20 octobre 2017

Mélimélo urbain

Ah, les élections municipales, nous y sommes.

Les fusions municipales furent initiées par le gouvernement de Lucien Bouchard en 2000. Elles continuent de contrarier plusieurs maires et mairesses. Le système fait en sorte que dans certaines grandes municipalités, chaque arrondissement a son propre maire et conseil d’administration. Cependant, les membres d'un conseil d'arrondissement doivent siéger à deux conseils, soit celui de la municipalité et celui de l'arrondissement... Montréal compte une vingtaine d’arrondissements : l’art de se compliquer la vie et de susciter des chicanes de balcons. Brrr.

Journée de smog léger (j’ai vu pire) à Montréal, qui aurait bien besoin de respirer avec plus de verdure et d’arbres. Mais M. Coderre, le maire sortant à la fois de Montréal et de l'arrondissement Ville-Marie, préfère les parcs à condos, les tours en béton, les pistes de courses et les stades de baseball. Hé! Les bouchons de circulation quotidiens aux heures de pointe sont de plus en plus intenses et longs.

Mais qu’est-ce qu’une grande ville? Voici la réponse.

Petits et grands kaléidoscopes
Marie-Noëlle Agniau

Extrait

[...] Mais la ville, cette ville, est d’abord de l’ordre de l’usage. Elle est un lieu qui signale notre activité humaine et par elle la satisfaction de nos besoins vitaux et sociaux. Nous voilà des hommes et des femmes affairés. Occupés, préoccupés. À l’image du Businessman planté sur sa planète (la quatrième) dans Le Petit Prince. Nous comptons, mesurons : temps et espace et choses. Chaque acte est comme orienté par une fin utile. Du connu au connu. Aller à la pharmacie, faire ses courses, aller à l’école, au bureau, au travail etc. La ville est le lieu de la «vita activa». À rebours, elle est aussi un «non lieu» : celui des laissés-pour-compte qui n’ont qu’un souci, une seule activité : survivre, autant dire ne pas mourir de faim et de froid. La ville, elle-même issue du travail et de l’intelligence des facultés humaines, est le lieu perpétuel des antithèses. Son système est mobile tout comme les chantiers qui ne cessent de la métamorphoser et d’étager en elle sa propre histoire : depuis la domestication de l’espace jusqu’au besoin de rationaliser les échanges et les pouvoirs, la ville s’organise comme circulation de flux (qu’ils soient objectifs ou subjectifs) mais aussi circulation dans les oppositions qui la traversent et la fabriquent. Nulle liste d’ailleurs n’est possible ou alors je vous mets au défi de les sérier toutes. Ou bien, à mieux comprendre la genèse d’une ville, on peut encore regarder un western mythique. Cela dit, si la ville fut (et est encore) une sorte de conquête (plus ou moins violente et plus ou moins légitime) sur des forces multiples de résistance (la nature, le climat, les matériaux, les organisations déjà en place, les hommes, les cités extérieures), elle incarne aussi ce qui fixe et solidifie ces oppositions : l’ancien et le moderne, le sacré et le profane, le centre et le faubourg, le riche et le pauvre, la raison et la passion, l’esprit et le corps, la vie et la mort, l’horizontal et le vertical, le superficiel et le profond, le propre et le sale, l’un et le multiple, ici et là-bas, le même et l’autre, le présent et le passé, le légal et l’illégal, le jour et la nuit, l’entrée et la sortie, l’actif et le contemplatif, l’ordre et le désordre, le vélo et la voiture, l’intérieur et l’extérieur, la sphère privée et la sphère publique, la destruction et la construction, le réel et l’idéal, l’individu et la foule, le connu et l’inconnu, le beau et le laid, etc. Je veux bien vous laisser une petite place pour continuer cette liste ou même changer de point de vue la prochaine fois que vous irez en ville. Villes tentaculaires!

La ville est le visible : elle rend visible ce même système d’oppositions, construites et déconstruites, comme elle sait le rendre invisible ou le plus inaccessible possible. Du visible, certaines «choses» ne doivent précisément pas être vues. La ville invente en tous sens les marges, les périphéries, les souterrains, précisément parce que ces mêmes oppositions traduisent une échelle de valeurs : un bien et un mal, un bon et un mauvais. Précisément parce que la ville est humaine, trop humaine, peut-être : en elle le carnaval est perpétuel. Le centre-ville est parfois un leurre. La «tristesse» des grandes zones industrielles nous laisse sans voix. Ville(s) dans la ville. Elles sont innombrables.

Ville proprement intersubjective : chacun y invente sa trajectoire. Mais où donc courez-vous, quand je vous vois si pressés? Les trajectoires se perdent, finissent par se perdre, anonymes, indifférentes et pourtant, à un moment donné ou à un autre, sous le regard de quelqu’un. Renversons notre constat : la ville en fait ne cesse de fuir. Elle témoigne sans cesse de ce qui se présente et de ce qui s’absente. La ville ne cesse pas de se faire et de se défaire sous nos yeux. En nous, elle s’imagine comme image : affective, singulière, collective, historique, littéraire, cinématographique. Etc. Et comme nous sommes à la fois les présents et les absents, nous ne la voyons pas toujours. ...

Méditations du temps présent
La philosophie à l’épreuve du quotidien 2
L’Harmattan, 2008

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