, sans discours, et qu’on
n’aperçoit que quand la vie court un grave danger. Notre instinct de survie est
tissé d’une incroyable énergie qui possède sa propre intelligence, et que
l’esprit humain ne parvient pas à embrigader. Cette énergie circule de corps à
corps ou de cœur à cœur, selon la situation, évitant l’air pollué d’idéologies.
Cette énergie évite de distinguer, avant de passer d’un corps à un corps, ou
parfois d’un cœur à un cœur, la race comme la classe des individus en présence.
Cette énergie ne sait pas raisonner. Elle n’obéit à aucun ordre, elle ne sait
que bondir. Et depuis que les nouvelles technologies permettent d’accélérer le
mouvement, nous pouvons à peine imaginer ce qui se passe en ce moment sur une
planète où la distance se résume à un clic. Nos vieilles habitudes, qui
exigeaient toujours un chemin bien balisé pour sortir de la nuit, sont-elles
aujourd’hui à ranger dans un placard? Car ce sont des milliards de chemins qui
se présentent à nous. Et qui vont dans toutes les directions. Jusqu’à ce que
l’on comprenne que la peur ne vient pas du fait qu’on ne trouve pas son chemin,
mais plutôt du fait qu’il n’y a qu’un seul chemin. Ce qui est excitant, c’est
qu’on n’a même pas à le chercher. On le trouve d’instinct. C’est la simple vie
qui se fait roman.
~~~
Le
harcèlement moral, la violence perverse au quotidien; Pocket 1998
Marie-France
Hirigoyen
Conclusion (p. 241/242)
[...] L’imagination humaine est sans
limites quand il s’agit de tuer chez l’autre la bonne image qu’il a de
lui-même; on masque ainsi ses propres faiblesses et on se met en position de
supériorité. C’est la société tout entière qui est concernée dès qu’il est question
de pouvoir. De tout temps, il y a eu des êtres dépourvus de scrupules,
calculateurs, manipulateurs pour qui la fin justifiait les moyens, mais la
multiplication actuelle des actes de perversité dans les familles et dans les
entreprises est un indicateur de l’individualisme qui domine dans notre
société. Dans un système qui fonctionne sur la loi du plus fort, du plus malin,
les pervers sont rois. Quand la réussite est la principale valeur, l’honnêteté
paraît faiblesse et la perversité prend un air de débrouillardise.
Sous
prétexte de tolérance, les sociétés occidentales renoncent peu à peu à leurs
propres interdits. Mais, à trop accepter, comme le font les victimes des
pervers narcissiques, elles laissent se développer en leur sein des
fonctionnements pervers. De nombreux
dirigeants ou hommes politiques, qui sont pourtant en position de modèles pour
les jeunes, ne s’embarrassent pas de morale pour liquider un rival ou se
maintenir au pouvoir. Certains abusent de leurs prorogatives, usent de pressions
psychologiques, de la raison d’État ou du «secret défense» pour protéger leur
vie privée. D’autres s’enrichissent grâce à une délinquance astucieuse faite
d’abus de biens sociaux, d’escroqueries ou de fraude fiscale. La corruption est
devenue monnaie courante. Or, il suffit d’un ou de plusieurs individus
pervers dans un groupe, dans une entreprise ou dans un gouvernement pour que le
système tout entier devienne pervers. Si
cette perversion n’est pas dénoncée, elle se répand de façon souterraine par
l’intimidation, la peur, la manipulation. En effet, pour ligoter
psychologiquement quelqu’un, il suffit de l’entraîner dans des mensonges ou des
compromissions qui le rendront complice du processus pervers. C’est la base
elle-même du fonctionnement de la mafia ou des régimes totalitaires. Que ce
soit dans les familles, les entreprises ou les États, les personnes
narcissiques s’arrangent pour porter au crédit des autres le désastre qu’ils
déclenchent, afin de se poser en sauveurs et de prendre ainsi le pouvoir. Il
leur suffit ensuite de ne pas s’embarrasser de scrupules pour s’y maintenir.
L’histoire nous a montré de ces hommes qui refusent de reconnaître leurs
erreurs, n’assument pas leurs responsabilités, manient la falsification et
manipulent la réalité afin de gommer les traces de leurs méfaits.
Au-delà
de la question individuelle du harcèlement moral, ce sont des questions plus
générales qui se posent à nous. Comment rétablir le respect entre les
individus? Quelles sont les limites à mettre à notre tolérance? Si les
individus ne stoppent pas seuls ces processus destructeurs, ce sera à la
société d’intervenir en légiférant. Récemment un projet de loi a été déposé, se
proposant d’instituer un délit de bizutage, réprimant tout acte dégradant et
humiliant en milieu scolaire et socio-éducatif. Si nous ne voulons pas que nos
relations humaines soient complètement réglementées par des lois, il est
essentiel de faire acte de prévention auprès des enfants.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire